6 mars 1942 : le Gabriel Guist’hau tente de rallier la France Libre

6 mars 1942 : le Gabriel Guist’hau tente de rallier la France Libre

6 mars 1942 : le Gabriel Guist’hau tente de rallier la France Libre

par Louis Monguilan

En ce temps-là, les tribunaux et Pétain lui-même étaient impitoyables pour les patriotes qui tentaient de rejoindre la France Libre.

La présente tentative était tombée dans l’oubli le plus complet lorsqu’un résistant des Alpes-de-Haute-Provence (1) a décidé d’écrire une histoire de la résistance basse-alpine vue à travers la presse régionale d’alors. Idée incontournable, les falsificateurs et les négateurs ne pourraient pas nier. Il entreprit donc le dépouillement de la presse d’époque aux archives départementales.

Entre autres articles édifiants, il est tombé dans « l’Éclaireur de Nice et du Sud-Est, édition de la montagne », du 24 mars 1942, sur un article « Deux marins qui avaient tenté de livrer leur navire aux Anglais ont été fusillés ». Il s’agit en fait d’un communiqué officiel de Vichy que l’on retrouve mot pour mot dans « l’Écho d’Oran » de la même date.

Voici résumée cette lamentable affaire telle que nous l’avons découverte lors de nos recherches, non encore terminées, grâce en particulier à l’aide bienveillante du service des archives de la marine nationale, aux témoignages de marins, Pierre Gerbeau, matelot à bord du patrouilleur la Sétoise, Yves Le Carboullec, novice sur le cargo Gabriel Guist’hau, acteur et victime survivante de ce drame, et à de nombreuses aides des services de l’état civil, du ministère des Transports et d’amis connus ou inconnus qui ont contribué à faire revivre cette mémoire (2).

Au matin du 6 mars 1942, trois convois de la marine marchande de Vichy se présentent pour franchir le détroit de Gibraltar :

– le R 69, sous la surveillance du patrouilleur la Sétoise commandé par le lieutenant de vaisseau Jannot, le cargo le Trait et deux chalutiers, le Saint-Martin-de-Gasse et le Poitou, venant d’Oran, font route vers Casablanca ;

– le R 67, dans le sillage du précédent, composé des cargos Gysberg, Porteur n° 1, Haut-Bar, escortés par le patrouilleur l’Engageante commandé par le capitaine de corvette Dunand-Gasserin, mêmes provenance et destination ;

– le K 69, en sens inverse, qui arrive de Casablanca pour Oran, cargos le Cévennes, le Gabriel Guist’hau, le Roubaisien, le Paramé et le Téméraire, escortés par le patrouilleur la Toulonnaise, commandé par le lieutenant de vaisseau Laurin.

Face à ce nombre inhabituel de navires dans le détroit, la marine britannique renforce sa surveillance. En plus du yacht armé habituel, sous le cap d’Almina, apparaissent les corvettes K 132 et K 139 et le torpilleur T 199.

Ce qui explique qu’à bord de la Sétoise, le lieutenant de vaisseau Jannot rejoint sur la passerelle l’officier de quart, l’enseigne Curot. Le matelot-chauffeur Pierre Gerbeau est sur le pont : c’est lui qui nous a fait parvenir les photos et son témoignage.

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6 mars 1942 – Détroit de Gibraltar – 10 h 15, tentative de ralliement du cargo Gabriel Guis’thau à la France Libre. Photo prise depuis la passerelle de la Sétoise, patrouilleur de Vichy. Au premier plan, le gaillard d’avant sur lequel des marins, aux postes de combat, autour du canon, enfilent leur gilet de sauvetage. À gauche, le cargo Gabriel Guis’thau file sur Gibraltar. Droit devant, le patrouilleur la Toulonnaise dont on distingue l’équipage aux postes de combat sur le gaillard d’avant, comme sur la Sétoise (même type de bâtiment). À l’arrière-plan, derrière les haubans, de tribord et bâbord, deux patrouilleurs anglais convergent sur les lieux. Quelques instants après, dans leur empressement à couper la route au Guist’hau, la Toulonnaise abordera la Sétoise, lui occasionnant une déchirure sans gravité par son travers tribord, l’obligeant tout de même à quitter le convoi et à rejoindre Casablanca à petite vitesse (RFL).

Rapport du lieutenant de vaisseau Jannot, commandant la Sétoise : « À 10 heures, le chef de file du convoi K 69 venait sur la droite, après avoir doublé la pointe Ciris afin de passer à terre de mon convoi, tandis que la Toulonnaise faisait route inverse, paraissant faire serrer leur poste aux derniers bâtiments de la ligne.

Une corvette anglaise K 139 patrouillait à environ trois milles au large de la pointe Ciris.

Lorsque je me suis aperçu que le deuxième bâtiment du convoi de la Toulonnaise ne venait pas sur la droite à l’imitation du guide, j’ai pensé à l’inattention de sa part puis à la volonté de son capitaine de passer au large de mon convoi.

Mon attention a été éveillée lorsque j’ai vu le cargo en question augmenter sa vitesse et faire franchement route vers Gibraltar, tandis que la corvette anglaise prenait poste à trois ou quatre cents mètres devant lui. »

La réaction ne se fait pas attendre, raconte le matelot Pierre Gerbeau. Le commandant met tout en oeuvre pour stopper le fugitif et, devant son refus d’obtempérer, ordre est donné de lui barrer la route. Reprenons le rapport : la Toulonnaise, qui remontait son convoi avec environ deux milles de retard sur le Gabriel Guist’hau, signale à la Sétoise :

« J’ai un bateau qui file sur Gibraltar. Coupez ! » Avant la fin du message, j’avais pris un angle de chasse et mis à l’allure maximum.

Mon angle de chasse initial, pris pour une vitesse de 6 à 7 noeuds, ayant paru nettement insuffisant, je me suis rendu compte que le Guist’hau devait atteindre une vitesse voisine de 10 noeuds.

J’ai rappelé aux postes de combat, hissé le signal du code international « Ordre de stopper », pointé mon canon et ma mitrailleuse sur lui, tandis que je lui signalais par projecteur « Stoppez ou je tire », sans réaction de sa part.

À 10 h 40, à quatre milles dans le 200 de la pointe Carifero (approximatif), je me trouvais à environ 300 mètres à quatre quarts sur l’avant du Guist’hau, hésitant à tirer un coup de semonce sur son avant en raison de la présence de la corvette anglaise aux postes de combat, pièces chargées, mais décidé à tirer une rafale de mitrailleuse sur sa passerelle avant de pénétrer dans les eaux territoriales espagnoles, lorsque j’ai vu le Guist’hau battre rondement en arrière, s’étaler puis prendre de l’erre en arrière.

La Toulonnaise l’a alors rejoint, a stoppé par son travers et a tenté de mettre son doris à l’eau, probablement pour envoyer une garde à bord, tandis que je stoppais entre le cargo et la corvette anglaise.

Une deuxième corvette anglaise arrive à ce moment, met aux postes de combat et reste à évoluer à très faible distance, pièces pointées.

Le Gabriel Guist’hau, qui culait toujours, se trouvait à l’arrière de la Toulonnaise lorsqu’il remit en avant toute, obligeant cette dernière à battre en avant et m’aborder…

Le Gabriel Guist’hau étant stoppé, entouré de la Toulonnaise et de la Sétoise, deux individus se jetèrent à l’eau par l’arrière. L’un des deux, mauvais nageur, avait auparavant jeté à l’eau un banc de bois auquel il s’accrocha en s’efforçant d’avancer avec les jambes.

Ils se dirigèrent tous deux vers la corvette anglaise K 139, évoluant à faible allure, aux postes de combat, à environ 200 mètres, à quatre quarts sur l’arrière du travers du Guist’hau.

La Sétoise était stoppée à environ 100 mètres sur l’avant du Guist’hau, canon pointé sur lui. J’ai aperçu les hommes sautant à l’eau et suis venu dessus, tandis que la Toulonnaise me signalait de tenter de les récupérer.

J’ai été rapidement sur l’homme qui s’accrochait au banc, lui ai crié que s’il ne prenait pas le bout tendu je lui envoyais une rafale de mitrailleuse. Il s’est laissé embarquer sans résistance, tandis que je venais au plus vite sur l’autre individu qui nageait vigoureusement vers l’Anglais dont il était à peine à 50 mètres, hurlant de toutes ses forces.

La corvette anglaise était heureusement stoppée par le travers et devait manoeuvrer ou mettre une embarcation à l’eau pour récupérer le nageur. Bien que tout le personnel britannique fit des signes d’encouragement à l’homme, le bâtiment n’a pas paru manoeuvrer lorsqu’il a vu que je me précipitais sur lui. Il s’est contenté de pointer ses mitrailleuses sur moi.

J’ai effectué la même manoeuvre qu’auparavant pour hisser l’individu à bord. »

Pierre Gerbeau, qui fait parti de l’équipage qui récupère les deux hommes, raconte : « Nous leur offrons des habits provenant de nos sacs personnels avant de les conduire devant notre commandant qui s’entretient avec eux, leur demandant sans doute la raison de leur fuite et ce qui s’est passé à bord de leur bateau… Peu après, ils sont enfermés dans la cambuse, près du poste d’équipage ». Puis la Sétoise fait route vers Casablanca afin d’y être réparée de l’avarie provoquée par l’abordage de la Toulonnaise et y livrera les deux fugitifs aux autorités maritimes.

Voyons le rapport du lieutenant de vaisseau Laurin, commandant le patrouilleur la Toulonnaise, qui a vu l’affaire sous un angle différent :

– 10 h 19, signalé à la Sétoise : j’ai un bâtiment qui file : coupez. La Sétoise chasse immédiatement le Guist’hau.

Le chalutier anglais se range sur l’avant du Guist’hau. Ces deux bâtiments font route sur Gibraltar. L’Anglais communique avec le Guist’hau par scott.

– 10 h 20, rappelé aux postes de combat.

– 10 h 24, hissé le signal international.

« Guist’hau stoppez votre navire immédiatement » (sic).

– 10 h 32, un deuxième patrouilleur anglais (corvette P 132) venu de l’est arrive à proximité du Guist’hau en même temps que la Sétoise.

– 10 h 34, le Guist’hau bat en arrière.

– 10 h 35, la Toulonnaise rallie le Guist’hau. J’estime qu’à ce moment les bâtiments se trouvaient à 3 milles dans le sud de la pointe Carnero.

– 10 h 39, un homme signale à bras du pont arrière du Guist’hau « envoyer un canot armé ». Mis le doris à l’eau pour mettre une garde à bord. Signalé à la Sétoise « Placez-vous derrière pour éviter un accostage des chalutiers anglais ». Le Guist’hau met en avant et coince la Toulonnaise entre la Sétoise et lui. Manœuvré arrière toute, à droite toute, pour éviter Sétoise, puis en avant toute, à gauche toute pour éviter Guist’hau qui menaçait les grenades arrière amorcées et prêtes à mouiller.

Abordé la Sétoise par son travers tribord, évité le Guist’hau à un ballon près. Largué le doris avec trois hommes. La corvette P 132 invite ces hommes à monter à bord. Il lui est répondu par des gestes non équivoques.

Revenu à 50 mètres par tribord du Guist’hau, le commandant (Le Callo) par un hublot tribord nous crie : « Rendez-moi mon bateau. N’hésitez pas à tirer sur la passerelle. »

– 10 h 47, prévenu par porte-voix « Stoppez immédiatement ou je vous coule ». Un homme à tribord arrière du château va donner l’ordre à la machine par le portevoix de la passerelle.

– 10 h 49, je donne l’ordre de délivrer immédiatement le commandant ou je mitraille la passerelle. Le commandant apparaît sur le château. Je lui donne l’ordre de faire route sur Almina. Cet ordre est exécuté. La Toulonnaise suit le Guist’hau.

– 10 h 52, signalé à la Sétoise «Reprenez mon doris ». Pendant tout ce temps, les bâtiments anglais restent à proximité aux postes de combat.

– 10 h 56, Guist’hau signale à bras.

« Quand vous pourrez, envoyez vos hommes armés et un gradé, je ne suis pas sûr de mon équipage… »

Un yacht armé anglais venant de l’ouest rallie le groupe Toulonnaise, Guist’hau, et le suit.

– 11 h 10, fait rompre le poste de combat. Accosté tribord du Guist’hau en baie de Ceuta, mis à bord un enseigne, un gradé et cinq hommes armés avec consignes de passer par les armes tout nouveau mutin…

Remis le convoi en route à 7 nœuds…

– 12 h 05, le yacht armé stoppe et envoie une embarcation dans la direction du Téméraire… L’embarcation rentre à bord du yacht.

– 12 h 07, l’Engageante signale « Embarcation anglaise semble avoir repêché quelque chose. »

– 12 h 12, commandant du Paramé signale à la voix « Un homme du Paramé vient de se jeter à l’eau. C’est pourquoi l’Anglais a envoyé une embarcation » (3).

Le lieutenant de vaisseau Laurin conclut ainsi son rapport : « Je considère personnellement que nous avons été servis par une chance inouïe. La présence simultanée de trois bâtiments de guerre français dans le détroit est en effet un fait rare. »

Quant au lieutenant de vaisseau Jannot, il conclut : « Je suis persuadé qu’il n’y a eu aucune entente préalable au passage du détroit entre les mutins et les Anglais. Ces derniers ont paru constamment hésitants et indécis, sans même paraître réaliser exactement ce qui se passait, sauf tout à fait à la fin de l’affaire. Il m’a paru cependant qu’il aurait suffi d’un rien pour déclencher de leur part l’ouverture du feu, au moins à la mitrailleuse ».

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Paul Peyrat, 20 ans, à gauche, et Jacques-Jean Pillien, tout juste 17 ans, le 6 mars 1942 à 11 heures, sur le pont de la Sétoise après leur repêchage. L’équipage leur a donné une tenue de corvée car ils s’étaient dénudés pour nager. Ils ont été fusillés tous les deux dans la carrière des tuileries de Roseville, à Mers El-Kébir, le 23 mars 1942 à 7 heures (RFL).

Nous avons pour épilogue de cette affaire le communiqué de Vichy du 24 mars 1942, dans « l’Éclaireur de Nice et du Sud-Est » et dans « l’Écho d’Oran » : « L’enquête a immédiatement établi que ces deux hommes nommés Peyrat et Pillien, matelots à bord du Guist’hau, avaient essayé, avec la complicité du novice, de se rendre maîtres du navire et de le livrer aux Anglais… Déférés devant la cour martiale, ils ont été condamnés à mort le 13 mars et, leur pourvoi ayant été rejeté, ils ont été exécutés le 23 mars à Oran. Le novice, Yves Le Carboullec, dont la culpabilité était moindre, en raison de son âge, a bénéficié de la clémence des juges et a été condamné à dix ans de travaux forcés. »

Voici l’état civil exact des trois conjurés, nous nous le sommes procuré en mairie :

– Pillien Jacques, Jean, né le 3 février 1925 à Eaubonne (Val-d’Oise).

– Peyrat Paul, Alexandre, né le 13 avril 1921 à Bordeaux (Gironde).

– Le Carboullec Yves, né le 18 février 1924 à Lanmodez (Côtes-du-Nord).

L’on voit que Pillien venait juste d’avoir 17 ans, qu’il était donc le plus jeune et aurait peut-être pu bénéficier de l’indulgence du tribunal s’il avait révélé son âge exact ; il s’était certainement vieilli de deux ans pour s’embarquer et rejoindre la France Libre.

Le témoignage d’Yves Le Carboullec nous apporte certaines précisions : « Nous voulions tous les trois rejoindre la France Libre. À Dakar, nous avions réuni une somme rondelette pour acheter des passeurs afin de gagner la Gambie britannique, mais cela n’a pas marché. C’est alors que nous avons décidé de tenter de rejoindre Gibraltar avec notre cargo lors du passage du détroit. Nous avons acheté un pistolet et Peyrat qui avait accès à la cabine du commandant en a dérobé un second, juste avant l’action. Lorsque le Gabriel Guist’hau a été au plus près de Gibraltar, Pillien et Peyrat ont maîtrisé le commandant et l’officier de quart sous la menace des pistolets. Ils ont mis le « chadburn » en avant toute, je venais de prendre normalement mon service sur la passerelle et avais pris la barre sous le prétexte d’envoyer le timonier faire sa toilette. J’ai alors mis le cap droit sur Gibraltar.

Depuis la passerelle, Pillien a passé à bras un message au navire anglais le plus proche : « Précédez-nous vers le chenal d’accès, nous suivons » . Ce que celui-ci a fait effectivement.

C’est alors que le commandant a réussi à tromper la surveillance de Peyrat, à dévaler l’escalier tribord, à faire mettre « arrière toute » à la machine par la grille du pont, et à s’armer. Il y a eu à ce moment-là échange de coups de feu au cours duquel le commandant a été blessé à la main.

Au « chadburn », Pillien et Peyrat font mettre en avant toute, mais le Guist’hau est coincé par la Sétoise et la Toulonnaise qui, à bout portant, menace de couler le cargo. Les Anglais très proches comprennent mal ce qui se passe et n’interviennent pas.

Pillien et Peyrat voyant que la tentative échoue sautent à l’eau par l’arrière pour rejoindre la corvette anglaise K 139, à 200 mètres. Peyrat, mauvais nageur, avait lancé un banc à l’eau pour se soutenir, il est récupéré le premier par la Sétoise sous la menace d’être mitraillé puis c’est au tour de Pillien qui hurlait à l’intention des Anglais qui n’ont fait que l’encourager par gestes et à la voix, sans réagir. »

À bord de la Sétoise, les deux mutins sont interrogés par le commandant Jannot. Celui-ci écrit : « Peyrat paraît très aplati (sic), Pillien se charge à plaisir. Ancien matelot à bord du cuirassé Jean Bart, il a pris le quart de 4 heures à 8 heures sur la passerelle. Il dit en plaisantant au second : Et maintenant, si on allait à Gibraltar ? »

Celui-ci répond : « Ce ne serait pas le moment, je vais en permission en arrivant. »

Pillien descend faire sa toilette puis se concerte avec Peyrat. Ils attendent le moment où le convoi va déboucher de la pointe Ciris. Ils montent sur la passerelle et, sous la menace de leurs revolvers, ils font ranger le commandant et le personnel présent sur la passerelle. Peyrat met le « chadburn » sur avant toute… Devant l’équipage de la Sétoise, Pillien a traité son commandant de salaud de germanophile et a fait l’apologie de l’Angleterre et de sa victoire certaine…

Le Carboullec, qui était en service normal et qui n’a pas sauté à l’eau, bien que dans la conjuration, n’est pas inquiété dès l’abord. Ce n’est que cinq jours après, à Oran, le 11 mars 1942, les langues ayant été déliées, qu’il sera arrêté, interrogé avec la dernière brutalité, puis jugé avec ses deux camarades le 13 mars.

Amené devant le tribunal, il comprend immédiatement que la décision est prise d’avance.

Le Carboullec est dans la même prison de Mers el-Kébir que ses camarades. Il les croise ou les rencontre lors de leur sortie journalière. Il apprend que les avocats commis d’office ont déposé un recours en grâce pour Pillien et Peyrat auprès de Pétain ; puis, quelques jours après, que celui-ci a rejeté la grâce.

Pillien et Peyrat sont fusillés le 23 mars à 7 heures du matin, dans la carrière des tuileries de Roseville, à Mers el-Kébir, 17 jours après leur tentative !

Le Carboullec est envoyé à Constantine purger sa peine de travaux forcés. Le 8 novembre 1942, c’est le débarquement allié en Afrique du Nord. Le Carboullec ne sera libéré que le 31 janvier 1943 ! Il pesait 35 kilos à sa sortie du bagne.

C’est en stop qu’il rejoint le Moyen-Orient pour s’engager pour la durée de la guerre dans les FNFL. Il est affecté sur une vedette de la police maritime de Beyrouth ; mais, ne voulant pas terminer la guerre ainsi, il demande sa mutation dans les parachutistes. Puis ce sont les vedettes lance-torpilles dans la mer du Nord jusqu’à la capitulation allemande. Après la libération de la Bretagne, il bénéficie d’une courte permission pour aller embrasser ses parents. Il apprend que son jeune frère de 17 ans, Gustave, a été fusillé par les SS.

Le 10 février 1944, la cour d’appel d’Alger révise et annule les condamnations prononcées par jugement de la cour martiale du tribunal de bord séant à Oran, en date du 13 mars 1942 : « Attendu que les condamnés ont déclaré qu’ils avaient agi par haine de l’occupant et que tel est le motif de leur action… par ces motifs, la cour annule le jugement susvisé… »

Dans « le Courrier de Saint-Nazaire » du 12 juin 1942, on lit : « Le capitaine Le Gallo du Bourg de Batz, commandant le cargo Gabriel Guist’hau, a été promu au grade d’officier de la Légion d’honneur par le maréchal pour avoir déjoué la mutinerie de quelques salopards gaullistes et avoir livré les révoltés aux autorités maritimes. » Le journaliste ajoute : « Sa devise pourrait être : tout pour la France, tout pour le Maréchal ».


(1) Jean Garcin : « De l’Armistice à la Libération dans les Alpes-de-Haute-Provence. Chronique », chez l’auteur, 11, chemin des Ajoncs, 04000 Digne.
(2) Alain Rafesthain, maire de Fussi, près de Bourges, auteur d’un ouvrage publié fin 1993, où cette affaire est rapportée avec d’autres : « La Liberté guidait leurs pas », Éditions Royer, collection Passé simple. Yves Le Carboullec, FNFL, est décédé le 4 avril 1995.
(3) Il s’agit donc d’une seconde affaire de ralliement le 6 mars 1942 à midi dans le détroit de Gibraltar. Individuelle, elle a été couronnée de succès semble-t-il. Il serait intéressant pour l’histoire de la France Libre de connaître l’identité de ce marin du Paramé et son devenir. Recherches assez faciles aux archives de la Marine de commerce française et à celles de l’Amirauté britannique.

Extrait de la Revue de la France Libre, n° 292, quatrième trimestre 1995.