Le Comité de la France Libre de Chine

Le Comité de la France Libre de Chine

Le Comité de la France Libre de Chine

« France Quand Même »
Comité Français Libres de Shanghai, d’après le rapport de René Pontet

Le 22 juin 1940 avait lieu, au cercle de la police de la municipalité française de Shanghai, une réunion des Français, rassemblés sous l’égide de l’Association des Anciens Combattants. À la suite de cette réunion, le télégramme suivant était envoyé au gouvernement à Paris : « Les Français de Shanghai, réunis sur l’initiative des Anciens Combattants, ayant la confiance la plus absolue dans les destinées de la France, émettent le vœu d’une étroite union entre les deux empires alliés, pour la continuation de la lutte qu’ils sont prêts à soutenir de leurs personnes et de leurs biens. »
Cette réunion coïncidait avec la signature de l’armistice.

À Shanghai, il y eut un moment de stupeur et d’effroi. Mais les autorités diplomatiques et consulaires, suivies par un grand nombre de Français, emboîtant le pas à l’Indochine, se rallièrent aussitôt au gouvernement du maréchal Pétain.

Cependant il se trouva un groupe ardent de patriotes qui s’élevèrent contre la capitulation et décidèrent de se rallier au mouvement du général de Gaulle. Au début d’août 1940, les Anciens Combattants étaient réunis à nouveau au Cercle sportif français, sur l’initiative d’Égal, président de l’Association et de membres du Comité : Benoist, Jaspar et Morelieras. La création d’un groupement était décidée, en vue de participer dans toute la mesure possible à la lutte poursuivie par le général de Gaulle. Il lui fut donné le nom de : « France Quand Même », dénomination déjà adoptée par plusieurs groupements d’Amérique.

Égal s’entoura de collaborateurs de bonne volonté : Meunier, directeur de la banque franco-chinoise ; Gilles, journaliste ; J. Reynaud, A. Reynaud, Grosbois, Clément, Jaspar, Benoist, Morelieras, Bouvier et R. Pontet, Mme Jobez, MM. Jehl, Allera, Baumgarten, Martolini, Lebas, Fermigier et tant d’autres qu’il serait trop long de citer. Égal se mettait en rapport avec le général de Gaulle. Un bureau était organisé à Kiangse Road avec l’aide de M. Doodha. Une permanence y était établie avec MM Gilles, Abily, Mme A. Reynaud, MM. May, Allera. Plus tard en – février 1941 – un bureau plus important devait être ouvert à Peking Road.

Des réunions avaient lieu d’autre part, chez Meunier, chez Jaspar et chez d’autres amis. Peu après l’organisation du mouvement, Égal recevait, par l’intermédiaire des autorités britanniques, une nomination formelle comme délégué en Chine du général de Gaulle, à qui il envoya la liste du Comité «France Quand Même » de Shanghai. Le mouvement était définitivement lancé et consacré.
Ses activités peuvent être groupées en trois chapitres :

Propagande

Peu de jours après la réunion, du début d’août 1940, paraissait le premier numéro du bulletin France Quand Même. Les premiers numéros ronéotypés étaient suivis, à partir du numéro 8, du 7 octobre 1940, par des numéros imprimés paraissant toutes les semaines sur plusieurs pages. Grosbois fut le principal animateur et rédacteur de ce bulletin, ayant été placé à la tête du comité de propagande dont firent partie Le Pallud, May, Lebas, Abily, Brusset, Marcuse et Pierard.

Le service en était assuré à la plupart des Français à Shanghai. Le bulletin était envoyé également dans les autres grandes villes de Chine, en Indochine, au Japon, à Hong-Kong, de même qu’aux autres groupements du Pacifique et d’Amérique.

La propagande fut aussi assurée par les émissions à la radio. Tout d’abord, à la station anglaise X.C.D.N. « La Voix de la Démocratie » deux fois par jour, à midi et le soir. À compter du 26 novembre 1940, ces émissions furent complétées par une autre émission, à la station américaine X.M.H.A.

Recrutement

La tâche de l’organisation des départs de volontaires pour les armées du général de Gaulle ne fut pas aisée. Notre liste comprend 52 noms ; l’holocauste de nos documents, le 8 décembre 1941, ne nous a pas permis de garder ceux des 103 marins français de la marine marchande et ceux des 84 légionnaires renvoyés d’Indochine qui, eux aussi, sont partis au secours du pays.

Sont donc partis de Shanghai 239 volontaires.

Travail risqué en ce qui concerne les militaires français et les marins de la marine de guerre, si risqué même que, si le départ des militaires n’a amené que des plaintes plus formelles qu’effectives, le départ des marins a enflammé la rage du commandant Ruynaud de Saint-Georges, lequel décida l’arrestation d’Égal ; J. Reynaud n’y échappant que de justesse.

Au début il fallut payer des passages à 80 livres par personne, ce qui nécessita de nombreuses négociations ; puis il suffit d’avancer la somme nécessaire jusqu’à Hong-Kong ; il fallait aussi donner un petit pécule, 5 livres à 15 dollars U.S. Les visites médicales par un médecin agréé par l’ambassade britannique furent organisées.

Il fallut aussi prévoir l’achat de vêtements civils et la création d’un véritable vestiaire pour les soldats ou marins, ainsi que l’installation des partants dans un lieu sûr et secret en attendant le bateau, le camouflage des bagages.

À ces difficultés matérielles s’en ajoutaient d’autres : il y avait peu de résistance de la part des chefs de la police et de la municipalité, sans qu’on y trouvât cependant la meilleure volonté. Il a fallu toute l’énergie d’Égal, soutenu par l’attaché militaire et par l’attaché de presse, pour briser cette passivité. Il a fallu même qu’Égal, dans une réunion avec l’ambassadeur britannique, prenne sur lui tous les risques. «Le général de Gaulle, a-t-il dit, me demande des hommes. J’enverrai des hommes quoi qu’il arrive. »

L’ardeur magnifique des volontaires et leur cran, l’aide apportée par des Français comme Meunier, dont la maison à Hongjao a caché bien des volontaires en transit, comme Jehl, comme May, le spécialiste des bagages, étaient pour tous le meilleur encouragement.

Il faudrait des pages pour rappeler l’aide apportée par Eric Davies et par ses amis. Citons Hubert, de la Canadian Pacific, qui facilita pour les volontaires des séjours discrets à la Y.M.C.A. ; Carrière, qui embarqua trois militaires français comme marins hollandais sur un de ses bateaux ; Georges Buhl, le patron de la Brasserie Suisse Broadway, qui donna souvent un abri aux volontaires.

Une note comique : Eric Davies, commandant la police spéciale, habilla un jour des volontaires en policiers, ils passèrent sous cet uniforme devant d’autres policiers – des vrais – chargés de les repérer.

Organisation

L’organisation du mouvement, la propagande, l’envoi de volontaires nécessitaient des fonds et l’établissement d’un service financier. Furent chargés de ce service, successivement Meunier, R. Pontet, Bouvier et enfin Andrefouet.

En présence de cette activité et de l’ampleur prise de jour en jour par le mouvement, les autorités locales françaises s’impatientèrent. Les dénonciations, délations et calomnies étaient à l’ordre du jour, tandis que nos autorités s’efforçaient de contrecarrer efforts et propagande. Le recrutement des volontaires fut notamment leur bête noire. L’armée et surtout la marine, s’élevèrent violemment contre ce recrutement qui, disaient-elles, affaiblissait leurs effectifs, mais qui en réalité ne faisait que jeter l’opprobre sur ceux qui restaient insensibles à l’appel de la patrie. Dès octobre 1940, des menaces étaient proférées à la suite d’un premier départ de militaires. Les départs continuant, les autorités décidèrent d’arrêter le chef du mouvement.

Le 5 avril 1941, vers 6 h 30 du matin, sous les ordres du capitaine de corvette Ruynaud de Saint-Georges, commandant le Francis-Garnier, le lieutenant de vaisseau Blanchard et le lieutenant de Beaufort, accompagnés de plusieurs matelots, procédaient à l’arrestation d’Égal, dans sa chambre au Clements Apartments. Égal fut conduit à bord du Francis-Garnier. Aussitôt les papiers d’Égal étaient enlevés de son bureau par J. Reynaud et A. Reynaud et transportés à l’ambassade britannique.

Pendant ce temps, Égal était embarqué pour Saigon à bord du Kindia. Une tentative de la marine anglaise pour arraisonner le bateau et délivrer Égal échoua ; et ce n’est que plus tard, après être passé en jugement, qu’il fut enfin délivré, grâce à l’intervention des autorités britanniques qui prirent des sanctions économiques vis-à-vis de l’Indochine. En définitive, Égal dut être échangé contre une cargaison de marchandises et il revenait à Shanghai, pour quelques jours, en octobre 1941. Une réception enthousiaste lui était réservée, tandis que les autorités françaises lui interdisaient l’entrée de notre concession.

Restant sous la menace, le Comité estima ne pas devoir désigner un nouveau chef, qui aurait pu être l’objet de nouvelles mesures de la part de ces autorités. L’arrestation d’Égal fut suivie, en effet, d’enquêtes, d’investigations et d’interrogatoires.

Quelques précautions furent prises mais le mouvement poursuivit sa tâche, les volontaires continuèrent à partir, la radio et le bulletin à alimenter la propagande, les adhérents à apporter leurs versements. En septembre 1941, quatre marins du Bernardin-de-Saint-Pierre, volontaires, avaient été installés, en attendant leur départ, chez un ami suisse Georges Buhl, qui tenait un bar à Hongkew, 610 Broadway East. Sur les indications du capitaine au long cours Daunes, commandant le Bernardin-de-Saint-Pierre, les autorités consulaires françaises décidèrent de procéder à l’arrestation de ces marins, et, bien qu’avec certaines difficultés, obtinrent au préalable du consul général suisse, l’autorisation nécessaire pour pénétrer dans les locaux de son ressortissant. « Mais vers 5 heures du soir, raconte M. R. Pontet, je reçus la visite d’un émissaire venant du consulat qui me fit connaître qu’un ordre avait été donné à 4 h 30 pour l’arrestation de quatre marins dans un bar de Hongkew. En me donnant ce renseignement, on ajoutait que je savais sans doute ce qu’il restait à faire. N’ayant pas de voiture disponible, je téléphonai immédiatement à M. de Rougetel, conseiller d’ambassade britannique, qui décida de régler lui-même cet incident : prenant sa voiture il se rendit aussitôt à Hongkew et déménagea nos marins pour les mettre en lieu sûr. Le procès-verbal de perquisition – faite par l’agent du consulat, accompagné de policiers et de détectives – indique que la maison fut visitée de fond en comble, que les chambres ne portaient aucune trace du passage des hommes recherchés, si ce n’est un paquet vide de cigarettes « Bastos » que le commissaire du bord reconnut comme provenant de son bateau, en fait les recherches furent infructueuses. »

Pour activer et développer le recrutement, M. Baron qui représentait le général de Gaulle à Singapour, envoya en octobre 1941 à Shanghai, M. Jacosta qui devait former une compagnie composée d’éléments étrangers, aidé principalement par M. May dans cette tâche.

Les communications avec Londres demeurant difficiles et la liaison encore insuffisante, en butte aux persécutions de nos autorités et de quelques-uns de nos compatriotes, nous luttions, dans la mesure de nos moyens, pour la cause de la libération.

Nous arrivâmes de la sorte au 8 décembre 1941, date du déclenchement de la guerre du Pacifique. À ce moment, Égal qui était resté quelque temps parmi nous, après sa libération d’Indochine nous avait quittés. La guerre devant le surprendre à Hong-Kong, où, s’étant mis à la disposition des forces britanniques, il fut fait prisonnier par les Japonais et interné. Jacosta, parti également, devait se faire tuer quelques jours plus tard en essayant de s’évader. À Shanghai, nous fûmes avisés du déclenchement des hostilités le 8 au matin de très bonne heure.

Tous nos dossiers étaient déposés depuis longtemps à l’ambassade britannique, par mesure de sûreté. À notre bureau de Peking Road se trouvaient des archives et les documents de la propagande que May, Brusset, Pierard et Marcuse se chargèrent de faire disparaître. Je me rendis à l’ambassade britannique appelé par M. Alexander. Tous les coffres et les tiroirs de l’ambassade étaient vidés et le contenu était jeté dans des fours crématoires, approvisionnés par une vingtaine de personnes. Nos archives disparurent dans ce brasier et je sortis de l’ambassade vers 8 heures du matin au moment où les premières sentinelles japonaises étaient postées.

Après les menaces d’arrestation par les autorités françaises ce furent alors les menaces d’arrestation par les autorités japonaises.

Avec la guerre du Pacifique, nos activités précédentes ont évidemment dû être réduites et camouflées. Nos relations avec l’extérieur étaient coupées et nos réunions n’étaient plus possibles.
Par ailleurs, deux des nôtres travaillaient dans des services spéciaux, dans des postes dangereux, l’un en contact constant avec l’Intelligence Service britannique, dont un représentant se cachait à Shanghai, l’autre avec les services chinois. Dans ce domaine, des collaborations ont été apportées même par des personnes n’appartenant pas au mouvement. Des officiers français ont participé à des reconnaissances dans les lignes japonaises autour de Shanghai.

Extrait de la Revue de la France Libre, n° 126, juin 1960