Combats de la 1re D.F.L. au sud de Strasbourg

Combats de la 1re D.F.L. au sud de Strasbourg

Combats de la 1re D.F.L. au sud de Strasbourg

Du 7 au 12 janvier 1945


Un officier de la Légion a bien voulu retracer pour nous les combats de la division en Alsace. Il a formellement insisté pour garder l’anonymat. Nous nous plions à ses désirs tout en regrettant de ne pouvoir publier son nom bien connu à la D.F.L. et synonyme de vaillance, dévouement et modestie.
Dans les premiers jours de janvier, la 1re D.F.L., rappelée du front de l’Atlantique où elle avait été envoyée pour participer à l’opération de Royan-Pointe-de-Graves, prend possession de son nouveau secteur au sud de Strasbourg, de Plobsheim à Sélestat.
Ce front s’étend sur plus de 40 kilomètres, ce qui est énorme. Pour tenir avec des chances de succès un front aussi étendu, il faudrait pouvoir mettre la position de résistance derrière un obstacle continu ; en fait, les considérations sentimentales ont pris le pas sur les raisons tactiques, et un certain nombre d’unités sont installées à l’est de l’Ill pour assurer la défense d’une dizaine de villages alsaciens, récemment libérés.
Le général Garbay, commandant la 1re D.F.L., compte tenu de l’étendue du front, du terrain et de l’attitude de l’ennemi laissant présager une attaque prochaine, décide de n’engager que deux brigades et un groupement mixte, et de conserver en réserve le gros de la première brigade.
Le 7 janvier au matin, l’attaque attendue se déclenche. Dans l’aube glaciale, sur les vastes étendues couvertes de neige, d’innombrables formes blanches surgissent devant les avant-postes suivies de chars Tigre et de Jagdpanter peints en blanc.
Entre le canal du Rhône au Rhin et le canal de l’Ill, deux grosses colonnes progressent, l’une en direction de Krafft, l’autre en direction de Rossfeld-Herbsheim.
Dans le début de la matinée, et sur ordre, les avant-postes se replient, ceux du B.M.24 sur Boofzheim, ceux du B.I.M.P. sur Rossfeld et Herbsheim. Très vite, le B.M.24 est coupé de ses arrières par la colonne blindée ennemie qui remonte rapidement vers le nord, tandis que le B.I.M.P. est violemment attaqué et bombardé dans Rossfeld et Herbsheim, et que les premiers chars ennemis se présentent devant Osthouse.
À midi, ils essaient de franchir l’Ill à Osthouse et de gagner la route Sélestat-Strasbourg, mais le B.M.21 leur barre la route.
Une heure plus tard, les mêmes blindés, qui se sont rabattus vers l’est, traversent le canal du Rhône au Rhin sur le seul pont dont la destruction n’ait pas joué, près de la sucrerie au sud-est d’Erstein.
Ils foncent vers Kraft. Un autre détachement du B.M.21 les arrête sur le canal de décharge de l’Ill dont le pont saute… fort heureusement, car c’était la dernière coupure avant Strasbourg, distant de 15 kilomètres à peine.
Vers le milieu de l’après-midi, Herbsheim, subit une violente attaque par chars et infanterie. L’ennemi prend pied dans les premières maisons du village, mais le B.I.M.P. s’accroche désespérément, et à la nuit tombante, trois chars légers de l’escadron Barberot (fusiliers marins), dans une action d’une audace folle, repoussent l’ennemi du village.
Au soir du premier jour de bataille, la situation se présente ainsi : le B.M.24 est complètement isolé dans Obenheim et Boofzheim, mais n’a pas été attaqué ; le B.I.M.P. tient solidement Rossfeld et Herbsheim, mais ses liaisons vers l’arrière sont extrêmement précaires, car l’ennemi circule entre ces villages et l’Ill.
L’ennemi a montré qu’il disposait de moyens puissants et il ne peut désormais compter sur la surprise ; grâce aux emplacements judicieusement choisis du B.M.21 à la charnière de Kraft et à la résistance héroïque du B.I.M.P. à Rossfeld et Herbsheim la première manche a été gagnée.
Le général commandant la Ire armée prescrit de résister sans esprit de recul.
Dans la matinée du 8 et les premières heures de l’après-midi, la pression de l’ennemi s’accentue sur Osthouse en particulier, et entre Rossfeld et Herbsheim, mais sans succès.
À 14 h 30, une contre-attaque débouche en deux colonnes, le but recherché est de rétablir la liaison avec les garnisons d’Obenheim et de Gerstheim. La colonne du nord parvient à atteindre le canal qu’elle ne peut traverser, la colonne sud accrochée dès le départ par des chars lourds ennemis ne peut pratiquement pas déboucher.
À la nuit, les deux colonnes se replient sur l’Ill, l’opération a échoué, mais a soulagé les garnisons de Rossfeld et d’Herbsheim.
Dans la nuit du 8 au 9, à 2 heures du matin, l’ennemi lance à nouveau une violente attaque sur Rossfeld. Il fait si froid que les mitrailleuses à eau sont gelées. L’ennemi parvient à prendre pied dans le cimetière, mais le sergent Jouanny, du bataillon du Pacifique, avec une dizaine d’hommes et un tank destroyer du 8e R.C.A. les en rejette à 5 h 30. L’attaque ennemie a encore une fois échoué.
Un peu plus tard, la garnison d’Herbsheim reprend à l’ennemi les quelques maisons dont il avait réussi à s’emparer.
Quant au groupement de contre-attaque (B.M.11 et C.C.5) il a débouché à 9 h 30 et progressé péniblement au prix de durs combats. La garnison d’Obenheim, de son côté, a réussi à atteindre le pont du Canal à l’ouest du village. Mais malheureusement la liaison ne peut se faire, car le B.M.11, violemment pris à partie de front et de flanc par les chars lourds ennemis et l’infanterie qui s’infiltre dans les bois, est contraint de se replier de nuit sur Benfeld, et échappe de peu à l’encerclement. Il faut abandonner tout espoir d’établir la liaison avec le B.M.24.
Le commandant Coffinier, commandant le B.M.24, demande dans l’après-midi du 9 qu’on lui parachute des vivres et des munitions. Le plafond et la visibilité sont presque nuls ; il n’est pas possible de le faire avant le lendemain.
Si l’on ne peut pas faire grand’chose pour le B.M.24, il est urgent de soulager le B.I.M.P., qui tient depuis trois jours devant les forces ennemies très supérieures. Pour réaliser la relève de ce bataillon par le 1er bataillon de Légion étrangère, commandé par le commandant de Sairigné, il faut monter une opération.
Tous les blindés disponibles prirent part à l’action pour laquelle le 2e bataillon du régiment de parachutistes a été donné à la 1re D.F.L. à 16 heures, l’escadron Barberot, du régiment des fusiliers marins sort de Benfeld et fonce à travers les bois que nettoient les parachutistes.
Rossfeld est atteint. Dans la nuit, les légionnaires prennent les consignes, et le B.I.M.P. passe à l’ouest de l’Ill.
La sombre journée du 10 janvier voit la fin du B.M.24. L’ennemi, furieux de ses insuccès répétés sur Rossfeld et Herbsheim, concentre ses efforts sur la malheureuse garnison d’Obenheim, encerclée depuis quatre jours.
Dès le matin, il lance sur le village des tracts invitant à la reddition. Un déluge de feu et de fer s’abat sur Obenheim. Dans l’après-midi, l’aviation française exécute malgré le temps affreux le parachutage demandé la veille. Malheureusement, beaucoup de containers tombent en dehors du village.
La garnison se défend héroïquement et repousse plusieurs fois les assaillants, mais ils sont trop nombreux. Ils parviennent, grâce à l’appui de leurs chars, jusqu’à la place centrale du village. La garnison n’a plus de munitions, les tués et les blessés sont nombreux. Les survivants se regroupent en plusieurs centres de résistance qui sont réduits l’un après l’autre.
La radio du commandant Coffinier apporte l’écho dramatique de cette lutte sans espoir. Ce n’est qu’à 23 heures que la radio s’arrête… Mais au lever du jour, le 11 janvier, des points d’appui tiennent encore.
Le sacrifice du B.M.24 n’aura pas été vain, car, par leur résistance héroïque, Coffinier et ses hommes ont brisé l’élan de la 198e division.
La journée du 11 est relativement plus calme. L’ennemi paraît épuisé lui aussi et il se ressent des lourdes pertes que la division lui a infligées. La chute d’Obenheim rend maintenant inutile le maintien au-delà de l’IlI, des garnisons de Rossfeld et d’Herbsheim qui risquent fort de subir à bref délai le même sort que le B.M. 24.
En pleine nuit, les légionnaires du 1er bataillon de Légion étrangère se replient à l’ouest de l’Ill.
Cependant, l’activité de l’ennemi ne se manifeste plus que le 12 que par une attaque sur la ferme Zoll. À partir du 13, tandis que les Français fortifient la ligne de l’Ill, l’ennemi se borne à exécuter des tirs d’artillerie sur les villages qui bordent la rivière. Son élan offensif est définitivement arrêté. Malgré l’importance des moyens qu’il a mis en œuvre, malgré l’énergie sauvage de ses attaques, malgré les pertes qu’il a consenties, il n’a pas atteint son but.
Et la plus belle récompense pour la 1re D.F.L. est constituée par le message envoyé par le général Leclerc au général Garbay :
« Bravo ! mon vieux.
« En somme, la 1re D.F.L. aura probablement sauvé Strasbourg après que la 2e D.B. l’a prise. J’espère que cela ne t’a pas coûté trop cher.
« Félicite tout le monde de notre part. »
Extrait de la Revue de la France Libre, n° 79, 18 juin 1955.