Le Comité de la France Libre du Brésil, par Jean Hauser

Le Comité de la France Libre du Brésil, par Jean Hauser

Le Comité de la France Libre du Brésil, par Jean Hauser

Le Comité central de Rio de Janeiro

Le 11 juin 1940, à bord du cuirassé brésilien Minas Geraes, le président de la République du Brésil, Getilio Vargas, prononçait une allocution d’où se détachait le passage suivant :

« Nous traversons, l’humanité entière traverse, un moment historique aux conséquences graves du fait d’un soudain et violent bouleversement des valeurs. Nous allons vers un avenir différent de ce que nous connaissons en matière d’organisation économique, sociale et politique, nous sentons que les formules, que les systèmes anciens entrent dans leur déclin. Ce n’est pourtant pas, comme le prétendent pessimistes et conservateurs, la fin de la civilisation, c’est le commencement tumultueux et fécond d’une ère nouvelle. Les peuples vigoureux, aptes à la vie, doivent suivre le chemin de leurs aspirations au lieu de s’arrêter dans la contemplation de ce qui s’écroule et tombe en ruines : il faut comprendre notre époque, écarter les décombres des idées mortes et des idéaux stériles… »

Ces paroles étaient prononcées au lendemain de ce qui avait été en France « une journée d’agonie ». Le 10 juin, en effet, le gouvernement français avait quitté Paris.

Le rapprochement de ces deux dates est éloquent et donne tout leur sens à ces propos.

La débâcle de nos armées semblait à point venue pour permettre – avec l’anéantissement de notre prestige – le triomphe de la politique hitlérienne et de ses principes.

De longue date, l’Amérique du Sud, et principalement le Brésil – vu son importance stratégique – avaient été soumis par l’Allemagne et le nazisme à une propagande active : d’importants groupes ethniques allemands, très agissants, fixés dans les pays de l’Amérique latine, y avaient acquis des positions importantes, battant en brèche l’influence française, autrefois prépondérante.

Sans le vouloir, le président Vargas avait défini ce que devrait être l’action de ceux de nos compatriotes, installés au Brésil, qui, quelques jours plus tard, allaient répondre à l’Appel du général de Gaulle.

Il leur faudrait affirmer et démontrer que la France, loin de s’écrouler à tout jamais, restait fidèle à son passé, à son idéal, repoussant la politique de résignation et de collaboration et poursuivant le combat aux côtés de l’Angleterre, seule debout, face à la puissance germanique.

« Nombreux furent les Français résidant au Brésil, qui répondirent immédiatement à l’appel lancé de Londres. De Bahia, un télégramme d’adhésion, signé par la plupart des Français habitant cette ville fut adressé au général de Gaulle le 25 juin 1940. À Rio de Janeiro et à São Paulo, des comités se constituèrent, à Rio, sur l’initiative de M. Pierre Aubaud, à São Paulo, sur celle du docteur Vergely.

« Dans d’autres villes encore, les Français, jusque-là isolés, se cherchèrent, se groupèrent, des contacts ne tardèrent pas à s’établir spontanément entre les groupements naissants.

« Enfin, d’après les directives reçues de Londres par ceux qui s’adressèrent directement au bureau du général de Gaulle, des liaisons s’établirent entre le Comité central de Rio de Janeiro, présidé par Auguste Rendu, et les groupements qui continuaient à se développer, de jour en jour, dans d’autres villes du pays. » (Action des Comités F.L. au Brésil 1940-45, page 9).

Ceux qui constituaient ces groupements étaient des hommes de toutes origines, de toutes conditions, que rassemblait la volonté de servir la patrie en danger.

Mais la loi brésilienne interdisant la publication en français des nouvelles concernant les faits de guerre, les collectes en vue de faire sortir les capitaux du pays, l’activité du Comité central dut garder un caractère clandestin. Il était d’ailleurs en butte, dès l’abord, à l’hostilité de l’ambassade de Vichy et, sous le prétexte de neutralité, à la méfiance du gouvernement brésilien. De plus, du fait de l’invasion de la Russie par l’armée nazie en juin 1941, l’Allemagne apparut bientôt comme la nation qui avait pris la tête d’une campagne mondiale pour abattre le communisme : ce qui conférait aux hostilités, ouvertes en 1939, un caractère nouveau primant sur tous les autres aspects du combat.

Et la surveillance, dont le Comité central de Rio de Janeiro était l’objet de la part de la police politique brésilienne, redoubla alors d’intensité : en août 1941, le président, grand mutilé de la guerre 1914-1918, fut appelé à la police. Le commissaire, chargé de l’enquête, lui exprima le désir d’être conduit dans les locaux où étaient installés les services du Comité.

M. Rendu refusa, soulignant que ces locaux étaient une dépendance du consulat britannique (toute perquisition ne pouvant que déclencher un incident diplomatique entre la Grande-Bretagne et le Brésil). Le commissaire, peu convaincu, accepta d’accompagner M. Rendu chez le consul britannique pour avoir la confirmation de son affirmation. Mais après cette visite, le président du Comité central fut ramené dans les locaux de la police d’où il ne sortit qu’après de longues heures de détention et sur l’intervention de fonctionnaires de l’ambassade de Grande-Bretagne.

Mais la surveillance n’en continua pas moins, gênant considérablement l’activité des Français Libres de Rio de Janeiro.

Le C.N.F. à Londres, très au courant de cette situation, la jugea telle qu’il estima préférable de ne pas mentionner le Comité de Rio sur sa première liste des comités de la F.L. à l’étranger.

Cette situation dura jusqu’à l’entrée en guerre des États-Unis en décembre 1941.

Quelle que put être alors la gravité de la situation militaire des Alliés, il apparut que l’arrivée en renfort, à leurs côtés, de la puissance américaine, modifiait les perspectives de l’issue de la guerre : la victoire hitlérienne paraissait exclue.

Aussi les entraves, qui jusque-là, avaient paralysé l’action du Comité central de Rio de Janeiro, se relâchèrent progressivement.

Et dès le mois de mai 1942, le Comité central put quitter les locaux mis à sa disposition par le consulat britannique, pour s’installer dans ses propres bureaux sous la direction de Mme Auguste Rendu.

Il eut alors une existence quasi officielle, malgré la présence de l’ambassade de Vichy, dont les fonctionnaires ne démissionnèrent – pour se mettre à la disposition du général Giraud – que le 30 janvier 1943, c’est-à-dire près de quatre mois après le débarquement allié en Afrique du Nord, mais à la veille de la rupture diplomatique entre Vichy et le Brésil, celui-ci étant entré en guerre contre l’Axe aux côtés des Alliés le 22 août 1942

Jusqu’en 1945, le Comité central de la France Libre à Rio de Janeiro assura ainsi aux yeux des Brésiliens la permanence de l’idéal qui fit le renom de la France.

Le Comité de Rio de Janeiro contrôlait et dirigeait, des frontières du Venezuela aux confins de l’Uruguay, 14 Comités locaux ; il avait des représentants dans 36 autres localités (1).

Des contacts étroits purent ainsi être établis dans l’ensemble du pays avec la presse et les autorités locales.

Les comités comprenaient des adhérents (citoyens français) et des sympathisants étrangers. C’est par des dons et des contributions mensuelles que les comités purent vivre et faire face aux dépenses de leurs diverses activités (propagande, envoi de fonds à Londres et aux œuvres d’assistance, mise en route des volontaires, versements à leurs familles des allocations familiales, etc.).

Mais malgré tout le dévouement de nos compatriotes, d’ailleurs peu nombreux, les comités n’auraient pu atteindre les buts qu’ils s’étaient fixés s’ils n’avaient trouvé un appui efficace chez nos amis brésiliens et chez les ressortissants des puissances alliées.

Le montant des cotisations était fixé par les adhérents ou les sympathisants eux-mêmes et proportionné à leurs ressources : les versements étaient spontanés et ne donnaient lieu à Rio de Janeiro à aucun reçu, les règlements qui y étaient en vigueur interdisant toute collecte de ce genre. En versant des fonds aux comités de la F.L. les Brésiliens répondaient à l’appel de leur conscience, ils considéraient qu’ils avaient une dette vis-à-vis de la France « de toujours » et fréquemment les bureaux du Comité central eurent la visite d’hommes de condition modeste qui venaient s’excuser de ne pouvoir au jour habituel verser les quelques cruzeiros qui constituaient leur cotisation : momentanément gênés, ils demandaient un délai pour se libérer et, au jour dit ils revenaient s’en acquitter.

Il est facile, dans ces conditions, de réaliser l’émotion avec laquelle une partie de l’opinion suivit le déroulement du drame de 1940 : c’est ainsi qu’à l’issue d’une messe dite à la demande de Brésiliens dans la cathédrale de Rio pour la protection de Paris lors de l’avance allemande, des centaines de personnes à genoux, jusque sur le parvis, entonnèrent la Marseillaise, comme une sublime prière, affirmant ainsi leur espérance.

Et lorsque Paris fut occupé, un haut magistrat brésilien, bouleversé à l’annonce de cette nouvelle, décida de porter une cravate noire en signe de deuil tant que Paris ne serait pas libéré, il mourut avant le 26 août 1944, sans avoir remis de cravate de couleur.

C’est cet attachement à la France que les Français Libres du Brésil s’efforcèrent d’abord de consolider puis de développer. Avant de rappeler comment se manifesta cet effort, il convient de mentionner la contribution particulièrement importante qui fut apportée par les journalistes brésiliens, amis de la France, mais surtout par Costa Rego, rédacteur en chef du Correio la Manha, qui, après avoir entendu l’appel du général de Gaulle, mit son talent au service de la F.L. et réclama sans trêve la reconnaissance du général de Gaulle, comme chef du gouvernement français.
De son côté, Georges Bernanos, fixé au Brésil depuis le 1er septembre 1938, entama dans la presse brésilienne dès juin 1940, une « campagne persuasive qu’il mena, semaine après semaine, pour défendre l’honneur français aux yeux du pays dont il était l’hôte ».

Le premier acte de propagande du Comité fut la diffusion des lettres « Constantior » rédigées par un groupe de compatriotes qui avaient adopté la signature collective de « Constantior ». La première lettre parut le 14 juillet 1940, incitant les Français à demeurer fidèles à la cause défendue, jusque-là, en commun par la France et l’Angleterre, elle exprimait le voeu que les lecteurs puissent retrouver dans ces écrits « l’écho de notre anxiété et le reflet de nos espoirs ».
Éditée sous la forme de deux pages ronéotypées avec l’aide du Service britannique d’information, la lettre hebdomadaire « Constantior » ne cessa d’apporter aux Français de l’Amérique du Sud un puissant réconfort moral jusqu’au 4 juin 1943, date à laquelle le général de Gaulle arrivait à Alger pour y constituer le Comité français de libération nationale et « Constantior » fit ainsi ses adieux à ses lecteurs :

«Venu à vous au soir sombre de la défaite, Constantior vous quitte à l’aube d’un jour plein de promesses. »

Mais bien auparavant, dès le 31 mai 1941, le Comité central de Rio de Janeiro avait entrepris la diffusion d’un bulletin périodique en français (tirage 3.000 exemplaires), il parut jusqu’au 18 août 1945, tandis qu’un bulletin en portugais (tirage 5.000 exemplaires) parut du 15 août 1941 au 8 juillet 1944, date à laquelle il fit place à un bulletin imprimé en portugais par le Service français d’information dont, pour sa part, le Comité central diffusait chaque semaine 4.500 exemplaires.

C’est ainsi que, pendant plus de quatre ans, les Français Libres au Brésil affirmèrent la continuité de la politique française, et sa fidélité au génie permanent de la patrie, sauvé du désastre par le général de Gaulle.

L’effort de propagande ne se borna pas à la publication de bulletins périodiques : 36 tracts et documents, 16 brochures furent publiés en français et en portugais, des affiches diverses, des cartes de vœux à l’occasion du jour de l’An, des foulards de soie aux trois couleurs, dont le dessin composé en mai 1941, à la gloire des F.F.L., était dû à Nane Maurice Blum, furent répandus à travers tout le Brésil.

Des émissions radiophoniques en portugais – dont certaines émanaient d’initiatives privées comme celle de la Casa Rivoli à Rio et celle de Béatrix Reynal – atteignaient les auditeurs, complétant l’action de la propagande écrite et des conférences aussi nombreuses que variées.

Dans toutes les localités du Brésil, où se trouvaient les comités locaux, les représentants du Comité central, étaient organisées des fêtes, des kermesses, des manifestations patriotiques auxquelles la participation brésilienne et celle des Libanais en grand nombre au Brésil donnaient chaque fois plus d’ampleur.

Dans le domaine culturel, le Comité central de Rio de Janeiro put – grâce au précieux appui de Dona Branca Fialho et de son frère Miguel Osorio de Almeida – reprendre le contrôle de l’alliance franco-brésilienne et lui donner l’impulsion qui convenait.

L’effort de propagande et l’activité de l’ensemble des comités ne cessèrent de croître au fur et à mesure que les exploits des F.F.L., que l’action de la Résistance intérieure se développaient et étaient mieux connus, témoignant ainsi du redressement des forces françaises et donnant de nouveaux éléments aux services de presse des comités.

Il serait fastidieux de rappeler ici l’accueil favorable que réservait l’opinion publique brésilienne à chaque nouvel effort des Comités, mais il convient cependant d’évoquer quelques faits qui illustrent les résultats obtenus.

C’est ainsi qu’à l’occasion du 14-Juillet 1943, la Société des Amis de l’Amérique, qui rassemblait les plus hautes personnalités positivistes (2) du pays, avait organisé, à Rio de Janeiro, sous la présidence du général Manoel Rabello, une manifestation solennelle « en l’honneur de la France combattante et de son chef, le général de Gaulle ».

De nombreux discours furent prononcés devant un très grand auditoire où les Brésiliens de couleur étaient particulièrement nombreux et ce fut au milieu de véritables acclamations que le président du Comité central de la F.L. affirma la continuité de l’idéal français en assurant qu’il y aurait toujours des Français pour rappeler au monde cette phrase du préambule de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen :

« L’ignorance, l’oubli et le mépris des droits de l’homme sont les seules causes des malheurs publics. »

La Déclaration des droits de l’homme a d’ailleurs conservé une telle place dans le cœur des peuples de l’Amérique latine que le Comité de Rio de Janeiro, à l’occasion du 14-Juillet 1944, fit tirer, en grand format, le fac-similé d’une gravure d’époque reproduisant les Tables de la Déclaration votée par la Convention nationale le 23 juin 1793.

L’opinion publique brésilienne avait eu l’occasion de témoigner son attachement à la France d’une manière particulièrement émouvante, le 6 juin précédent, lors du débarquement allié en Normandie.

Avec le décalage de l’heure, les premières dépêches annonçant le débarquement arrivèrent vers 2 ou 3 heures du matin. Dès ce moment, des appels téléphoniques se firent entendre presque sans arrêt chez nos compatriotes ; des voix, quelquefois inconnues, annonçaient la grande nouvelle, exprimant, avec leurs félicitations, leur joie de ce que la libération de la France avait commencé. L’enthousiasme alla se développant au fur et à mesure que les heures s’écoulaient, d’autant que tous les postes émetteurs de radio faisaient entendre, sans interruption, la Marseillaise ou des marches militaires françaises, lorsqu’ils n’avaient pas de télégrammes à diffuser ; de sorte que – les fenêtres étant toujours ouvertes du fait de la température – ce fut la journée entière dans la ville un concert incessant ranimant les ardeurs qui auraient pu s’apaiser, à tel point que les ambassades alliées crurent devoir rappeler que si la France allait vers sa libération, les soldats alliés y étaient bien pour quelque chose et que leurs hymnes nationaux auraient pu prendre place dans ce concert improvisé.

Mais le Brésil attachait une telle signification à la libération de la France qu’il voulut garder un souvenir durable de l’émotion ressentie : et dans une véritable vague d’enthousiasme qui déferla sur l’ensemble du pays, une localité du Paraiba, État du nord du Brésil, dont les côtes sont baignées par l’océan Atlantique, la ville de Barreiras prit le nom de Bayeux « en hommage à la France qui réapparaissait au monde, auréolée par les rayons de la liberté retrouvée ».

C’est au milieu d’une foule innombrable que le changement du nom de Barreiras en Bayeux donna lieu à une manifestation émouvante le 14-Juillet 1944, les Brésiliens ayant tenu à donner tout son sens à l’événement en célébrant en même temps dans la « Bayeux brésilienne » notre fête nationale.

(1) Le Comité de São Paulo, vu son importance, agit pratiquement en toute indépendance.
(2) Au Brésil, le positivisme d’Auguste Comte connut, au siècle dernier, un immense succès et aujourd’hui encore il a ses temples, ses fidèles qui ont toujours été de grands amis et admirateurs de notre pays.

Extrait de la Revue de la France Libre, n° 126, juin 1960