Extrait du carnet de route d’Albert Pivette

Extrait du carnet de route d’Albert Pivette

Extrait du carnet de route d’Albert Pivette

1re compagnie du B.I.M. – section de l’adjudant Delsol


vehicule-detruit
Des ennemis tués au pied de leurs véhicules détruits par les tirs Free French (Photo Imperial War Museum).

(Ce carnet provenait du colis de Noël 1941, offert par le Comité français d’Égypte, avec la mention : « Souhaits de Victoire pour 1942. Signé : Germaine. »)

Journée calme, mais à la tombée de la nuit, alerte. La « Jock Colonne » est rentrée et il y a des fusées lancées en quantité.
27 mai.
C’est la guerre cette fois-ci. Ce matin, de 9 heures à 10 h 30, attaque de chars sur B.H. 32 chars hors de combat, un blessé grave de notre côté. Nous avons fait 100 prisonniers italiens dont un lieutenant-colonel. Magnifique début. Nous sommes encerclés de loin.
28 mai.
Deuxième jour d’encerclement. Ici calme. La bataille se déroulant à l’est. Changé d’emplacement et passé en deuxième position. Dans la soirée nous sommes bombardés et mitraillés de belle façon par la R.A.F. Incroyable. Deux morts, trois blessés.
29 mai.
Troisième jour. – La bataille semble se dérouler vers le nord à présent. Ici, assez calme. Récupération de matériel et prisonniers ennemis. Tout ce qui passe à portée d’artillerie est canardé. La ration d’eau est ramenée à 2 litres.
30 mai.
Quatrième jour. – Bilan de la journée d’hier : 29 véhicules ennemis récupérés, 34 détruits dont sept blindés et 70 prisonniers. Tout ça par les F.F.L. et aujourd’hui ça continue. Les Anglais ont attaqué cette nuit et délivré 600 prisonniers hindous qui ont rejoint B.H. Nous souffrons atrocement de la soif.

31 mai.
Encerclement terminé. Ce matin un convoi est entré à B.H. Le cercle est brisé. La bataille se déroule très favorablement, des chars ennemis sont détruits par centaines. Dans la soirée bombardement par six avions.
La contre-offensive amie est déclenchée. Presque la totalité des troupes va quitter B.H. ce matin. Avons subi quatre raids de 6, 12, 12 et 5 bombardiers. Une pièce de D.C.A. des fusiliers marins a huit servants sur neuf tués. Une bombe tombe à 25 mètres, faisant exploser une caisse de grenades à 2 mètres de mon trou.
2 juin.
En fait de contre-offensive, ce sont les boches qui contre-attaquent. Nous prenons position à toute vitesse en première ligne. L’artillerie donne à plein, mais rien n’arrive. Rommel adresse un ultimatum. Journée terrible pour la soif. Toutes les troupes rentrent.
3 juin.
Nous sommes bien servis ; l’artillerie boche installée au nord et au sud nous coupe le ravitaillement et nous tire dessus tant qu’elle peut. Cinq raids de 12, 18, 12, 22, 30 bombardiers. C’est épouvantable. La ration d’eau est ramenée à un litre et demi, c’est dur. Dans la soirée, changé d’emplacement.
4 juin.
Encore une journée qui comptera. Six raids presque aussi forts qu’hier. Un bombardier atteint par la D.C.A. explose en plein ciel, deux des trois aviateurs s’écrasent à 100 mètres de mon emplacement. La R.A.F. commence à montrer ses ailes, ce n’est pas trop tôt. L’artillerie ennemie commence à tirer un peu trop bien (corvée d’eau).
5 juin.
Il y a un peu de mieux aujourd’hui. Si l’artillerie est encore très active, l’aviation a été nulle, on a pu respirer. La bataille s’est déroulée presque tout le jour au sud de la position avec les Sud-Africains.
6 juin.
Journée sans aviation, mais nous avons pris quelque chose comme artillerie. Dans la soirée changé de nouveau d’emplacement. Les boches ont l’air de vouloir préparer une attaque en règle. F.M. et mitrailleuses sont déjà entrés en action.
7 juin.
Deux raids légers de deux et quatre avions. Artillerie très active des deux côtés et l’infanterie commence à être dégagée. Nous sommes encerclés de tous côtés à présent et l’on déguste pas mal.
8 juin.
Quelle journée, mon Dieu, quelle journée ! Trois raids, deux de plus de 60 bombardiers et un de 10 – l’artillerie n’a pas arrêté depuis 6 heures ce matin et il y a eu une attaque au N.-E. dont j’ignore le résultat et qui a duré quatre heures. Je ne comprends pas comment il reste encore des vivants à B.H.
9 juin.
De mieux en mieux. Trois raids massifs de 40 bombardiers, plus un de la R.A.F. Une honte. Toute la journée attaque générale d’artillerie et d’infanterie. Envoyé en renfort au Fort. Terrible mitraillage et mortier. Vision atroce de la guerre… Deux blessés à la section.
12 juin.
Le cauchemar est terminé et c’est loin à l’arrière, à Gambut, que nous nous remettons de nos fatigues et émotions.
Voici les faits : mercredi 10 a été la journée la plus terrible. Deux raids massifs de plus de 100 bombardiers, plus une attaque d’infanterie et d’artillerie. Nous avons pris position en première ligne devant le fort. À 21 h 30, ordre d’évacuer B.H… À 3 h 30, nous sommes pris à partie, B.H. complètement encerclé par les mitrailleuses et Bréda… Un véritable rideau de feu… Subissons de grosses pertes et rejoignons les Sud-Africains qui nous amènent ici. Les boches attaquent et nous quittons Gambut. Arrivons à la nuit à Sollum.
13 juin.
Avons quitté Sollum ce matin et sommes arrêtés à Sidi-Barrani. Je suis dans le dénuement le plus complet ayant été obligé de tout abandonner avant le départ. J’ai sauvé ma peau, c’est le principal.
18 juin.
Voici le bilan de la campagne pour le B.I.M.
Sur un effectif de 340 :
Morts : 14, dont le commandant Savey.
Blessés : 27.
Disparus : 53.
OBSERVATIONS
Ces notes sont la copie intégrale des notes écrites au jour le jour, au crayon. C’est la vie à Bir-Hakeim vécue au niveau de la troupe avec ses ignorances et ses erreurs.
Craignant la capture lors de la sortie de vive force, j’avais caché le carnet dans mes guêtres.
Extrait de la Revue de la France Libre, n° 168, juin 1967.