Jean Gaulmier

Jean Gaulmier

Jean Gaulmier

Professeur de littérature à la Sorbonne, ancien directeur de la presse, de la radio et du cinéma de la France Libre dans les États du Levant

Né dans le Berry au début du siècle, de solides humanités le conduisent au seuil de l’École normale supérieure. L’échec devait privilégier sa passion pour l’Orient, plus précisément pour la civilisation arabe qui, comme le lui avaient enseigné ses maîtres : Étienne Gilson et Louis Massignon, sut conserver l’héritage grec que l’Europe du haut Moyen-Âge avait perdu.
Homme de culture et de dialogue Jean Gaulmier s’inscrit aux Langues orientales pour y apprendre l’arabe et part au Liban pour effectuer son service militaire et perfectionner sa connaissance du monde arabe. Il devait séjourner vingt-cinq ans dans ces terres du Proche-Orient qui s’étaient libérées de la présence turque pendant la Première Guerre mondiale et dont la France avait reçu le mandat de la Société des nations pour une conduite progressive à l’indépendance.
Lorsque le général de Gaulle, chef des Français Libres, arrive au Levant en 1941, la question du devenir de cette région, toujours éludée, était cruciale. Jean Gaulmier, apprécié des Libanais et des Syriens dont il partageait l’existence et les inquiétudes, s’employa dès lors à dire au général de Gaulle, qui lui demandait son avis, quelle devait être la politique de la France Libre à l’égard de ces peuples moyen-orientaux, impatients de voir les promesses d’indépendance se concrétiser et qui acclamaient d’autant mieux l’homme du 18 Juin, qu’ils voyaient, à juste titre, en lui le symbole vivant de la volonté de libération, comme seul et unique moyen pour maîtriser le destin.
Jean Gaulmier fut un gaulliste de la première heure ou presque, comme il le dit dans Combat du 3 septembre 1944 : « Le premier discours de De Gaulle, si beau, si net qu’il ait été, n’a pas produit en moi cette illumination que d’aucuns prétendent en avoir reçue… Il en fut tout autrement du discours de De Gaulle du 22 juin… Le discours du 22 juin avec ses trois points solides : l’honneur et, tout de suite après, le bon sens, le bon sens se réunissant à l’honneur pour servir l’intérêt supérieur de la patrie, cela d’un coup emporta une adhésion totale… »
Après la guerre, Jean Gaulmier préféra retourner au Proche-Orient, où il projetait la création d’une grande université française. Écrivain, philosophe, professeur de littérature, Jean Gaulmier résista aux séductions de l’action politique et se consacra aux recherches qui, entre autres domaines de compétence, firent de lui le spécialiste de Volney, le préfacier des œuvres de Gobineau dans la Pléiade, un des meilleurs connaisseurs de la pensée de Renan.
Si la rencontre de Gaulle-Gaulmier fut brève, elle brille d’un éclat remarquable et exemplaire.
Jean Gaulmier dans ses rencontres avec le général de Gaulle nous a livré un témoignage inédit sur la présence de l’homme de la France Libre au Levant durant la guerre. À coups de brosse rapides, il en dresse un portrait plein de finesse, révélant tout à la fois chez de Gaulle le souci de trouver sur place des appuis pour continuer la lutte contre l’Allemagne, l’inquiétude face aux allées et venues des Britanniques et le désir sincère de répondre le plus tôt possible aux attentes des Syriens et des Libanais. De Gaulle pouvait-il résoudre d’un coup les problèmes multiples aux réalités enchevêtrées de cet « Orient compliqué » ? Jean Gaulmier a su révéler combien de Gaulle, conscient des enjeux, avait du Proche-Orient une vision qui, par sa hauteur de vue et sa dimension historique, dominait la pensée et l’action de la majorité des responsables locaux de l’époque, à l’exception d’un Catroux qui, malheureusement comme de Gaulle, dut bientôt remettre à plus tard et en d’autres mains le soin d’achever une politique de décolonisation amorcée en 1941.
Jean Gaulmier nous ramène aux sources profondes du gaullisme. On a pu dire que chacun a été gaulliste à un moment ou à un autre. Gaulmier le fut durant la guerre et, en nous disant pourquoi, il met le doigt sur l’essentiel. Entre l’honneur, le bon sens et l’intérêt supérieur du pays, il y a un espace, un territoire où l’engagement et la fidélité au général de Gaulle trouvent leur fondement, leur force et leurs raisons d’espérer.
Gilbert Pilleul
Extrait de la Revue de la France Libre, n° 302, 2e trimestre 1998.