À propos de Médéric

À propos de Médéric

À propos de Médéric

Résistance

En octobre 1942, un groupe de résistants de la région de Bar-sur-Aube attendait des chefs qui devaient arriver de Troyes par le train de 11 heures dans le but d’organiser l’embryon de cellule qui commençait à travailler dans ce secteur qui allait devenir P3. J’étais en observation dans une pièce du premier étage dont la fenêtre prenait en enfilade la rue par où devaient obligatoirement arriver nos visiteurs. De cette façon, vus de loin, ils seraient attendus à la grille du parc et ne se feraient pas remarquer en attendant devant et en faisant carillonner la cloche.
Pour ne pas se faire remarquer, nous avons été servis ! Je les ai encore dans l’œil, débouchant du coin de la rue et arrivant sur moi au pas cadencé et d’une allure martiale. Un quarteron de braves, sans aucun doute. Parmi eux, celui qui paraissait le chef, un géant blond du type nordique, vêtu d’une culotte de cheval et d’une vareuse de coupe militaire, chaussé de bottes fauves et coiffé d’un béret kaki réglementaire, crânement incliné sur l’oreille. C’était Georges Wauters, directeur militaire de Champagne. À ses côtés, un lointain cousin, le lieutenant Panas, qui devait être tué au débarquement sur l’île d’Elbe, le même béret kaki, une culotte de cheval, des leggins et le fameux imperméable jaune en vigueur dans l’armée française en 1940. Le troisième dont le nom m’échappe était à l’évidence un aviateur. Béret bleu, culotte de cheval et gabardine bleue, bottes marron, lacées, et la superbe veste de cuir des aviateurs. Ces trois-là affichaient manifestement qu’ils étaient des officiers. À leurs côtés, un civil, sans particularité vu de loin. Mais de près, aux yeux aguerris des policiers allemands spécialisés, il ne pouvait nier être juif. Mais ne portait pas d’étoile jaune. Ce qui le désignait au contrôle.
Derrière eux, trottinait un petit homme rondouillard, en civil, porteur d’une serviette qui lui donnait l’allure d’un voyageur de commerce, ce qui était sa couverture : c’était Médéric. Quand il fut entré, je quittai mon perchoir pour rejoindre mes camarades dans la salle de réunion, au rez-de-chaussée. Et là j’assistai à la plus belle séance de remontage de bretelles qu’il me fut donné d’entendre dans ma carrière.
Médéric était déchaîné :
– Bande de c… ! A-t-on idée de se déguiser pareillement pour un rendez-vous clandestin ? Non seulement vous vous faites repérer, mais en plus, vous désignez clairement le lieu de rendez-vous !
L’un d’eux, Wouters, je crois, eut la mauvaise idée d’intervenir :
– Les Allemands sont ce qu’ils sont, mais ils respectent l’uniforme !
Médéric de plus en plus furieux :
– Ah bravo ! Mais vous êtes abrutis ?
Ça vous fera une belle jambe quand vous serez fusillés respectueusement en uniforme !
Nos braves baissaient la tête sous l’algarade.
– Et maintenant, travaillons » conclut Médéric.
Ce jour-là, il fut décidé que la maison ou une de ses dépendances conviendrait parfaitement pour émettre des messages à destination de Londres. Et l’emplacement idoine pour un terrain de parachutage d’armes fut repéré sur la carte pendant que l’on choisissait le texte du message qui annoncerait ledit parachutage sur un terrain codifié « Dindon ». Le message devrait dire : « Juliette a mal aux dents. » Je crois que la femme de l’un des participants qui avait eu besoin de soins dentaires la veille était à l’origine de ce qui donnait souvent un aspect comique aux « messages personnels » de la BBC. Heureusement , à cette époque la délation n’était pas encore très répandue dans le pays. Et, le culot payant, des hommes se promenant en uniforme ne pouvaient être que des envoyés du gouvernement. Car le lendemain, tous les habitants de la rue déclaraient que nous avions reçu des officiers. L’information ne remonta pas jusqu’aux Allemands.
Six mois plus tard, le parachutage eut lieu sans encombre. Deux jours après, la Gestapo de Troyes venait nous arrêter. Simple coïncidence, le manipulateur radio s’était fait arrêter et avait vendu l’endroit des émissions.
Jean de Kearney
Extrait de la Revue de la France Libre, n° 310, 4e trimestre 2000.