
La 1re division française libre en Franche-Comté, par le général Saint Hillier


En fin de journée, la division tient une ligne Moffans, Le Chenoley, Faymont, les abords est de Granges-la-Ville, Faimbe, mais un de ses bataillons a été rejeté à 18 h 30 de la maison forestière de la forêt de Granges. Si jusqu’ici la DFL n’a pas rencontré trop de problèmes, la voilà maintenant en présence d’organisations solidement tenues, d’où l’ennemi mène de rudes mouvements offensifs. Les Allemands ont en effet accumulé sur une ligne Héricourt-Montbéliard des agencements défensifs bien structurés avec de la main-d’œuvre civile réquisitionnée, ils ont réalisé des fortifications de campagne et réarmé les ouvrages du camp retranché de Belfort. Le terrain lui-même, coupé de nombreux cours d’eau, couvert d’un abondant manteau forestier propre à la défense, sert l’adversaire.

Après bien des discussions, les conceptions stratégiques du général de Monsabert l’ont emporté : il veut une bataille de rupture frontale, puis l’encerclement des forces allemandes qui défendent la place de Belfort. Le général de Lattre accepte ce projet, qu’il estime à la mesure de ses moyens. La 3e DIA du général Guillaume, au nord, renforcée des commandos d’Afrique du lieutenant-colonel Bouvet, des commandos de choc du colonel Gambiez, du 1er régiment de parachutistes de choc du lieutenant-colonel Faure, du « combat command » n° 6, attaquera à partir de la région située au nord de Fondrupt en direction générale de Gérardmer. Or, une partie des unités d’infanterie consacrée à cette action aurait dû relever certaines des nôtres. De ce fait, le front de la DFL va être étendu sur 15 kilomètres, ses compagnies sont mises bout à bout, alignées sur un seul rang.

Le manque d’essence, la faible dotation en munitions imposent à la DFL la réduction de sa manœuvre à la prise de Lyoffans en liaison avec la 1re DB. Tandis que le général du Vigier engage ses trois « combat command » (Kentz, Caldairou et Sudre) sur l’axe Mélisey/Le Thiollet, la 2e brigade démarre après une violente préparation d’artillerie. Le BM 4 du commandant Buttin va, durant deux jours de combats ininterrompus, accomplir la tâche la plus rude. Dès 9 heures, les premières maisons de Lyoffans sont atteintes à 14 heures, le village est entièrement occupé, à l’exception du cimetière où des SS tiendront jusqu’à la nuit avant de se replier jusqu’aux lisières des bois situés à l’est de la route Moffans-Lyoffans.
Le blanchiment

Jusqu’à ce mois de novembre, les quelques centaines de volontaires qui, venus au cours de notre progression de la mer à la Franche-Comté se sont engagés dans nos rangs, ont permis de compenser les pertes subies pendant la bataille de Provence. Le recrutement adroitement mené par le colonel Garbay, gêné cependant par le manque d’effets d’habillement, nous vaut quand même l’appoint de 2800 recrues. A l’approche de l’hiver, il est nécessaire de remplacer nos volontaires venus de l’empire. Les Antillais des FTA refusent de quitter la division mais il est nécessaire de remplacer les survivants du bataillon venu en 1941 des îles du Pacifique et nos 6000 valeureux Africains ou Malgaches. Pour régler ce problème, la seule solution qui s’impose au général Brosset est de dissoudre la « brigade volante » et d’intégrer ses formations dans nos bataillons. Or, ces unités, issues des maquis ou des FFI, avaient chacune leur personnalité propre, ce qui pouvait poser des problèmes d’encadrement, de discipline et d’instruction. Contre toute attente, tout sera rapidement résolu, l’amalgame réalisé grâce à la volonté des anciens et l’ardeur des nouveaux arrivés.
Rupture du front allemand
Ancien des Forces françaises libres
(2) Le général Béthouart est né à Dole.
(3) La 13e demi-brigade de Légion étrangère, revenue en France après la victoire de Narvik, a formé en Angleterre le « noyau des Forces françaises libres » avec son chef le lieutenant-colonel Magrin-Vernerey, un Franc-Comtois.
(4) Au matin du 20 novembre, avant de partir, comme il le fait chaque jour pour rejoindre les unités de première ligne, il adresse à la DFL ce messaqe : « Aux officiers, sous-officiers, légionnaires, matelots, sapeurs et soldats de la 1re DFL, la droite de la 1re armée française vient d’atteindre le Rhin au sud de Mulhouse. Comme en Italie, comme à Toulon, les Allemands n’ont pu se rétablir sur leurs lignes de défense aux noms pompeux. Dans les jours qui suivront, on compte sur vous, les plus vieilles et les jeunes troupes de la nouvelle armée française, pour enlever Giromagny et atteindre le Rhin au nord de Mulhouse. »
Ce message sera le dernier, Brosset roule en jeep à toute allure, il en est ainsi chaque jour, il a fait le tour de ses unités de tête pour les stimuler, les pousser en avant. A Auxelles-Bas, il est avec les chars du 1er RFM qui forcent le bouchon établi par les Allemands à l’entrée du village. 50 des leurs sont capturés, une douzaine abattus. Les villageois accueillent les vainqueurs avec des bouteilles d’eau-de-vie de framboise et de prunelle. Le générai repart, presse le mouvement; il s’écrie : « La vie est magnifique, nous serons ce soir à Giromagny », raconte Jean-Pierre Aumont qui l’accompagne. A la sortie de Plancher-Bas, les fils téléphoniques d’un pylône renversé s’enroulent autour de ses roues ; sa jeep est paralysée. Le général emprunte un véhicule du DCR ; il ne veut pas attendre que son chauffeur ait dépanné, il est pressé d’aller donner des ordres par radio à Saint Hillier. Au moment de partir, le chauffeur, un sergent du DCR, lui crie : « Méfiez-vous, mon général, la jeep déporte à gauche quand on freine », raconte l’aspirant Jean-Pierre Aumont. Mais sur le pont du Rahin, les sapeurs sont en train de retirer une bombe d’avion de 250 kg d’un fourneau de mine. Le général freine, la jeep dérape sur la chaussée glissante, heurte le parapet et bascule dans l’Ambiez aux eaux grossies par la pluie et le dégel. L’aspirant Jean-Pierre Aumont et le chauffeur peuvent se dégager, mais le général s’est assommé sur le volant et reste inerte. Les sapeurs tentent de remonter la jeep, mais elle retombe dans le torrent et le corps du général part à la dérive emporté par le courant. Il sera retrouvé deux jours plus tard, près de Champagney.

Cette disparition plonge la division dans la consternation, elle a perdu celui qui l’avait façonnée à son image en Tunisie et au cours des combats d’Italie et de France et en avait fait une force parfaitement adaptée aux combats modernes. La présence constante de ce meneur d’hommes en première ligne était présage de victoire. Le général Brosset sera inhumé dans le cimetière divisionnaire de Villersexel le 24 novembre : il repose entre deux de ses fidèles, le commandant Langlois et le capitaine Mirkin, tués quelques jours plus tard.
Le 22 novembre, la division reprend sa progression, sous les ordres du général Garbay(*). Elle se heurte aussitôt dans un terrain détrempé et boueux à des résistances ennemies bien couvertes par des tirs de mortier et de canon de 88, mais elle poursuit l’attaque en suivant l’impulsion que son chef disparu lui avait donnée.
La bataille que va mener la 1re DFL entre dans une phase importante: elle va jouer un rôle capital, la 2e DB est à 40 kilomètres de Strasbourg, la 1re DB est dans Mulhouse mais connaît quelques difficultés par suite des réactions ennemies. Déjà la forêt de Hardt sert de repaire à des groupes allemands, qui menacent les voies de communications, réussissant même à les couper en plusieurs endroits. Par son action, la DFL va surmonter cet obstacle en rompant le front ennemi.
Le soir, la division est aux lisières sud de Giromagny, une tranchée entre Tête-des-Planches et Tête-d’Hanus est enlevée à la baïonnette, les bataillons du Morvan s’emparent de Belmont, Miellin.
C’est alors que, dans tout le secteur, l’ennemi retraite en direction du ballon de Servance Giromagny, évacué par les Allemands, est occupé. Le général Garbay remanie son dispositif, créant deux groupements avec les 1re et 4e brigades renforcées par des éléments blindés qui sont chargés l’un de l’action en direction du ballon d’Alsace, et l’autre d’exploiter en direction de Rougemont.
Mais la fatigue commence à se faire sentir, et les Antillais du bataillon de défense contre les avions sont transformés en fantassins et engagés avec la 22e BMNA.
La poursuite est difficile, les bataillons sont obligés de traverser des prés transformés en marécages où les véhicules s’embourbent. L’aide des habitants est précieuse, leurs attelages de bœufs sortent d’ennui nos tringlots et nos blindés. Tous nos efforts sont couronnés de succès en fin de journée du 23 novembre, malgré la ténacité des détachements retardateurs: Giromagny est occupé (BM 4, BM 5), Lachapelle-sous-Chaux et Sermamagny (BM 21), les étangs de la forêt de la Vaivre (BIMP) pris. Le régiment du Morvan est à Lauxey, au Martinet. L’hôtel du Ballon d’Alsace est conquis (1er BLE), mais le châlet Bonaparte et la ferme de Langenberg résistent. Le 2e BLE a perdu presque tous ses officiers, évacués blessés. Par le col de Chantoiseau, le BM XI s’approche de Sewen.
Le commandant du 2e CA met alors le groupement de choc Gambiez à la disposition de la DFL, qui l’introduit face à Lamadeleine. Le 24 novembre, la division s’empare du Ballon d’Alsace (1re BLE) sans rencontrer de résistance sérieuse, Sewen est occupé (BM XI). Les « chocs » de Gambiez poussent sur Saint-Nicolas, ils enlèvent un PC de régiment, puis tiennent les hauteurs surplombant Etueffont-Haut et Rougemont-le-Château. Petitmagny est pris (BM 5), Grosmagny occupé après de violents combats (BM 24), Eloie nettoyé maison par maison (BIMP). On sent alors que la défense allemande, toujours opiniâtre, est organisée. Grosmagny a été, en effet, la dernière position fortifiée de la ligne de résistance ennemie. Tous les villages ont été enlevés après de violents combats de rues; les destructions et les inondations ont certes ralenti notre action mais n’ont pu l’arrêter: les blindés du 1er RFM, du 8e RCA avec les escadrons portés du 11e Cuirassiers ont joué un rôle important dans cette poursuite. Dans la soirée du 25, Dollern, Oberbruck, Masevaux (2e BLE) sont à nous, quatre batteries d’artillerie ont été prises. Pendant toute cette avancée, les hommes ont beaucoup souffert de la pluie : le mauvais temps a causé la fonte des neiges et les routes sont fréquemment coupées par des ruisseaux, elles sont inondées lorsqu’elles passent dans un bas-fond ; sans parler des destructions opérées par les sapeurs allemands c’est ainsi qu’au saut de la Truite sur la route du Ballon d’Alsace existe une coupure de 30 mètres de large. Le 2e DIM reçoit l’ordre de relever la DFL sur la ligne qu’elle a atteinte, jalonné par Rimbach, Niederbruck, Kohlwald, Sickert, Le Rossberg et Rammersmatt. Nos patrouilles étaient même parvenues jusqu’à Thann.
Au cours de cette attaque, menée sur 34 kilomètres, la division a perdu 300 tués et 1500 blessés ; elle a capturé 750 prisonniers, plus 1 officier et 7 nazis de la Gestapo, 36 canons et un matériel important.
Malheureusement, la demi-brigade de choc a attaqué à la sortie de la ville de Masevaux dans des conditions dangereuses; elle a été arrêtée par des feux nourris de mitrailleuses et a subi des pertes sérieuses. Les jeunes candidats à Saint-Cyr de la Corniche de Janson-de-Sailly, engagés dans ses rangs, ont été décimés.
Le général Eisenhower, qu’accompagnent les généraux Devers, de Lattre et Monsabert, vient féliciter le général Garbay à son PC pour sa victoire, ainsi que le commandant Saint Hillier, qui a eu sa part dans le succès. Le commandant suprême interallié dit ce qu’il pense de la manœuvre puis il conclut : « La Première Armée française restera dans l’Histoire comme le vainqueur de Belfort, la 1re Division françaises libre étant l’élément de tête ayant réalisé la percée. » Il vient ensuite à moi et ajoute : « Dans notre armée, ce commandant serait colonel. » « Mais il l’est, répond de Lattre, à partir d’aujourd’hui » ; c’est ainsi que je fus nommé lieutenant-colonel à quelques jours de mes 33 ans. Grâce à ses combattants, la division inscrit au palmarès de ses victoires :
– au temps de la France libre, lorsqu’elle était seule au combat, Keren et Massaouah en Erythrée, le Levant, Bir Hakeim, El-Alamein en Libye ;
– puis avec l’armée d’Afrique, Takrouna en Tunisie, le Garigliano, Rome et Radicofani en Italie ;
– enfin, sur le sol de France, après le débarquement, Toulon, Lyon, la Franche-Comté, demain ce sera la défense de Strasbourg, Colmar puis l’Authion.
(*) Le général Garbay, né à Gray, a en janvier 1941 traversé l’Afrique d’est en ouest sur les traces de l’expédition Marchand. Avec son bataillon Sarah du Tchad, il a remporté la première victoire de la France libre s’emparant en Erythrée de la forteresse de Cubcub le 10 février, détruisant le 112e Colonial italien (100 tués) et s’emparant d’une batterie de 6 canons et d’un matériel considérable.