Le capitaine Laurelle

Le capitaine Laurelle

Le capitaine Laurelle

Compagnon de la Libération

Une cérémonie religieuse a été célébrée à Paris le 26 février, à Saint-Honoré-d’Eylau, à l’occasion du retour en France des restes du capitaine Laurelle, tué glorieusement à Takrouna, le 11 mai 1943.

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Le capitaine Laurelle (RFL).
Les anciens de la 1re D.F.L. connaissaient bien et aimaient le loyal compagnon et le joyeux garçon qu’était Laurelle. Ils trouveront ici le dernier hommage que lui a rendu l’autre jour le général de Larminat.
« Raymond Leroy, pour les Français libres, et spécialement pour la 1re D.F.L., c’était Laurelle. C’est sous ce nom qu’il s’est engagé à Londres en 1940, qu’il a lutté pendant trois ans, c’est ce nom que, nous avons écrit sur la croix de bois qui, à côté de son casque, sommait la modeste tombe où nous l’avons inhumé le 13 mai 1943 dans la plaine, au nord de Kairouan.
« Laurelle, c’était un Français de la plus belle trempe, doté des plus belles qualités et des défauts les plus sympathiques de la race. Enthousiaste, généreux, loyal, il était de ceux pour qui le courage et la droiture passent d’abord, de ceux qui résolvent les cas de conscience en choisissant la voie droite et claire, sans souci du danger.
« Formé comme adolescent dans le culte des vertus guerrières dont faisaient preuve ses aînés de 1914 à 1918, aussi fanatique comme cavalier que comme officier de réserve, il avait supporté impatiemment d’être mobilisé sur place en 1939, aux États-Unis, dans notre mission commerciale. En juin 1940, le devoir fut clair pour lui, et il rejoignit aussitôt le général de Gaulle à Londres. Dès octobre 1940, il arrivait à Brazzaville.
Je le pris bientôt comme aide de camp. Et pendant deux ans et demi nous vécûmes côte à côte, partageant la même vie, les mêmes risques, les soucis aussi. Car Laurelle était auprès de moi beaucoup plus qu’un aide de camp. Connaissant parfaitement la langue anglaise et les milieux britanniques, il était mon interprète, mon conseiller auprès de nos Alliés. Et surtout il était mon confident, mon ami. Pour mieux dire, Laurelle servait auprès de moi comme un jeune frère affectueux et déférent auprès de son aîné, avec tout ce que ces rapports impliquent de confiance et aussi de liberté d’allure et de langage. Je ne dirai jamais assez combien je lui dois.
« Laurelle savait qu’il rendait plus de services auprès de moi que partout ailleurs. Mais tout de même, jeune et bouillant comme il l’était, il voulait combattre en première ligne. Aussi était-il entendu entre nous qu’il prenait une « permission de combat » à toute occasion favorable. Et c’est ainsi qu’à Halfaya, à Mechili et au cours de notre installation à Bir-Hakeim, il exécuta diverses missions tout à fait étrangères à ses fonctions d’aide de camp. Mais les événements servirent mal d’abord son désir de combattre, et il ne put participer aux actions majeures de notre campagne de Libye. Au moment de Bir-Hakeim, il était retenu à l’hôpital par une infection due à un séjour prolongé dans le désert et, gravement accidenté avec moi peu après, il était immobilisé dans un corset de plâtre lors de la bataille d’El-Alamein.
« Aussi saisit-il joyeusement l’occasion du dernier assaut que devait livrer la division aux positions allemandes de Tunisie.
« Le 11 mai au matin, il partait à l’assaut des Djebilets à l’Est de Takrouna, en tête de la compagnie Piozin du B.M.5 et était tué en abordant les lignes allemandes, d’un éclat de grenade au cœur.
« Il se trouve que j’ai été de loin, témoin de la scène. De l’observatoire de la 2e brigade, je suivais à la jumelle l’ensemble de l’opération. C’était au lever du jour. La crête rocheuse des Djebilets se découpait en dents de scie. Après avoir pesté, avec mes réflexes de combattant de 1914-1918, contre l’insuffisance de la préparation d’artillerie, je vois, dans la lumière indécise de l’aube, nos hommes partir à l’assaut. Peu après se profilant à la crête, détaché en avant des autres, sautant, de roc en roc avec une allure, un style que je connaissais bien, une silhouette familière, en short, revolver au poing. Une fumée blanche à ses pieds. L’homme tombe, je ne le vois pas se relever. Les autres épisodes du combat retiennent mon attention. Brosset revient d’un P.C. avancé, me rend compte du succès de la première attaque, ne mentionne rien concernant Laurelle. C’est quelques heures après que j’apprends sa mort et que je sais alors que c’est bien lui que j’ai vu tomber.
« Cette dernière image que j’ai ainsi gardée de Laurelle, c’est bien celle qu’il méritait de laisser, l’image d’un sportif, d’un athlète tué net dans sa foulée, dans la gloire du combat victorieux.
« Je ne serais pas honnête, je ne serais pas fidèle à la mémoire de Laurelle si je ne disais pas ici, devant les siens dans son quartier, dans son milieu, que de tous les Français libres que j’ai connus il était l’un des plus intransigeants sur les principes de la France Libre. Les camarades français libres qui sont ici peuvent en témoigner.
« Laurelle condamnait absolument, radicalement, toute compromission avec l’ennemi et ses complices, tout « arrangement » à base d’intérêts matériels plus ou moins habilement déguisés, toute collaboration, toute combinaison.
« Le lieu et la circonstance m’imposent une retenue que n’aurait certainement pas observée Laurelle s’il était rentré en France en 1944. Certes, Laurelle aimait la vie, la vie large et puissante, la vie sous toutes ses formes, c’était un homme, un tempérament ardent et généreux. Mais avant tout, il avait le culte de l’honneur, du courage, de la loyauté. Et c’est pour tout cela qu’il a donné sa vie.
« Adieu, Laurelle. Notre adieu personnel à tous deux est dit depuis longtemps. L’adieu des camarades de la 1re D.F.L. était aussi en règle. Il vous fallait encore un adieu public dans ce Paris que vous aimiez tant, parmi les vôtres et vos amis.
« Je m’incline ici avec respect devant la douleur de votre père et de vos proches.
« Adieu Laurelle, vous laissez deux filles qui étaient votre joie et votre fierté, et que vous avez eu le bonheur de voir quelques mois avant votre mort. Vous leur léguez un nom créé et anobli par vous, et je pense que mesdemoiselles Leroy-Laurelle comprennent et comprendront que le nom d’un compagnon de la Libération ne doit pas se perdre.
« Je pense aussi car c’est l’essentiel, que vous avez transmis à ces deux filles ce beau sang généreux que vous avez répandu sur les rochers de Takrouna, pour l’honneur de la France, dans l’espoir de la Libération.
« Adieu, Laurelle. Aujourd’hui, il y a beaucoup d’amis autour de vous. Vous auriez aimé cela, car vous aimiez l’amitié. »
Extrait de la Revue de la France Libre, n° 17, avril 1949.