F.A.F.L. et R.A.F., par Bernard Dupérier

F.A.F.L. et R.A.F., par Bernard Dupérier

F.A.F.L. et R.A.F., par Bernard Dupérier

Group Captain Appleton en 1943 après avoir été décoré de la croix de guerre au Q.G. des F.A.F.L. (RFL).
Group Captain Appleton en 1943 après avoir été décoré de la croix de guerre au Q.G. des F.A.F.L. (RFL).

Lorsque la rédaction de notre revue m’a demandé de rappeler quelques traits de la profonde amitié qui nous liait à nos Alliés britanniques pendant notre long exil, je me suis demandé avec perplexité lesquels choisir. Mais du fond de ma mémoire remontaient déjà les figures amies qui sont désormais attachées pour toujours à cette époque de notre vie, et parmi elles dominant les autres de toute sa haute taille, celle du Group Captain John Appleton, commandant le secteur de Tangmere ou nos escadrilles reçurent le baptême du feu.

C’était lui, qui, avec Wing Commander Robinson, son bras droit, avait réclamé l’affectation des « Free French » sous son commandement. Plus tard, dès qu’il avait eu la certitude de notre venue, c’était lui qui avait voulu se transformer, à notre bénéfice, en un merveilleux propagandiste. Il allait, proclamant partout que ceux qui arrivaient avaient tout sacrifié pour venir se battre aux côtés de leurs Alliés et que c’était un devoir sacré de nous bien recevoir. Il en avait si extraordinairement préparé le climat, que l’accueil de la population dépassa en cordialité, en gentillesses et en attentions de toutes sortes ce que les plus optimistes d’entre nous avaient pu espérer. C’est ainsi que, très vite, grâce à lui, nos jeunes pilotes et nos vieux mécaniciens furent adoptés par les familles de la ville de Chichester et des fermes alentour. Ils y trouvèrent la chaleur et le réconfort d’amitiés franches et solides dont les liens les ramenèrent bien souvent par la suite dans ce petit coin du Sussex.
Qui était donc l’ami précieux à qui nous devions d’avoir trouvé tant de bras largement ouverts au retour de nos premiers combats ?
Le Group Captain Appleton, officier de carrière de la Royal Air Force, avait découvert depuis son plus jeune âge ces affinités profondes qui ont maintenu les liens ancestraux des Celtes entre les îles et le continent. Plus tard, ayant épousé une jeune fille anglaise dont la famille était établie à Saint-Malo, ses nombreux séjours dans notre pays avaient renforcé ses sentiments à l’égard de la France.
En 1939, dès les premiers jours des hostilités, il s’était trouvé engagé sur notre sol avec son escadrille de bombardiers légers, « Fairey Battle », et ce n’est pas ici qu’il est nécessaire de rappeler l’héroïque sacrifice de cette unité d’élite sur les ponts de Maestrich, en 1940. Sorti par miracle de cette hécatombe, il avait pris ensuite sa part des combats qui avaient suivi et il se trouvait finalement à Tangmere au début de l’année 1941 avec le grade de Group Captain (colonel) et, sur sa poitrine, les rubans de la D.S.O. et de la D.F.C. Là, il avait avec lui pour le seconder le Wing Commander Robinson, lui aussi un incomparable ami pour nous. Leurs efforts conjugués firent alors que, dès la fin de son entraînement, le groupe « Île-de-France » vit alors se réaliser son vœu le plus cher, son affectation immédiate au plus fort de la furieuse mêlée où s’affrontaient les escadrilles de la R.A.F. et celles de la Luftwaffe.
Sur un terrain de la R.A.F., en 1942, deux mécaniciens du Groupe « Île-de-France » (RFL).
Sur un terrain de la R.A.F., en 1942, deux mécaniciens du Groupe « Île-de-France » (RFL).

Pour la première sortie du groupe, le 10 avril 1941, Michaël Robinson avait tenu à être personnellement à notre tête et c’est là, entouré de ses compagnons qu’il avait voulu près de lui pour se battre, qu’il trouva au-dessus du sol de France, une fin glorieuse. Son ailier, le lieutenant Choron, avait partagé jusque dans la mort le destin de son chef et cette journée tragique nous laissait deux deuils cruels à venger, celui du jeune officier britannique, au regard clair, qui avait choisi nos rangs pour son dernier vol et celui du pilote de chez nous qui l’avait suivi jusque dans le trépas.

Les jours passèrent et les mois qui suivirent nous apportèrent sans cesse de nouvelles preuves de l’amitié que nous portait le Group Captain Appleton, aussi fut-ce avec un véritable déchirement que le groupe « Île-de-France » quitta Tangmere en juillet 1942 pour aller vers de nouvelles destinées.
Quelques mois plus lard, le Group Captain se portait volontaire pour participer au débarquement en Afrique du Nord. C’est là que, sur un terrain avancé de Tunisie, il devait être touché par les projectiles des Messerschmitt et perdre un pied dans des conditions particulièrement douloureuses. Mais c’eut été mal connaître ce magnifique soldat que de croire qu’une telle blessure ait pu le maintenir loin du combat.
Ayant obtenu le commandement d’une escadre de Typhoon, en dépit de sa mutilation, le Group Captain John Appleton était, comme il le désirait tant, au premier rang de l’armée de la Libération le 6 juin 1944. Il devait trouver la mort à cette place d’honneur quelques jours plus tard, donnant sa vie pour son pays et pour le nôtre qu’il avait voulu aimer comme une seconde patrie.
Pour être moins éclatants que l’amitié du Group Captain J. Appleton, innombrables sont les autres exemples des sentiments cordiaux que nous trouvions partout ou presque, au gré de nos déplacements. C’est ainsi qu’à Hornchurch nous découvrîmes en arrivant que le commandant du secteur, le Group Captain Lott, avait fait hisser au grand mât de la station nos couleurs à côté du drapeau britannique. Elles devaient y rester tout au long de notre séjour.
La place me manquerait si je voulais, d’autre part, rapporter ici les mille attentions pleines de tact et de délicatesse dont les Écossais, eux aussi, nous entourèrent en chaque occasion, réveillant à plaisir tant de souvenirs communs à nos deux pays, mais quel est celui d’entre nous qui ne pourrait aujourd’hui évoquer, à l’ombre du château d’Édimbourg, une figure amie.
Cette guerre cruelle qui devait mêler pour la deuxième fois, sur les champs de bataille, le sang des Britanniques et celui de nos fils tombés côte à côte pour la défense d’un même idéal, montra en outre aux soldats de la France Libre une Angleterre et une Écosse bien différentes de celles des touristes. C’était l’âme et le cœur de la grande nation amie qui se dévoilaient, pour la première fois peut-être, à des Français qui, de leur côté, révélèrent à leurs Alliés une France douloureuse et fière, farouchement dressée dans l’adversité et qui n’avait plus grand-chose de commun avec les « playgrounds » des estivants et le trop fameux « gay Paris ».
Beaucoup, sinon chacun d’entre nous, eurent alors la vision de cette Fédération européenne fondée sur nos deux pays, désirée de tous et qui aurait pu naître dans le sang versé en commun. Ce serait un des plus grands drames de l’histoire si tant de sacrifices et tant de liens sincères s’effaçaient aujourd’hui dans l’oubli pour ne laisser demeurer que l’amertume des vieilles rancunes et la sottise des bas préjugés.
Extrait de la Revue de la France Libre, n° 64, janvier 1954.