François Fleuret

François Fleuret

François Fleuret

… “Espadon” n’est plus, la Résistance et le Réseau C.N.D. sont en deuil.
… Espadon, c’est l’un des premiers héros de la clandestinité, celui dont le nom évoque des aventures prestigieuses, qui permit aux Alliés de couler un grand nombre de navires allemands au cours de cette première phase de la guerre où la bataille de l’Atlantique faisait rage…
… Espadon, c’est aussi cet homme lourd à l’extérieur un peu rude, à la parole joviale toute parfumée de l’accent du terroir qui paraissait mieux fait pour raconter les aventures imaginaires après un bon repas, que pour en diriger de véritables et porter l’habit de déporté.
Dans la Résistance comme ailleurs, il y a des valeurs sûres et des valeurs frelatées. Notre ami, François Fleuret, qui restera toujours pour nous, “Espadon”, était une valeur sûre, solide sur laquelle la France pouvait compter dans les heures heureuses de la paix, comme aux heures plus tragiques de la clandestinité.
Il était de ces hommes qui savent choisir leur tâche et la mener à bien quoi qu’il arrive. Au cours de cette longue carrière de pilote, puis de syndic des pilotes du port de Bordeaux, où il a su se faire tant d’amis ; puis dans ces heures de désarroi de 1940, où avec son autorité tranquille et souriante, il a rassemblé autour de lui les énergies vers la voie qu’il avait choisie avec enthousiasme et foi, mais aussi avec une lucidité jamais en défaut.
Et parce qu’il connaissait son métier à fond, il a pu servir avec une efficacité remarquable. Il pouvait dire sans se vanter : “Rien ne peut se passer dans le port de Bordeaux, sans que le “Papa Fleuret” en soit informé”. Et, en effet, de mars 1941 à juin 1942, c’est-à-dire à une époque où la base sous-marine et commerciale de Bordeaux jouait un rôle capital dans les opérations de guerre, rien de ce qui valait la peine d’être signalé, depuis Bordeaux jusqu’au Verdon, n’a été inconnu des Alliés. Il en a été rapidement de même pour tous les passages de troupes par Bordeaux, les défenses organisées par les Allemands tout autour de l’estuaire de la Gironde, les fabrications de guerre dans les usines, les mouvements de l’aérodrome de Mérignac ; il envoie à Londres les plans des prototypes Focke-Wulfe 89 et 90, ainsi qu’un échantillon du nouveau métal entrant dans leur construction. Il en a été de même des départs de navires chargés de torpilles qui devaient aller ravitailler les sous-marins allemands au large de l’Amérique ; départs auxquels Espadon “s’intéressait” tout particulièrement : sur 15 navires allemands, 11 seront détruits dès leur sortie de la Gironde, sans compter un certain nombre de sous-marins italiens.
Et lorsqu’en juin 1942 tout son groupe est détruit par des arrestations multiples, il réussit à échapper à toutes les recherches et veut servir encore. Il refuse de partir pour Londres comme on le lui propose et avec une activité inlassable remonte un réseau important dans toute la zone libre. Appelé à Paris en mars 1943, pour une autre mission, il laisse à son successeur ce message : “Que ton symbole soit le général de Gaulle et ta devise, France d’abord”.
Il sera arrêté le 3 mars 1943, par hasard à la ligne de démarcation sous un faux nom. Il n’aurait peut-être jamais été identifié s’il n’avait rencontré dans les couloirs de l’avenue Foch, le dénonciateur de juin 1942. Là encore “Espadon” réussit à faire face aux Allemands ; malgré qu’il se sache maintenant perdu, il réussit à leur dissimuler tous les contacts de zone libre après juin 1942 et dès son retour en cellule, fait prévenir les camarades encore en liberté qu’il sait particulièrement menacés.
Il faudrait des pages pour narrer ses prouesses. Lui-même n’en parlait jamais. Modeste il avait été avant la guerre, modeste dans les jours de combat, il était resté le même après, dans son petit pavillon du Verdon “La Fauvette” où cet homme ennemi du superflu menait une vie des plus simples ; s’il s’était lancé dans la politique, c’est qu’il estimait que les résistants avaient leur mot à dire et qu’ils devaient le dire. Et quand il se retrouvait au milieu de ses camarades, ses yeux pétillants de malice et de bonté, sa grosse masse bien calée dans un fauteuil, ou débordant d’une chaise, nous l’écoutions avec plaisir raconter avec son bon accent bordelais et son humour personnel les derniers échos de la politique girondine.
… “Espadon” n’est plus et c’est un dernier adieu et un dernier hommage que nous voulons lui adresser ici, de la part de tous ceux de cette amicale dont il a été le père et le président incontesté, de la part aussi de tous ses amis, ceux de Bordeaux, ceux du Réseau, ceux de déportation, connus et inconnus, qui garderont peut-être surtout le souvenir de son accueil si cordial, de son regard malicieux et indulgent, de cette bonté active à laquelle on ne faisait jamais appel en vain.

Amicale du réseau CND-Castille

Extrait de la Revue de la France Libre, n° 60, juillet-août 1953.