Jean et Bernard Vautrin
Un double anniversaire : le général Jean Vautrin (avril 1943), le sous-lieutenant Bernard Vautrin (avril 1944)
Le mois d’avril évoque aux anciens de la 1re D.F.L. ces jours du printemps de 1943 où ils connurent la prestigieuse figure du colonel Vautrin, arrivant de France où il avait joué un rôle de premier plan dans la résistance du Sud-Est, et qui devait tomber peu après en préparant l’engagement de la division dans les combats de Tunisie.
Les premiers mois de 1943 étaient sévères. Après les combats de 1942, Bir-Hakeim et El Alamein, la 1re division passait par l’épreuve d’une période de réorganisation dans la région de Tobrouk, alors que là-bas, à l’Ouest, la bataille de Tunisie faisait rage ; et chacun rongeait son frein, obsédé par cette pensée que les Français libres, premiers à reprendre le combat en 1940, pourraient être absents à la libération de ce dernier morceau d’Afrique du Nord où s’accrochait l’ennemi.
C’est alors que nous arriva le colonel Vautrin, évadé de France, apportant avec lui l’air du pays, le témoignage de la Résistance, en même temps que le renfort de sa puissante personnalité. Car c’était un homme d’une classe exceptionnelle, ce magnifique athlète au beau visage respirant la force et l’optimisme, l’autorité, l’intelligence, au verbe entraînant, nourri d’une profonde culture, rompu aux problèmes militaires les plus élevés.
Son passé le préparait aux plus grands rôles auxquels il était évidemment destiné. Engagé volontaire à 18 ans, il obtenait sa première citation en juillet 1915 le jour même de son arrivée au front, deux autres dans les deux mois suivants. Chef de groupe franc, puis commandant de compagnie, il terminait la guerre chevalier de la Légion d’honneur, huit fois cité à l’ordre, Military Cross.
Après la guerre, d’abord appelé à servir dans des missions à l’étranger, il se mettait en devoir de compléter et approfondir sa formation, et c’est ainsi qu’il acquérait, avec le brevet d’état-major, une licence en droit et le diplôme de l’École des sciences politiques, en même temps que la connaissance de plusieurs langues. Aussi, à partir de 1930, était-il employé dans les postes les plus délicats, à l’état-major de l’armée, à la conférence du désarmement, dans divers cabinets ministériels. Chemin faisant, il obtenait son brevet de pilote de chasse et s’entraînait régulièrement.
En 1937 il prenait le commandement du 9e bataillon de chasseurs à Antibes et en faisait l’une des plus belles unités de notre armée. Il obtenait d’en garder le commandement à la déclaration de guerre, mais après quelques mois devait rejoindre un poste à l’état-major de la Ire armée où il était affecté à la liaison avec l’armée britannique, et prenait part à la bataille de Belgique et à celle de Dunkerque. Cité dans l’armée française, il recevait des Britanniques le Distinguished Service Order.
Peu après l’armistice il prenait le commandement du district militaire de Grasse, où il retrouvait ses anciens du 9e B.C.A., où il pouvait avoir les contacts les plus étendus avec toutes les catégories de la population, où son prestige personnel était fortement assis. Tous ces atouts, il les mit sans attendre dans le jeu de la Résistance, car il était de ceux qui pas un instant ne doutèrent de la nécessité de continuer le combat avec les armes qui restaient à leur portée.
Pendant plus de deux ans le colonel Vautrin fut l’organisateur de la Résistance dans la région du Sud-Est. Son activité fut intense, sous toutes les formes. C’est ainsi qu’il anima les premiers groupes clandestins qui devinrent les réseaux, recherchant les bonnes volontés, coordonnant leurs actions, apportant l’inappréciable appui de son expérience et de son jugement. Son autorité naturelle le servit beaucoup dans ce rôle, et lui permit d’empêcher les fautes et les imprudences qui trop souvent compromirent les premiers élans. Il circule sans arrêt, prend des liaisons, établit des chaînes de passage par l’Espagne, crée le poste d’émission Radio-Patrie, les premiers éléments de contre-police, des dépôts d’armes. Il organise des sabotages de transmissions ennemies, des parachutages, des départs par mer, établit et fait parvenir à Londres une étude des terrains utilisables pour les atterrissages, enfin réunit les éléments d’un plan de débarquement qui fut une des bases des opérations de 1944.
Un témoignage significatif est apporté par l’un de ses émules : “Le colonel Jean Vautrin était le type parfait de l’officier d’élite ; sa vive et remarquable intelligence et la passion qu’il avait de son métier lui permettaient de s’adapter immédiatement à tous les problèmes. Il fut l’un des deux ou trois hommes qui donnèrent à la Résistance française sa valeur, sa forme et sa technique”.
Une telle activité ne va pas sans alerter l’ennemi. La Gestapo et l’Ovra le recherchent ; sur le point d’être pris, il réussit à s’évader par l’Espagne et rejoint Londres en janvier 1943 pour s’y mettre aux ordres du général de Gaulle qu’il considérait, à un moment où certains Français et nos Alliés américains cherchaient à imposer d’autres solutions, comme le chef incontesté de la Résistance française.
Il n’y avait pas alors dans les Forces françaises libres de poste répondant vraiment à la classe du colonel Vautrin, qui « valait » le commandement d’une Grande Unité. Il accepta de bonne humeur d’être chef d’état-major de la 1re D.F.L., ce qui lui permettait en même temps de s’informer des choses et gens du Moyen-Orient, de nos Alliés britanniques, et de se préparer au rôle de premier plan qui ne pouvait pas ne pas lui revenir à l’issue de la campagne de Tunisie.
Il fut un chef d’état-major magistral, dominant avec aisance tous les problèmes, réalisateur, obtenant beaucoup de tous. Il dirigea remarquablement en particulier, le mouvement de la division par route de Tobrouk à Tripoli sur 1.650 kilomètres. La 1re D.F.L. lui doit beaucoup pour cela ; elle lui doit peut-être encore plus pour le réconfort et l’encouragement que reçurent de son contact des hommes qui se démoralisaient quelque peu de se sentir éloignés du champ de bataille où se jouait une grande partie, et séparés par un fossé des camarades d’Afrique du Nord raidis dans leur hostilité à la France Libre. L’arrivée et le témoignage de Vautrin leur montraient qu’ils étaient dans la droite voie, qu’ils étaient « accordés » avec les sentiments des résistants de France.
Le 28 avril, de Tripoli, le colonel Vautrin prenait l’avion pour aller discuter au Q.G. de la VIIIe armée les conditions d’engagement de la division. En arrivant sur le terrain de Monastir, près de Sousse, l’appareil dut tourner au-dessus du terrain pour attendre que la piste soit libre ; une faute de pilotage et l’avion s’écrasait au sol, en flammes ; tous ses occupants furent calcinés. Ainsi disparaissait, en pleine puissance, au sommet de la courbe ascendante de sa personnalité, au moment où ses dons allaient trouver leur plein emploi, ce soldat français qui avait bravé impunément les risques du champ de bataille, ceux de la lutte clandestine, qui s’apprêtait à faire plus encore pour le service du pays.
La France n’a pas eu tellement d’hommes aussi parfaitement adaptés que Jean Vautrin aux épisodes de sa libération pour que sa perte ne doive être comptée parmi ses mauvaises chances. Il avait servi avec toutes ses forces jusqu’au bout de son destin. Le général de Gaulle lui décernait la citation suivante :
« Officier supérieur de très haute valeur, est resté volontairement en France pour organiser la résistance de l’armée dans le Sud-Est, dirigeant clandestinement des parachutages, des embarquements, des réseaux radios, transmettant au commandement allié des renseignements militaires importants.
“Sur le point d’être arrêté par la Gestapo, s’évade et rejoint son chef, le général de Gaulle. chef d’état-major de la 1re D.F.L. en Libye, avait su en peu de temps donner une impulsion magnifique à la réorganisation de cette grande unité. A trouvé la mort au cours d’une liaison aérienne avec le commandement allié sur le front de Tunisie le 28 avril 1943″.
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Le fils aîné de Jean Vautrin, Bernard, né en 1924, avait participé aux activités de son père, et dès son départ s’engageait dans un réseau des Forces françaises libres, le réseau « Gallia » pour lequel il organisait un groupe de résistance dans les Basses-Alpes. Poursuivi, il revient sur la Côte et reprend son travail de renseignement et d’action, jusqu’au moment où il doit quitter la région et rejoint l’école des cadres dans le maquis du Haut-Jura.
En avril 1944, l’ennemi s’établit en force à Saint-Claude pour anéantir les maquis de la montagne, et traque impitoyablement les résistants, fusillant, déportant, incendiant et détruisant sur le passage de ses colonnes. Après une suite de combats et de marches épuisants, le groupe de Bernard Vautrin trouve un refuge dans une grotte, mais l’ennemi est sur leurs traces, obtient des renseignements par la torture, et bientôt les attaque en nombre supérieur. Bernard Vautrin et quatre de ses camarades se dévouent alors pour permettre aux 25 autres d’échapper. Ils se battent en désespérés jusqu’au bout de leurs munitions ; blessés et hors de combat, ils sont achevés par l’ennemi.
Le fils avait rejoint le père dans le combat, puis le sacrifice. C’étaient deux hommes de la même trempe, de celle des héros.
Voici le texte de la citation décernée à titre posthume à Bernard Vautrin, en même temps que la Légion d’honneur : « Entré dans la Résistance à Antibes dès 1941, s’est fait remarqué malgré sa jeunesse pour l’excellence de ses renseignements et pour son ardente foi patriotique.
« Recherché par la police italienne, a rejoint le maquis du Jura.
« Volontaire le 18 avril 1944 pour assurer le repli d’un détachement encerclé à la grotte du “Mont” ; gravement blessé et fait prisonnier, est tombé sous les balles ennemies le 18 avril 1944.
« Restera un bel exemple de devoir et de sacrifice ».
Extrait de la Revue de la France Libre, n° 97, avril 1957.