Les FNFL, par l’amiral Chaline

Les FNFL, par l’amiral Chaline

Les FNFL, par l’amiral Chaline

L’activité des FNFL

De cette foule de navires disparates rassemblés en Grande-Bretagne et malgré les difficultés rencontrées, un instrument de combat est né et s’est développé rapidement.

Je voudrais souligner que les FNFL sont aux côtés de la Royal Navy quand l’ennemi remporte des succès sur tous les fronts que ce soit dans l’Atlantique, la Manche et la Méditerranée, quand l’issue est incertaine. La gloire des FNFL est d’avoir combattu dans les années difficiles, quand l’avenir du monde libre ne tenait qu’à un fil. L’honneur des FNFL est d’avoir été présentes et actives sur tous les théâtres quand la guerre s’élargit à l’échelle du monde, avec l’entrée en lice de l’URSS, du Japon et des États-Unis.

Au moment de la fusion, les FNFL comprennent deux torpilleurs, quatre sous-marins, cinq avisos, sept corvettes, deux patrouilleurs, un croiseur auxiliaire, neuf chasseurs, huit MTB, cinq vedettes côtières, deux bataillons de fusiliers marins, une flottille d’aéronavale. Je voudrais évoquer l’activité de ces unités par quatre courtes histoires sur les MTB, les sous-marins, les corvettes, les fusiliers marins.

Les MTB sont des vedettes rapides lance-torpilles. Ce sont des engins de 55 tonnes, longs de 21 mètres, assurant par belle mer des vitesses de 40 nœuds. Elles sont armées par 14 hommes qui disposent d’un canon de 20 mm, de quelques mitrailleuses et, c’est l’essentiel, de deux torpilles. Les vedettes appareillent avant le coucher du soleil pour être sur les côtes de France à la nuit, prêtes à intercepter et détruire les convois et patrouilles ennemis.

Dans le soir tombant, le vrombissement des moteurs est seul à troubler le calme de la nuit. Elles sont en ligne de file, très proches l’une de l’autre pour ne pas se perdre. Le secteur des îles anglo-normandes est leur terrain de chasse privilégié, mais ce soir du 16 mars 1943, les MTB 94 et 96 opérent près des Sept-Îles. Elles viennent de stopper embusquées à l’abri de la terre, guettant l’ennemi. Sur l’eau calme, les oreilles se tendent dans l’attente d’un bourdonnement d’hélice. Rien, on ne voit rien, on entend rien. Les vedettes remettent en route et vont se poster 5 milles plus loin ; elles stoppent à nouveau. La longue attente recommence. Il fait froid maintenant et les oreilles picotent. La fatigue commence à se faire sentir : les jambes sont lourdes, les épaules ankylosées. Parfois on croit entendre quelque chose mais ce n’est que le flic-flac de la mer contre la coque ou le floc d’un poisson jailli hors de l’eau.

Soudain, alors qu’elles s’apprêtent à retourner à la base, les MTB aperçoivent des lueurs fugitives puis des silhouettes qu’elles identifient comme celles de deux caboteurs faisant route précisément sur elles. L’ennemi est tout proche, il n’y a pas de temps à perdre. Assurant une diversion, la 96 met le cap sur l’adversaire puis avec ses mitrailleuses ouvre le feu. L’ennemi surpris, réagit énergiquement concentrant son tir sur cette vedette qui s’offre à ses coups. Pendant ce temps, la 94 s’approche doucement, silencieusement et, comme à l’exercice, lance ses deux torpilles. Les deux bâtiments allemands la prennent alors pour cible. C’est un véritable feu d’artifice. Balles et obus de tous calibres se croisent au-dessus de la vedette qui parvient à se dérober à toute vitesse. Boum! les deux torpilles ont touché leur objectif : un dragueur de mines qui se mâte par l’avant et disparaît rapidement dans les flots. Les MTB rallient leur base sans avaries majeures, mais criblées d’impacts.

Les sous-marins effectuaient de nombreuses et audacieuses patrouilles sur les côtes de Norvège et de France. Savez-vous que c’est la Junon qui en septembre 1942 a assuré dans des conditions difficiles le débarquement du commando de saboteurs qui a réussi la destruction de l’usine hydro-électrique de Glomfjord alimentant la fabrique d’eau lourde destinée à la future bombe nucléaire allemande. Tout ne se passait pas toujours aussi bien. Le 13 novembre 1942, la Junon appareille pour le Mefjord. Il s’agit de débarquer des agents norvégiens et du matériel radio destiné à rendre compte des mouvements des bâtiments allemands mouillés dans les fjords. Le 16, elle est à pied-d’œuvre, mais le temps est exécrable. La traversée s’est effectuée panneau de kiosque fermé, officier de quart amarré sur la passerelle. Une grosse houle contrarie la mise à terre du matériel, un des Norvégiens se noie. Par malchance, le point de débarquement choisi est à quelques centaines de mètres d’une maison qui sert de cantonnement à la garnison allemande. Il faut récupérer le matériel déjà débarqué. Un canoë repart à terre avec deux Norvégiens et deux marins de la Junon. Mais le temps force et compromet la sécurité du sous-marin. Les hommes ne peuvent pas rentrer à bord : il faut les abandonner! Les deux agents norvégiens et les deux marins français vivront dans les hauteurs du fjord, ravitaillés par la population du village. Ils seront récupérés quatre mois plus tard. Avertis de l’arrivée de la Junon, ils avaient dévalé la pente à ski dès que le sous-marin avait fait surface.

Les contre-torpilleurs, torpilleurs, avisos et corvettes de la France Libre ont joué un rôle important dans la bataille de l’Atlantique. C’est la bataille qu’il fallait à tout prix gagner, car sans cette victoire, il n’y aurait pas d’autres batailles ni d’autres victoires. Ce n’est pas moi qui le dit, mais Churchill!

Le péril était partout sur la mer mais nulle part il n’était aussi grand que sur la route de l’Arctique où passent les convois destinés au ravitaillement des Russes. Les convois et leurs escortes sont obligés de se tenir entre la banquise et la côte de Norvège occupée par l’ennemi. Ils sont constamment exposés aux coups non seulement des sous-marins, mais aussi des navires de surface et des avions ennemis. À ces dangers viennent s’ajouter ceux qui tiennent à une nature hostile : froid intense, coups de vent soufflant en tempête, bruines épaisses, obscurité ou au contraire clarté continuelle, incertitude des indications fournies par les compas magnétiques.

En mai 1942, la corvette Roselys est rattachée à l’escorte d’un convoi de 34 navires chargés d’armes. L’escorte est prise dans le nord de l’Islande. Pendant six jours, jusqu’à l’arrivée à Mourmansk, le convoi et son escorte seront attaqués jour et nuit par des vagues successives d’avions et de sous-marins. C’est un déluge de bombes et de torpilles. Les postes de combat succèdent aux postes de combat. L’un d’eux a lieu le 7 mai 1942 pendant que la Roselys s’est portée au secours du Stary Bolchevik, un cargo soviétique chargé d’essence et de munitions qui est en feu. Sous un énorme parapluie involontaire de fumée noire, au risque de sauter d’une minute à l’autre, il continue de faire route à 8 nœuds. La Roselys réussit à s’en approcher en route parallèle à quelques mètres et à lui passer ses manches à incendie. Ce n’est qu’au bout de deux heures, alors que les bombes pleuvent de part et d’autre, que le Russe signale que l’incendie est enfin maîtrisé. Ouf! Mais autour d’eux les navires sautent. Un cargo bourré d’explosifs reçoit une bombe de plein fouet : immense flamme montant jusqu’au ciel, puis plus rien. Pas d’épaves, pas de survivants, rien qui surnage. Là où 5 secondes auparavant il y avait un bâtiment et des hommes, il n’y a plus que le vide, le néant.

Le lendemain, la navigation est compliquée par la présence d’un nombre croissant d’icebergs. Une brume épaisse se lève, la visibilité tombe à 100 mètres. Dès qu’elle se dissipe, les bombardements en piqué reprennent, se succédant à 20 minutes d’intervalle et continuent jusqu’à l’arrivée de Mourmansk, lorsque la chasse russe est enfin capable d’intervenir. Les pertes ont été de sept navires mais le matériel dont les Russes ont tant besoin arrive. Au retour le convoi traverse un champ de mines magnétiques; cinq navires marchands et le chef d’escorte sautent. La Roselys entreprend immédiatement les opérations de sauvetage. On voit de nombreux survivants dans l’eau; l’état de la mer empêche d’affaler les embarcations : il faut donc accoster directement les groupes de survivants malgré les risques énormes que représente cette navette dans le champ de mines. Des filets destinés à grimper le long de la coque sont installés, mais les survivants à demi-asphyxiés par le mazout sont incapables de saisir les bouts et de se hisser. Les hommes de la Roselys se mettront à l’eau pour les aider à s’en sortir. La corvette récupérera 179 hommes de cinq navires.

Quand on parle des fusiliers marins on pense d’abord au 1er BFM qui a partagé la gloire de la 1e DFL. Quant aux exploits du 1er BFM Commandos, on les associe à Bruneval, Dieppe ou Ouistreham, sans savoir qu’ils ont participé à d’autres opérations très discrètes mais meurtrières.

Les îles anglo-normandes ont servi tout au long de la guerre de terrain de manœuvre aux commandos britanniques. Sept raids ont été ainsi exécutés entre le 13 juillet 1940 et le 25 décembre 1943. Le plus spectaculaire d’entre eux eut lieu à Aurigny; le poste allemand fut pris par surprise, sept prisonniers furent ramenés en Angleterre dont l’un tiré de son lit en pyjama.

Ces commandos étaient de quelques hommes, incluant des Français. C’est le cas en 1943 à Serq.

Venus de Dartmouth à bord d’une MTB, le commando franco-britannique débarque à la pointe du Hog Back et escalade la falaise. Parvenus au sommet à plus de 100 mètres au-dessus de la mer, les hommes se trouvent dans un champ de mines. Ils sont décimés par les explosions et les tirs allemands. La plupart sont blessés, mais deux Français y trouvent la mort. Le commando réussira à rallier Dartmouth avec ses blessés, laissant les morts sur place. Ceux-ci sont enterrés au petit cimetière de Sercq. Une cérémonie a eu lieu en 1988 à l’occasion du 45e anniversaire de ce raid en présence de trois rescapés, deux Français et un Britannique.