La campagne de Syrie
par le général Saint Hillier, compagnon de la Libération
Le Caire, 8 juin 1941, le PC des Forces Françaises Libres communique : “En coopération avec nos alliés britanniques, nos troupes sont entrées ce matin en Syrie et au Liban.”
Vingt-sept ans après, les acteurs de cet affrontement – connu sous le nom de « guerre de Syrie » – gardent encore les uns, le souvenir du chagrin qu’ils ont éprouvé à combattre des Français, les autres, celui de l’amertume ressentie à la suite des résultats décevants d’un mois de violents combats. De part et d’autre, les pertes ont fait des vides et causé des souffrances dans les familles. Cela n’a cependant pas empêché ceux qui, les armes à la main, s’opposèrent en Syrie, de se retrouver unis dans la fraternité d’armes des combats de Bir-Hakeim d’abord, d’Italie et de France ensuite.
Les raisons de l’intervention des FFL en Syrie méritent d’être exposées. Reportons-nous à l’année 1941, où le Levant suscite de plus en plus d’intérêt pour :
– les Français, qui s’y trouvent en raison d’un mandat confié à la France par la SDN ; c’est normal ;
– les Britanniques, qui n’ont jamais supporté de bon cœur la présence de la France au Moyen-Orient ; c’est un fait ;
– les Français Libres, qui voudraient bien faire entrer ces territoires dans la guerre ;
– les Allemands, enfin, qui, vainqueurs dans les Balkans, dominent la Méditerranée de Palerme à Rhodes, menacent alors la position anglaise en Égypte et s’apprêtent en outre à attaquer la Russie.
Le paradis terrestre
L’importance stratégique du Liban et de la Syrie est un des truismes de l’histoire : les grands conquérants se sont portés tour à tour vers ces pays où l’on se plaît à situer le paradis terrestre.
En 1941, les Allemands pensaient que le contrôle de ces territoires leur donnerait un sérieux atout pour les opérations à venir. Les nazis se trouveraient ainsi à l’extrémité de la branche française du pipe-line amenant le pétrole irakien ; à portée d’avion et capables d’intervenir :
– soit contre l’armée britannique engagée en Égypte, en particulier sur le canal de Suez par où passe tout son ravitaillement ;
– soit en Russie ;
– soit en Inde, où se construisent les industries nécessaires à l’effort de guerre britannique.
Ils se sentiraient chez eux au sein de populations arabes turbulentes qui apprécient leur force. Ils pèseraient, par leur voisinage, sur la Turquie, état neutre mais indécis, où l’habile ambassadeur allemand von Papen se dépense activement.
Les événements d’Irak fournissent bien à quelques éléments des troupes françaises du Levant l’occasion de voir de près, en Syrie et au Liban, quelques aviateurs allemands, mais le général de Gaulle attend – en vain – une réaction d’indignation de leur part qui leur permette de réaliser, face à l’ennemi, un front commun des Français. Ces événements, autant que l’incertitude du moment, incitent le gouvernement britannique à penser qu’il vaut mieux brusquer les choses dans cette région, plutôt que s’en tenir au modus vivendi établi avec le haut commissaire de Vichy.
C’est pourquoi les Alliés, Français et Britanniques, se décident à attaquer la Syrie. Cette décision, dont la nécessité était immédiatement apparue au général de Gaulle, est conforme aux réserves formulées par le communiqué du Foreign Office, en date du 1er juillet 1940. Il faut ajouter que le général Wavell, commandant en chef britannique au Moyen-Orient, se jugeant largement occupé par les multiples fronts où il doit porter ses armes, ne veut pas s’en prendre aux Français de Syrie, qu’il estime peu encombrants. Mais, discipliné, Wavell obéit à l’ordre d’ouvrir un nouveau font, comme en face de lui, fidèle au maréchal, le général Dentz résiste.
Des gaullistes indésirables
De l’autre côté de la frontière palestinienne, les Français vivent en paix. Ils ont subi l’armistice, à regret d’ailleurs, car ils n’ont pas combattu. Ils ont dû déposer leur armes lourdes et stocker les véhicules dans des parcs qu’une commission italienne – commandée par le général Di Giorgis – contrôle de près.
Ces Italiens ne sont “ni chicaniers, ni exigeants”, mais, bien que discrets, ils sont là. En revanche, les Allemands se révèlent plus gênants : de nombreux nationaux d’outre-Rhin vivaient au Liban et il a bien fallu, après juin 1940, les libérer des camps d’internement.
Jusqu’en juin 1941, cette “cinquième colonne” s’est consacrée à une propagande active en faveur de l’ordre nouveau établi par la nouvelle race élue. Depuis le début de 1941, un diplomate allemand a été accrédité auprès du haut commissaire à Beyrouth et la projection du film Sieg im Westen (1), organisée par ce personnage officiel, a soulevé de telles protestations qu’elle a dû être interdite par l’autorité française.
Tout cela semble ne pas mettre en cause le mandat qu’exerce, au nom de la France, le général Dentz, haut commissaire à Beyrouth. Il a accepté le poste de chef civil et militaire, dans un pays qu’il connaît pour y avoir déjà servi. Par tradition familiale, il est anti-allemand, mais, à l’heure du choix, il a opté pour une obéissance totale au maréchal Pétain. Cette décision lui pose des problèmes : s’il a pu se montrer tolérant à l’égard de certains de ses compatriotes, inquiets de l’orientation de la politique française, il a estimé de son devoir de rapatrier d’office, en février 1941, des “gaullistes” qualifiés d’indésirables.
Sur le plan politique, les relations cordiales qu’il a entretenues avec les agents consulaires britanniques lui ont permis d’obtenir des facilités pour le passage du ravitaillement destiné au Levant. Mais il ne peut guère prendre d’initiatives. Il subit le contrecoup des décisions prises à Vichy dans le cadre d’une politique que, par obéissance comme par attributions, il s’interdit de juger. Par malheur pour lui, le Levant représente un élément de cette politique. Et quand, après les négociations de mai 1941, les protocoles de Paris sont signés par Darlan avec les Allemands, il exécute les ordres donnés en application de ce protocole.
C’est alors que le général Catroux est nommé, en 1941, délégué du général de Gaulle pour le Moyen-Orient. La 1re Division Légère de la France Libre est alors formée.
Le général Legentilhomme la commande. Il rassemble, en mai, au camp de Qastinah (Palestine), les formations – 5 400 hommes environ – qui reviennent du combat, soit de Libye, soit d’Érythrée.
Peu préoccupées d’un lendemain qu’elles veulent ignorer, elles se retrouvent en Palestine. Il y a là des troupes de métier, constituées de Sénégalais, de Nord-Africains et de légionnaires, mais aussi des formations entièrement composées de jeunes Français : réservistes mobilisés en 1939, appelés du contingent en service actif au début de la guerre et évadés de France après le mois de juin 1940. Ils sont ainsi près de 2 000, tous volontaires et déjà aguerris par plus d’une année d’opérations.
Cette division a pour éléments de combat six bataillons d’infanterie, un bataillon de fusiliers marins à deux compagnies, une compagnie de 12 chars, deux escadrons de spahis, deux batteries d’artillerie à quatre canons chacune, 15 pièces antichars, une compagnie du génie.
Quelques jours plus tard, le colonel Collet, venant de Syrie, franchit la frontière transjordanienne et passe à la France Libre, apportant en renfort à la division 36 officiers, 65 sous-officiers, 352 cavaliers, français et tcherkesses venant de Syrie.
Dénonçant les facilités de transit et l’aide matérielle apportées aux Allemands, qui interviennent en Irak, Collet adresse à ses camarades du Levant un pressant appel qui reste sans écho.
S’opposer aux convoitises de “qui que ce soit”
Il apparaît dès lors que le Levant sera le prochain théâtre où la 1re DFL doit être engagée. Pour répondre au cas de conscience qui se pose alors à ses éléments français, le général Legentilhomme leur expose, au mois de juin, les activités de l’ennemi et leur montre la nécessité d’agir, de se ranger aux côtés des forces alliées, comme l’exige la situation nouvelle.
Il décrit l’activité allemande au Levant et présente des pièces officielles relatives à la mise à la disposition de l’ennemi, sans condition de durée, de bases aériennes et navales, aussi bien que l’envoi de matériels de guerre aux révoltés irakiens. Il ajoute enfin que la présence des Français dans l’action est une condition essentielle pour la conservation du mandat sur le Levant.
Les précisions du général Legentilhomme
Voici les détails de l’exposé du général et les documents produits.
Activités allemandes
La propagande nazie se développe par l’intermédiaire d’une agence d’information dirigée par un certain Rudolf Roser, dont le QG se trouve à l’hôtel Métropole, de Beyrouth. Il manipule environ 1 500 agents, en grande partie “honnêtes commerçants” allemands. Des fonds importants, des armes et des émetteurs (à Alep, par exemple) sont à sa disposition. Les agitateurs indigènes Sand Kelami et Rachil Barbie à Beyrouth sont à ses ordres.
À ces activités des propagande et de collecte de renseignements s’ajoutent des reconnaissances de terrain par quelques missions militaires temporaires (von Prat et von Lettord-Vorbeck).
Depuis janvier 1941, les manœuvres et les objectifs des Allemands se précisent. Ils dépêchent à Beyrouth un délégué, le ministre plénipotentiaire von Hentig, spécialiste de l’orient immédiatement, le travail de sape de la volonté de résistance des Français et d’action sur les autochtones s’accroît.
Les partis d’opposition, tirant argument du fait que le gouvernement de Vichy s’est retiré de la Société des Nations revendiquent officiellement le départ des Français du Levant. Ils sont soutenus par les Allemands et provoquent des manifestations à Alep, Homs et Damas.
Von Hentig, prêchant le prochain avènement de l’ère allemande, entreprend alors, avec un apparat quasi officiel, une tournée de visites aux notabilités, aux chefs religieux et aux écoles, à Beyrouth, Damas, Tripoli et Alep.
Parallèlement, cette mission s’occupe d’objectifs économiques en prélevant au Levant de la soie, du papier, de la laine, des peaux et de l’or nécessaires à l’effort de guerre allemand.
Livraisons de bases aériennes, à l’occasion de la révolte irakienne
a) Télégramme officiel, en date du 10 mai 1941, du général Huntziger au général Dentz :
« Au cours de ses conversations avec le Führer, l’amiral Darlan a concédé aux Allemands l’utilisation des bases aériennes du Levant.
« Je vous prie de me faire connaître, par télégramme, personnellement, si une pareille mesure risque d’amener des troubles dans l’armée du Levant.
“Télégraphiez vos suggestions. Aucune mesure d’exécution ne sera prise avant que votre réponse n’ait été communiquée à la commission d’armistice.”
b) Télégramme officiel, en date du 11 mai 1941, du général Huntziger au général Dentz :
« En cas de survol du Levant par des avions allemands ou italiens, abstenez-vous de toute riposte.
« Si certains de ces avions atterrissent sur vos aérodromes, recevez-les et demandez des instructions.
“Les avions anglais doivent, par contre, être attaqués par tous les moyens.”
Le 11 mai 1941, trois avions allemands atterrissent, à la tombée de la nuit, à Rayak ; ils repartent sur Mesze, où l’ordre est donné de recevoir des “personnalités munies de pleins pouvoir extraordinaires”.
Il s’agit de six officiers allemands qui sont mal accueillis par le commandant de base, attitude qui lui vaut des rappels à l’ordre et des menaces de sanctions de la part l’état-major de Beyrouth. Cette mission s’installe à l’Orient Palace, de Damas.
Le 12 mai 1941, 14 bombardiers légers (He-111) et trois transports “Condor” atterrissent à Mesze.
c) Le 15 mai 1941, les services britanniques signalent :
“Un certain nombre d’avions allemands, avec des marques maquillées, ont atterri sur trois aérodromes syriens (Alep, Palmyre, Deir-ez-Zor).”
d) Télégramme d’Alep n° N/GC/461A en date du 10 mai 1941 :
“Trois avions allemands Heinkel, escortés par un avion français, sont arrivés à Alep, venant de Beyrouth, hier soir, chacun transportant six passagers. Deux d’entre eux sont repartis ce matin pour une destination inconnue. Le troisième est encore ici. Parmi les passagers, il y avait un général allemand, qui a reçu les membres de la colonie allemande et des amis à son hôtel pendant toute la journée. Cet incident a jeté le trouble dans la population française et indigène.”
e) Un compte rendu n° 878 du 2e bureau de l’état-major de Beyrouth, daté du 17 mai 1941, relate l’arrivée d’avions allemands à Mesze.
f) En outre, une base militaire allemande est installée dans la partie sud du terrain de Neirab, près d’Alep, autrefois réservée à l’aviation civile.
Des Junkers-52 y amènent 150 spécialistes allemands qui, travaillant en civil, installent des ateliers et montent des baraquements.
Le 12 mai, le colonel Mantteufel prend le commandement de l’enclave allemande de Neirab, dont les effectifs sont rapidement portés à 200.
g) Les autorités diplomatiques américaines confirment aux Britanniques ces faits. Par elles, nous savons que le haut commissaire, ému de ces présences, a demandé qu’« à l’avenir les avions allemands venant en Syrie atterrissent à Palmyre pour ne pas se faire trop remarquer ».
h) Les compagnies pétrolières, enfin, rapportent que “les avions allemands arrivés à Damas ont été approvisionnés de 22 tonnes métriques d’essence d’aviation à 90 octanes. Il ne reste plus que 87 tonnes de ce type d’essence à Damas”.
D’autres informations étaient en possession du général Legentilhomme, mais seuls sont cités par lui les textes comportant un caractère officiel et incontestable.
Livraisons de bases navales
26 mai, télégramme officiel au général Dentz :
“Les Allemands exigent l’utilisation des ports de Beyrouth, Tripoli et Lattaquié. Veuillez faire connaître d’urgence votre point de vue.”
Les FFL ne connaissaient pas alors la réponse du général Dentz (2). Mais un certain Renoir se présente à Lattaquié pour contrôler les activités de ce port. Le colonel Jordan, délégué local, doit s’incliner devant les exigences officielles allemandes qui portent sur la mise à sa disposition du personnel et des moyens de transport civils nécessaires.
Livraisons de matériel de guerre
Enfin, des transports d’armes ont été assurés au profit des Irakiens en conflit avec les Britanniques :
a) 12 mai 1941. Train d’Alep (départ 10 heures) à Tel-Kotchek (arrivée le 13 mai, à 4 h 47) ; 22 wagons ; chargement : 10 000 fusils, 250 armes automatiques, quatre canons de 75.
b) 12 mai 1941. Train d’Alep (départ 12 h 17 arrivée à Tel-Kotchek à 7 h 55) 12 wagons ; chargement 160 tonnes d’armes et de munitions.
c) 25 mai 1941. Train d’Alep (départ 0 h 25) à Tel-Kotchek (arrivée le 26 à 19 h 57) ; 14 plates-formes chargées de deux camions chacun remplis de fûts d’essence d’avion ; 12 wagons : 170 tonnes d’armes et de munitions.
d) 27 mai 1941. Train d’Alep (départ 1 h 15) à Tel-Kotchek (arrivée le 27, à 20 h 13) ; 12 plates-formes chargées de deux camions pleins de fûts d’essence d’avion ; quatre plates-formes pour une batterie de 155 ; neuf wagons contenant 125 tonnes d’armes et de munitions…
Les armes, munitions et canons, ainsi que l’essence sont prélevés, ajoutait le général Legentilhomme, sur les “parcs C” où l’armée française du Levant les a déposés, conformément aux clauses de l’armistice acceptées par le général Mittelhauser.
Comme la voie ferrée d’Alep à Tel-Kotchek traverse le territoire turc, le transit des armes est soumis – en vertu du traité d’amitié signé avec la Turquie – à l’obligation d’un préavis de cinq jours et à celle d’une escorte, étant entendu que ces armes ne peuvent servir qu’aux formations françaises chargées du maintien de la paix dans cette région.
Le préavis a été réduit à la demande de l’état-major du Levant et les escortes fournies se montent, à notre connaissance, ajoutait le général, pour chacun des deux premiers trains, à une demi-compagnie du 16e régiment de tirailleurs tunisiens.
Un officier de l’état-major de Beyrouth attendait au terminus pour remettre ces précieux chargements à un civil à l’accent prononcé : M. Reinhart, venu de Kamechliyé. Une locomotive irakienne remorquait ensuite le train et son chargement.
Présence nécessaire des Français
En apprenant que la décision prise par le cabinet de guerre n’est ni le résultat des pressions du général de Gaulle, ni la suite des informations données par les FFL, Wavell admet enfin la nécessité d’entreprendre une action de guerre au Levant.
Et puisque les Britanniques sont résolus à intervenir en Syrie, il ne faut pas que l’élimination, par les armes, de l’armée française du Levant entraîne l’éviction de la France de cette région. La présence des FFL à leurs côtés permet de maintenir les droits de la France, droits dont ils revendiquent la responsabilité.
De l’autre côté, l’armée française de Syrie et du Liban n’est naturellement pas tenue informée de l’ampleur des prestations données à l’ennemi. Le commandant prend la responsabilité de l’envoyer au combat en pleine équivoque. Ignorante d’une politique facilitant les intrigues allemandes, elle adopte l’attitude qu’exigent le serment d’allégeance au maréchal, fait par écrit, et la volonté de remplir la mission de s’opposer, dans l’Empire, aux convoitises de “qui que ce soit”. Ses chefs, pour l’engager davantage, lui font miroiter l’espoir d’une amélioration du sort de la métropole et le retour de prisonniers.
L’impossible choix
L’occupation de la Syrie était, semble-t-il, aussi importante, en 1941, que le débarquement de novembre 1942 en Afrique. Or, ces deux opérations n’éveilleront pas, tant s’en faut, les mêmes échos émotionnels chez les Français.
C’est dire que la longueur des combats menés au Levant et leur exploitation psychologique joueront un rôle dans cette prise de position.
Les Allemands, si l’on excepte une distribution d’armes aux partisans kurdes, qui en profitent pour massacrer des Indiens à Rakka, ne prennent aucune part à la guerre. Évacuant progressivement le Levant, où ils espèrent revenir, ils y laissent du matériel : émetteurs, armes, uniformes allemands. Un de leurs diplomates, Otto Rahn, assurera la liaison avec le haut commissaire jusqu’au 12 juillet, date de son départ pour la Turquie.
La parole est maintenant aux armes. Le général Dentz, qui commande l’armée du Levant, va engager 30 000 hommes, soit 27 bataillons, 21 batteries d’artillerie de campagne (84 canons) (3), 14 pièces antichars et 90 chars en face des 20 000 hommes que commande le général Wilson (15 bataillons, 40 canons, 12 chars). L’avantage est pour lui dans les airs : 90 appareils contre les 70 de la RAF.
En revanche, sur mer, la Royal Navy est supérieure en puissance. Une task force de trois croiseurs, six destroyers a mission d’empêcher la marine française (deux contre-torpilleurs, un aviso, trois sous-marins (4) et, vers la fin, six avions torpilleurs) d’intervenir et de prendre à partie les positions tenues par les Français dans le sud du Liban.
Les troupes françaises du Levant, composées de soldats de métier appartenant essentiellement à l’armée d’Afrique, montrent, par leur acharnement, qu’elles valent bien, au combat, Australiens, Indiens et Français Libres.
Comme il n’y a pas de surprise, la mise en défense du Levant étant réalisée dès le 6 juin, il semble que ce soit l’exécution des dispositions prises par le commandement qui sera cause de leur insuccès.
Dès le début du conflit, le général Di Giorgis (5) offre la participation des bombardiers de l’Axe. Il se voit, le 9 juin, refuser l’utilisation des aérodromes de Syrie.
À la demande pressante de l’amiral commandant la marine du Levant, Dentz demande, le 11 juin, l’intervention de la Luftwaffe. C’est au tour de son gouvernement d’hésiter. Un compromis est trouvé en lui envoyant des formations aériennes françaises. À partir d’Istres, via Athènes, la 4e flottille de bombardement (escadrilles 6 B et 7 B) et l’escadrille de chasse 1 AC (12 Dewoitine-520) gagnent le Moyen-Orient. Elles y arrivent le 15 juin.
Le refus des équipages français de coopérer avec les Allemands fait échouer les demandes présentées le 15 juin pour obtenir des Stuka.
Les avions allemands doivent se contenter d’intervenir, hors de la zone des combats, à partir de terrains éloignés. C’est ainsi que des mines sont mouillées en mer pour gêner les mouvements de la Royal Navy.
Les Horaces et les Curiaces
Les tentatives de renforcement en troupes terrestres échouent. Plusieurs bataillons partis d’Afrique du Nord, transportés par chemin de fer de Belfort à Salonique, ne peuvent aller plus loin.
Quelque 500 militaires de tout rang et un tonnage assez important de matériel sont bien transportés par voie aérienne (6) et maritime (sur les trois contre-torpilleurs) : ils ne pourront modifier l’issue des combats.
Les 18 000 hommes qui constituent les troupes spéciales du Levant sont chargés de la garde des arrières ; ils n’ont pas à agir contre les populations. Celles-ci, malgré leur xénophobie et la “famine”, qui les fait moins souffrir que nos compatriotes de la métropole soumis aux “restrictions”, ne se manifestent que pour massacrer les… Indiens à Rakka. Rahn ne s’était pas vanté lorsqu’il affirmait que ses agitateurs avaient de l’influence !
La proclamation de l’indépendance des états du Levant, faite au nom du général de Gaulle par le général Catroux, le 8 juin 1941, ne peut, alors que les troupes britanniques et les Forces Françaises Libres viennent de pénétrer en Syrie, rompre l’attentisme des populations. Celles-ci s’apprêtent à faire le gros dos sous l’orage, en attendant de manifester de nouveau l’attitude agressive que les habitants du Moyen-Orient ont toujours montrée à l’égard des étrangers. Mais l’application des accords signés en 1938 et dont un artifice de procédure avait fait ajourner, en 1939, la ratification, met le comble à la fureur de l’amiral Darlan.
Pour ne négliger aucune éventualité, la radio du Caire lance des appels aux Français du Levant, des parlementaires précèdent les troupes alliées, des tracts arrosent les troupes. Il n’y a aucune chance d’éviter le conflit, les deux camps le savent bien ; ces mesures spectaculaires n’ont aucun résultat. D’ailleurs, les hostilités sont déjà commencées ; depuis trois semaines, la RAF intervient contre les aérodromes où stationnent des avions allemands. Les premiers blessés sont des Français ; il s’agit de troupes d’entretien des bases et de servants de DCA. Les premiers morts appartiennent à la RAF : l’équipage d’un bombardier intercepté près d’Alep et abattu par la chasse française.
Un examen rapide de la carte montre que le général Wilson, commandant en chef des forces de Palestine et de Transjordanie, dispose de trois axes de pénétration. Il en fait trois axes d’attaque, sensiblement parallèles à la côte, menant à toutes les villes de Syrie et du Liban :
– route côtière de Haïfa à Beyrouth, Tripoli, Lattaquié ;
– route Merjouyoun, Zahlé, Homs, Alep, à partir de la Palestine ;
– route Deraa, Damas, Nabk, Homs, à partir de la Transjordanie.
Les mêmes considérations physiques et topographiques obligent le commandement français du Levant à concevoir une défense sur plusieurs lignes de résistance avant d’arrêter l’assaillant sur la dernière position Saassa, Nahr-el Aouadj, Kissoué, djebel Maani, hauteurs couvrant Beyrouth et Damas. Il répartit ses effectifs entre les divers points forts choisis.
On ne peut mieux illustrer ce comportement qu’en évoquant une image tirée de nos classiques : le commandement français a, de son plein gré, imposé à de valeureuses troupes la situation que connut chacun des Curiaces face au dernier des Horaces.
Enfin, une réserve de chars et d’automitrailleuses, armés par des soldats français, se trouve à quelques kilomètres au sud de Damas.
L’attaque terrestre se déclenche le 8 juin 1941. La défense que lui oppose l’armée française du Levant fait honneur aux qualités des soldats qui la mènent. Apprenant l’ouverture des hostilités, le gouvernement du maréchal demande aux États-Unis la condamnation morale de l’agression : il obtient une réponse dont les termes vont très exactement à l’opposé de ses désirs.
Quatre-vingts kilomètres en 30 jours
Le 4 juin, le général Wilson a donné ses instructions à ses subordonnés des trois armées.
Le général australien Lavarack est responsable des opérations terrestres. Il partage ses forces en deux groupes, l’un, australien, opérera dans le Liban ; l’autre, franco-britannique (1re DFL – 5e brigade indienne), opérera en Syrie.
Le premier objectif fixé est la route transversale Damas-Beyrouth ; le deuxième, la transversale Homs-Tripoli.
Enfin, il envisage des actions à partir de l’Irak dans la direction de Palmyre, au cours de la deuxième phase.
La 7e division (7) s’engage donc sur les deux axes routiers de sa zone ; l’un va de Metoulla-Merjouyoun à Rayak, l’autre suit le littoral et conduit à Beyrouth. Elle progresse lentement sur un terrain accidenté jusqu’au fleuve Nahr-el-Litani. L’état de la mer empêche le débarquement du commando chargé de se saisir des passagers sur le Litani.
La 21e brigade australienne, retardée considérablement par les destructions et la résistance des Français, prend Sour (Tyr) et atteint le fleuve à Kyndié. Et le 9 juin au matin, les tirailleurs algériens subissent l’assaut australien. Pris à revers par un important commando qui réussit son débarquement, attaqués de front, ils résistent et maintiennent leurs positions.
Mais la Royal Navy intervient, malgré les assauts violents de la marine française des forces du Levant, pilonne les positions françaises et détruit sur ses camions un bataillon envoyé en renfort ; le 10 juin, le résultat est acquis, les points d’appui sont enlevés l’un après l’autre. Un destroyer britannique, le Janus, est mis hors de combat.
La 25e brigade australienne marche sur Merjouyoun en subissant les mêmes difficultés. Par une opération de nuit, elle enlève cette ville le 16 juin, puis s’arrête à Nabatieh. Une violente contre-attaque française à Sayda donne un sursis aux défenseurs. La poussée sur Beyrouth perd de sa violence et une semaine calme, coupée de quelques escarmouches, permet de consolider la position de résistance installée derrière le Nahr-el-Damour. Le 9 juillet, l’assaut reprend, les Australiens percent et ne sont plus qu’à 15 kilomètres de la capitale du Liban, contenus par le 6e Régiment de la Légion. Les Australiens conquièrent ainsi, pied à pied, 80 kilomètres en 30 jours. Les Bataillons de Tirailleurs et de la Légion engagés successivement, fondent dans la bataille.
Sur mer, la marine française du Levant mène ardemment son combat ; dans la nuit du 15 au 16 juin, le contre-torpilleur Chevalier-Paul parti de France avec des munitions est coulé par une torpille lancée d’un avion. Tous les bâtiments de surface sont touchés, le 22 juin, au cours d’un combat de rencontre avec une force adverse supérieure en nombre, au large de Djounieh. Le sous-marin Souffleur est coulé peu après. Renforcée, le 21 juin, du Vaquelin, la division de contre-torpilleurs quitte les eaux du Liban à la fin du mois de juin pour amener les renforts venus d’Europe. Elle rallie finalement Salonique, le 7 juillet. Dans ces combats, trois destroyers britanniques ont été mis temporairement hors de combat.
Les Punjabis de Kissoué
Si l’offensive sur Damas se heurte à une résistance acharnée, en revanche, elle a progressé assez vite au début. Or, c’est sur cet axe que le général Dentz attend l’effort principal des Alliés. La 5e Brigade Indienne doit enlever Deraa, puis percer la position Kouneitra-Cheik-Meskine afin d’ouvrir la voie à la 1re DFL, dont Damas est l’objectif.
Kouneitra est prise le soir même, mais Cheik-Meskine résiste jusqu’au 9 juin. La 1re DFL, qu’un bombardement aérien a légèrement éprouvée, doit donc s’engager plus tôt que prévu. Elle conquiert, sans pertes, Azraa, le 9 au matin, et atteint, le soir même, la ligne Kissoué, Taibé, Kiara-Denoun.
L’ordre est donné, pour le 10 juin, de franchir cette ligne. Deir-Ali et le sommet du djebel Maani sont conquis par deux bataillons coloniaux, mais le bataillon du Cameroun est bloqué par un violent bombardement aérien.
La position qu’occupent les Français du Levant est solidement tenue. Pour en venir à bout, la 51e Brigade Indienne monte en ligne face à Kissoué, tandis que les Français Libres consolident leurs conquêtes sur le djebel Maani et que leur droite atteint Rabarheb.
Le même jour, à trois reprises, le QG de la division subit une attaque aérienne et le général Legentilhomme est blessé.
C’est le 15 au matin que les Punjabis s’emparent de Kissoué ; ils profitent – sans le savoir – d’un mouvement de relève des tirailleurs algériens. Le Tel-Kissoué est aussitôt enlevé dans la foulée.
Et pendant ce temps, le détachement Collet, flanc-garde de droite de la 1re DFL, progresse. Le 8 juin, il est à Fikkhisfine ; le 9, il atteint Mesmiyé et prend le contact avec son adversaire sur le Nahr-el-Aouadj, aux abords de Nahja. Mais il ne peut franchir cette rivière.
Subissant des contre-attaques blindées, il se replie et tente sans succès pendant deux jours de reprendre sa progression.
Pour le sommet pelé d’un djebel
Le 15 juin, sur tout le front, la contre-attaque française se déclenche : chars, auto mitrailleurs, accompagnés de cavaliers et d’infanterie sur camions, attaquent en direction de Kouneitra et de Cheik-Meskine. Elle reprend, à l’est, Merjouyoun aux Australiens, puis elle est arrêtée par une résistance acharnée. Elle inflige à Collet de lourdes pertes ; tous les officiers et le tiers de l’escadron de spahis marocains sont tués ou blessés, 10 chars sur 12 détruits, 12 AM sur 17 (8) hors de combat.
Elle aborde à Kouneitra le Royal Fusilier avec son infanterie, des AM et 20 chars. Les Britanniques tiennent quarante-huit heures et les survivants capitulent, ayant épuisé toutes leurs munitions. Les Tckerkesses ont, face aux Anglais, perdu la plupart de leurs cadres français.
Azraa à son tour est reprise, et c’est une batterie anglaise qui sauve Cheik-Meskine, où elle est arrivée en fin d’après-midi, tirant à vue sur les chars qui l’attaquent.
Le soir, les Français de Dentz se promènent librement sur la route entre Deraa et Cheikj-Meskine, coupent les communications des Français Libres vers l’arrière et incendient camions et impedimenta.
Le général Legentilhomme décide néanmoins de poursuivre l’attaque en direction de Damas, avec les Indiens sur la partie du djebel Maani non encore conquise et un bataillon sénégalais sur le djebel Achrafiyé. Les objectifs sont pris, les contre-attaques locales arrêtées.
Quant aux Forces Françaises Libres – le Bataillon d’Infanterie de Marine (BIM) et les fusiliers marins – soutenues par une batterie d’artillerie, elles reçoivent la mission de rétablir les communications vers l’arrière. Le 17 juin, dans la soirée, c’est chose faite, les blindés adverses se sont retirés.
Les Britanniques, conscients du danger qu’ils courent d’être rejetés à la frontière, prennent le risque de prélever sur le front d’Égypte la 16e brigade pour l’amener au Levant. Ils portent vers Damas quelques détachements enlevés à la 7e division australienne.
La 1re DFL progresse aussi. Aux combats pour la possession d’un caillou ou du sommet pelé d’un djebel vont succéder les surprises de la lutte dans la ghouta – les jardins – des Damas.
Dans les jardins de Damas
Le soleil et l’eau y font jaillir une vie exubérante. Au milieu des arbres, dans les chemins creux bordés de murettes en terre séchée, dans les maisons transformées en fortins, les tirailleurs nord-africains et sénégalais freinent l’avance des Français Libres. Les embuscades se succèdent ; une section s’avance-t-elle sous des regards qui l’épient, elle se voit brusquement prise à revers ; un détachement qui, de nuit, échappe aux Britanniques se réfugie-t-il chez des Français, il se réveille le lendemain pris au piège par la partie adverse.
Une trêve est acceptée pour préserver Damas ; elle a pour but d’éviter que les communautés de confessions différentes ne s’égorgent dans la ville… Le long de la rue principale, un détachement d’arrière-garde suit le côté droit, l’avant-garde adverse marche en colonne sur le côté gauche. Ils vont en silence. Un bombardier allemand, que personne n’attendait, ponctuera de quatre bombes jetées sur Damas, la fin de cette trêve.
Demain, aux débouchés nord de la ville, sur un nouvel échiquier, les pièces du jeu se remettront en place : ici, le roi ; là, les cavaliers, les fous… Le dispositif de défense des Français du Levant s’appuie sur les contreforts de l’anti-Liban ; un détachement cuirassé est formé avec le reste des chars et des automitrailleuses dans la région d’Homs.
Un pion noir s’avance, le bataillon colonial de l’Oubangui-Chari, et c’est la prise de Nabk, un intense tir d’artillerie et la contre-attaque de 14 chars. Les coloniaux résistent.
À Ktayré, Dimas, Adimet-el-Adoua, même progression, même attaque, le tir d’artillerie précédant la contre-attaque.
La résistance des Français du Levant diminue graduellement, leurs effectifs et leurs moyens s’amenuisent. Ils mènent le combat pour l’honneur, auquel leurs chefs ont fait appel, pour gagner du temps et parce qu’ils pensent que leur résistance sert à la sauvegarde du reste de l’Empire.
Pour remplacer la brigade indienne, très éprouvée, une nouvelle brigade britannique est prélevée en Égypte, elle interviendra dans les derniers jours du combat au djebel Mazar (1 640 m).
Les Français du Levant sont à égalité numérique avec les Alliés qui attaquent. Ils ont, sur leur adversaire, l’avantage de posséder des blindés qui assurent le succès des contre-attaques.
Dans les airs, l’aviation française aligne encore une cinquantaine d’appareils ; les autres sont immobilisés par le manque de pièces de rechange ou ont été détruits. En face, la RAF a maintenu sont potentiel et dispose toujours de 60 à 70 appareils.
Le 7 juillet, la progression des Forces Françaises Libres s’effectue dans deux directions : Homs, d’une part, et Raas-Baalbek, d’autre part. La 6e division britannique, à cheval sur la chaîne de l’anti-Liban, étend son secteur vers l’ouest jusqu’à Merjouyoun, où sa 23e brigade, arrivée de Palestine, relève la 21e brigade australienne. Elle progresse vers Baalbek.
Les arrières du Liban sont donc sérieusement menacés, tandis que la 25e brigade australienne, restée en ligne, avance dangereusement vers Beyrouth.
En effet, les Australiens percent à Damour et atteignent les positions de batteries ; ils sont contenus par la Légion (6e REI) appuyée par les chars d’un régiment de chasseurs d’Afrique.
Le PC français doit même être dégagé par une poignée de marins.
Les derniers combats dans cette région se livreront les 9 et 10 juillet, sur les crêtes de l’anti-Liban, où les contre-attaques arrêtent les Britanniques.
Mais, depuis le 21 juin, une nouvelle menace pour l’armée française du Levant se précise à l’est. Venant d’Irak, la Légion arabe de Glubb pacha et des éléments motorisés assez hétérogènes de la 1re division de cavalerie britannique se dirigent sur Palmyre. Une attaque aérienne fait subir de lourdes pertes aux cavaliers anglais et la légion arabe doit sa survie à sa science des éparpillements rapides. Le 6e étranger fait piétiner son adversaire. La défense qu’il oppose est rude ; pour l’emporter, même avec de bons soldats, Glubb pacha aurait eu de la peine ! C’est sur ordre que la Légion étrangère se retire, sans être inquiétée dans son mouvement.
Palmyre occupée, les troupes venues d’Irak se portent vers Deir-ez-Zor et Rakka, mais sont arrêtées devant Fourklous par le groupe blindé d’Homs.
Enfin, la 10e Division Indienne, venue de Bagdad, occupe la Djezireh sans avoir à combattre. La retraite vers la Turquie est coupée et le général Dentz se résout à demander un armistice.
“Porter le deuil des nôtres…”
Le 14 juillet, le général de Gaulle déclare (9) :
« …En Syrie, cette armée (10) vient de soutenir des combats non moins durs, mais infiniment plus douloureux (11). L’équivoque créée par Vichy a dû être tranchée par l’épée. La lutte impie qui nous était imposée était nécessaire. Mais nous ne pouvons nous réjouir de succès obtenus contre nos frères. Même après la victoire, nous continuerons à porter le deuil des nôtres tombés en Syrie, aussi bien de ceux qui ont combattu dans nos rangs que de leurs adversaires, victimes de la trahison de quelques hommes qui ont sacrifié la France pour mieux servir Hitler.
« …Restés fidèles à nous-mêmes, nous sommes certains ainsi d’être fidèles à la France, à sa mission, à toutes les traditions qui ont fait sa grandeur dans le passé et qu’on ne saurait renier sans le rendre méconnaissable. »
Ainsi qu’il l’avait dit avant les combats, aucune décoration ni citation n’est accordée aux Français Libres pour leur action en Syrie.
Le total des pertes est de 1 066 tués et environ 5 400 blessés du côté des Forces françaises du Levant. Les Alliés ont perdu, en tués et blessés, 1 160 Australiens, 1 900 Britanniques et Indiens, et les Français Libres 650.
La convention de Saint-Jean-d’Acre met fin à cette guerre ; elle donne lieu, du 9 au 14 juillet, à de nombreuses discussions.
Sur l’ordre parvenu de Vichy, les Français du Levant refusent de traiter avec les Français Libres. Aucune garantie, aucune transmission de pouvoirs n’est échangée ou faite entre Français.
Le mandat sur les pays du Levant est purement et simplement remis à la Grande-Bretagne, ainsi que le commandement des forces autochtones.
Obtenant les honneurs de la guerre (12), les Français conservent leurs armes individuelles et ont le droit de détruire les armes et les munitions que les Britanniques ne désirent pas conserver.
Le choix du ralliement à la cause alliée est admis, mais les Britanniques s’engagent à ne faire ni prosélytisme ni pression. Enfin, fonctionnaires et militaires français seront rapatriés par des bateaux français.
La Grande-Bretagne abat son jeu
Le gouvernement britannique voit là une belle occasion de satisfaire ses visées sur le Moyen-Orient français. Il facilite par tous les moyens le désir du commandement français de rapatrier le maximum d’hommes ; il pense que le général de Gaulle n’aura plus le personnel qualifié et suffisant pour prendre en main les états du Levant.
Si les ralliements ont été minimes pendant les combats (une cinquantaine de Français, la 3e compagnie légère du désert, des Sénégalais), ils atteignent après les opérations, le chiffre de 2 600 Européens de tout grade, 1 100 Nord-Africains, 1 800 coloniaux.
Le droit d’option a joué dans la mesure où l’on admet que l’évacuation des blessés, le rapatriement immédiat des familles, le recours à de nouveaux serments, la certitude d’être poursuivi pour désertion, etc., ne constituent pas des moyens de coercition.
Il faut ajouter aux chiffres déjà mentionnés celui des militaires libérés de prison où ils étaient retenus pour leurs opinions et des jeunes Français qui s’évadent après s’être inscrits sur les rôles des bateaux chargés du rapatriement.
Fin août, les militaires, les fonctionnaires, les missions culturelles, les techniciens et d’autres civils ont suivi leurs familles. En tout 37 563 personnes quittent le Levant : les Français Libres se sentent dupés à la fois par Vichy et par Londres.
Parmi les derniers rapatriés figurent le général Dentz et 35 officiers arrêtés par les Britanniques parce que les conditions d’armistice ne sont pas remplies : les prisonniers de guerre alliés ne sont pas libérés, du matériel de guerre est vendu aux autochtones.
Il est clair que cet accord et son application ne peuvent être acceptés par le général de Gaulle. Le 25 juillet, il signe, avec le “captain” Lyttleton, une charte interprétative de la convention de Saint-Jean-d’Acre réglant les relations franco-britanniques.
Utilisant le personnel qu’il a déjà, celui qui reste au Levant, le général de Gaulle assume toutes les responsabilités du mandat, dont il confie l’exécution au général Catroux.
Au djebel Druze, les Britanniques s’installent en maîtres. La France doit-elle souffrir de l’absence d’autorité du délégué, qui ne sait ni opter pour l’obéissance au général Dentz, ni rallier la cause des Alliés ? Une forte colonne, commandée par le colonel Monclar, est envoyée pour rétablir l’autorité française, au besoin par la force. Les Britanniques s’inclinent.
Quelques mois plus tard, des condamnations à mort par contumace sont prononcées à l’encontre d’officiers ralliées depuis juin 1940 à la France Libre. Ces contumax se portent justement, à cette époque, sur la Libye, emmenant leurs unités où se mêlent les anciens et les ralliés, unis pour le combat.
Demain, ce seront Halfaya, Mechili, Bir-Hakeim, El-Alamein. Et plus tard, en Tunisie, tous les Français se retrouveront, côte à côte à l’ennemi.
(1) Victoire à l’ouest (NDLR).
(2) “L’utilisation de Beyrouth, Tripoli et Lattaquié par les Allemands me semble impossible sans risquer des troubles graves. Je propose, comme alternative, la baie de Chekka, où un appontement existe pour accoster des chalands de 3,50 m de tirant d’eau et qui est plus propice à la conservation du secret.”
(3) Batteries côtières exclues.
(4) Contre-torpilleurs : Guépard, Valmy ; sous-marins : Caïman, Marsouin, Souffleur ; aviso : Élan.
(5) Fait prisonnier par la 1re DFL à la passe d’Halfaya en 1941.
(6) Par 20 avions de transport Farman et Potez.
(7) La 7e division australienne est à deux brigades, les 25e et 21e. Sa troisième brigade est encore à Tobrouk. La brigade a trois bataillons.
(8) Dont trois ralliées.
(9) Extraits du discours.
(10) Celle des Français Libres.
(11) … Qu’en Libye et en Érythrée.
(12) Le général Catroux dit que c’est à sa demande.
Extrait de la Revue de la France Libre, n° 274, deuxième trimestre 1991.