En Hollande, Amherst

En Hollande, Amherst

En Hollande, Amherst

Au début d’avril, les 2e et 3e R.C.P. sont envoyés dans une opération en Hollande, qui a pour but de créer le maximum de confusion dans les lignes ennemies, de protéger certains points en vue de faciliter l’action de l’armée canadienne qui espère atteindre la zone de parachutage quarante-huit heures après l’atterrissage des deux régiments et soulever le mouvement de résistance dans ce secteur.

L’effectif ennemi dans la région envisagée est estimé à 12.000 hommes, la 6e division parachutiste retirée du front doit se trouver aussi à proximité, enfin de nombreuses troupes allemandes retraitent vers le Nord et le Nord-Est en bon ordre apparent.

Dans la nuit du 7 au 8 avril, 55 équipes françaises, soit 676 officiers, sous-officiers et hommes de troupe, sont parachutés par ciel très nuageux avec de nombreuses erreurs ; les groupes sont tous perdus dans la nature, livrés à leur seule initiative.

Tous les sticks ont leurs aventures tragiques, parfois comiques, quelques-unes truculentes. Essayer de faire un historique gageure, Il faut se borner à une série d’images.

Dans la région de Westerbork, le commandant Puech-Samson a établi son P.C. Plusieurs sticks l’ayant rejoint, diverses missions sont accomplies simultanément.

Ayant reçu de la résistance des renseignements intéressants, le capitaine Betbèze est chargé d’attaquer le P.C. du général commandant la feldgendarmerie de Hollande, s’emparer si possible du général, de ses papiers, détruire son poste de radio et ensuite délivrer des prisonniers alliés enfermés dans un camp situé à 3 kilomètres du village de Westerbork. Le capitaine Betbèze emmène avec lui le sous-lieutenant Lorang, le sous-lieutenant Le Bobinnec et 13 autres parachutistes. L’action demande d’être vite menée, car il paraît que le général prépare ses valises.

Le stick s’en va, tranquillement, à travers la campagne, dirigé par un Anglais, qui se cache dans le pays depuis le parachutage d’Arnheim. Les Hollandais, à notre vue, se croient libérés. Ils nous escortent joyeusement et nous décorent de petits rubans orange, couleur nationale. Nous devons leur interdire de nous suivre.

Nous arrivons bientôt dans le village, libre d’Allemands. Le P.C., un peu à l’écart, nous est désigné. L’approche se fait sans encombre. Déployé en tirailleurs, en larges intervalles, le stick marche vers la maison, attentif au premier signe. L’adjudant Bouard fume sa bouffarde.

Le sous-lieutenant Le Bobinnec et l’adjudant Bouard se chargent de la visite, pendant que le reste du groupe va protéger leur retour et détourner l’attention des Allemands.

Le Bobinnec contourne la maison et arrive par derrière, par la cuisine. En même temps, les Allemands ont ouvert le feu sur le groupe. Celui-ci riposte par quelques rafales bien nourries. Le Bobinnec voit surgir à la porte un homme, mitraillette au poing. Au même instant, il aperçoit le général. Le Bobinnec, qui s’est esquivé, vise le général par la fenêtre et l’abat. II s’écroule lourdement, de sa bouche sort un filet de sang, ses yeux fixes le regardent. Bouard arrive au même instant. Un “oberlieutenant” sort du P.C. sans les voir, à 3 mètres d’eux. Une balle dans le dos, il est mort. Un grand major sort lui aussi, aperçoit nos deux S.A.S. mais n’a pas le temps de s’abriter. Il tombe mort à son tour.

Mais voici que des coups de feu partent du premier étage. La porte d’entrée se barricade. Du toit tombe une grenade, à l’intention de Bouard et Le Bobinnec, sans doute. Elle ne leur fait pas de mal.

Bouard, qui voulait placer sa gammon bomb (boule de plastic armée d’une chaîne de bicyclette), rampe le long du mur, sous une fenêtre d’où partent des coups de feu. Arrivé de l’autre côté, il jette sa bombe à l’intérieur de la pièce. Elle éclate dans un bruit de tonnerre. Les fenêtres sont démantelées, quelques cris plaintifs se font entendre. La pièce est bien nettoyée. Le rez-de-chaussée est visité, le poste de radio détruit. Il ne faut plus songer au premier, trop bien tenu.

Il n’y a plus qu’à à rentrer. Le Bobinnec court en direction d’un petit mur, traverse la route, s’arrête, se retourne et aperçoit un grand diable de boche qui l’épaule, à 40 mètres. Il n’a que le temps de se jeter à terre. La balle s’écrase juste à la hauteur de son crâne, dans le mur, derrière lui. Un nouveau bond et Le Bobinnec engage le duel. Il tire, mais manque deux fois le boche, qui ne s’est même pas abrité. Le Bobinnec rajuste sa hausse, qui s’est déréglée. Puis tire de nouveau. Cette fois, l’Allemand s’est précipité derrière la maison. Le Bobinnec en profite pour rejoindre Betbèze, qui attaque par un autre côté.

Bouard, pendant ce temps, a filé vers le stick. Lui aussi, pris à partie par un boche, engage un duel. Blessé, il continue cependant à tirer jusqu’à ce qu’il réussisse à se traîner dans un fossé, dans lequel il se laisse littéralement tomber. Sa blessure lui fait horriblement mal, quelque part au ventre. Il se sent perdu.

Une femme surgit à ses côtés. Il lui recommande de se baisser. Le tir continue tout autour d’elle. Elle fait signe aux Allemands de ne plus tirer, qu’elle est là pour sauver un blessé. Peine perdue. Elle tombe à son tour gémissant de douleur. Bouard parvient à la saisir, la tire vers lui, dans le fossé.

Cependant, le stick est sérieusement accroché et ne parvient pas à se dégager. Les deux F.M. ne tirent plus. Marché est tué. L’autre, Bonjean, est blessé. II est étendu en travers de la route, à 20 mètres du P.C. Le Bobinnec se lance à son secours et le ramène. Mais il est touché à son tour et s’écroule à 2 mètres de Betbèze. Paralysé, il lui tend les bras. Betbèze accroche Le Bobinnec et le tire à lui. Mais il est lui aussi blessé à la jambe.

Le sous-lieutenant Lorang, également, a une large blessure qui lui barre le dos.

Le combat est long et nous nous épuisons. Le décrochage s’effectue cependant non sans peine.

Le Bobinnec parvient à se traîner dans une cave, à 2 mètres de là. Il y trouve deux Hollandais qui s’y cachent. Il réclame à boire. Le plus jeune lui donne de l’eau et arrête le sang qui coule abondamment au côté, à l’aide d’un pansement. Le plus vieux ne veut rien savoir, l’enferme dans la cave et veut aller chercher les boches. Le Bobinnec sort son colt et menace le bonhomme, de 16 heures jusqu’à 10 heures le lendemain matin. Pendant cette longue et pénible attente, il déchire son code. À 4 heures du matin, Bonjean meurt près de lui.

Le Hollandais parviendra cependant à s’échapper. Le Bobinnec est pris quelques instants plus tard par les Allemands et emmené prisonnier.

Bouard suit un destin analogue, tandis que Lorang, qui aura réussi à se traîner jusque dans un poulailler, s’est glissé dans une minuscule cabane, dans laquelle il tiendra quarante-huit heures, plus mort que vif, jusqu’à l’arrivée des Canadiens.

La petite garnison allemande comprenait une trentaine d’hommes, dont le général, cinq officiers et une douzaine de S.S., leurs pertes se résument au général, un commandant, un lieutenant, cinq sous-officiers ou hommes, plus quelques blessés.

Nous avons deux tués, trois blessés graves dont deux par la suite furent faits prisonniers.

Dure campagne que cette opération de Hollande, de faible durée pourtant, et qui, pour la plupart d’entre nous, se poursuivit pendant cinq à six jours au lieu des quarante-huit heures prévues.

Nos pertes se chiffrent à 29 tués, 35 blessés et 96 disparus. Soixante-sept parmi ceux-ci seront délivrés par les Canadiens quelques jours après, tandis que le reste rentrera d’Allemagne un peu plus tard.

Les Allemands ont laissé 269 tués, 220 blessés et 187 prisonniers. Chiffres qui sont déjà de sages moyennes. Elles indiquent avec éloquence que les S.A.S. n’ont pas perdu leur temps.

Témoins d’ailleurs, les nombreux télégrammes de félicitations de hautes personnalités britanniques. En particulier nous recevons celui du major général R.N. Gale, D.S.O., “O.B.E.”, MC., commandant le 1st Airborn Corps, adressé au brigadier général Calvert : “Mes félicitations les plus sincères pour vous et pour les deux héroïques régiments français pour leur splendide travail au cours de l’opération Amherst”.

Extrait de la Revue de la France Libre, n° 59, juin 1953.