Avec le général Koenig, un des derniers jours à Bir-Hakeim

Avec le général Koenig, un des derniers jours à Bir-Hakeim

Avec le général Koenig, un des derniers jours à Bir-Hakeim

Par le lieutenant de vaisseau Iehlé

Le général vous demande à son P.C.
Pourquoi pas Amyot d’Inville ? Enfin, il n’y a qu’à aller voir. Dehors, il fait nuit noire, mais je sais trouver mon chemin maintenant et d’ailleurs le P.C. du général est tout près.
J’arrive et j’entre directement sous la tente enterrée. Je n’étais jamais allé chez le général et j’observe les lieux avec curiosité cela me paraît grand, trop grand à mon goût pour être à l’abri des bombardements. Le général est assis sur une chaise de toile, à côté de son chef d’état-major ; calme, très détendu, il conserve son sourire perpétuellement blagueur et cela me réconforte et me donne confiance ; s’il est si tranquille, c’est que cela ne va pas si mal.
« Iehlé, je sais que c’est vous qui vous occupez du ravitaillement chez les fusiliers marins ; or, les fusiliers marins sont gens débrouillards et l’on m’a dit que vous aviez encore de l’eau en réserve.
– Mon Général, j’ai fait quelques provisions et j’ai sérieusement rationné les hommes. »
Je commence à deviner pourquoi j’ai été convoqué et ce pourquoi ne me plaît pas du tout, oh mais alors, pas du tout ! Le général le sent bien d’ailleurs, car il y met des formes.
« Mon cher Iehlé, voilà la situation difficile dans laquelle je me trouve. Le B.M.2, comme vous le savez, a subi des attaques très dures aujourd’hui et ses tirailleurs sont absolument épuisés et à bout ; il faut pourtant qu’ils tiennent et vous n’ignorez pas qu’ils ne tiendront pas sans eau ; or, toutes les réserves du bataillon ont été détruites par le bombardement de 15 heures. Il faut que vous m’aidiez, Iehlé donnez-moi un peu d’eau. »
Aïe ! Cette eau que j’ai été chercher très loin dans le désert, les semaines passées, dans des puits abandonnés ; cette eau que je mesure, chaque nuit, à la goutte près et sur laquelle je veille jalousement ! C’est vrai que jusqu’à présent, par je ne sais quel miracle, aucun de nos fûts de 200 litres n’a été touché et que je n’ai rien perdu ; mais c’est grâce à cette eau que les fusiliers marins tiennent le coup.
« Iehlé, honnêtement, combien pourriez-vous me donner ? »
Évidemment, si c’est au général, qu’il faut rendre service… voyons, si j’en garde pour trois jours et c’est bien le maximum de temps que nous pourrions encore tenir, je pourrais donner…
« 400 litres, Mon Général.
– C’est chic, cela, je vous remercie. Je la ferai prendre ce soir même, car c’est urgent. Et dites donc, vos fusiliers marins ont été splendides aujourd’hui ; c’est vrai qu’ils n’ont pas descendu d’avion, mais je crois qu’il y en a eu deux de touchés et s’ils ne tiraient pas comme ils le font, les attaques aériennes seraient infiniment plus meurtrières.
– Oh ! Vous savez, Mon Général, on arrive aux derniers obus de DCA ; demain, il faudra probablement utilise les obus antichars. »
Me revoilà dehors. Je ne suis pas très content de moi-même ; donner ainsi mon eau ; il est vrai que ce n’est pas la peine d’en garder plus qu’il n’y a de vivres ; mais tout de même, c’était l’eau des fusiliers marins.
Extrait de la Revue de la France Libre, n° 211, juin-juillet-1975.