
Jean Mahé

Une exceptionnelle conjonction de vertus morales et intellectuelles devait permettre à Jean Mahé de se tailler une place de choix parmi ceux-là qui savent être pleinement des hommes. Cette entière réussite n’a pas surpris ceux qui l’ont connu et pour qui elle ne se mesure ni aux galons ni aux croix mais à la commune admiration qu’ils lui ont vouée.
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Né le 2 juin 1917 à Nantes, aîné de quatre garçons Jean Mahé s’oriente d’abord vers des études primaires supérieures qu’il abandonne à 14 ans pour travailler et aider les siens. Employé de bureau, il gagne sa vie et parallèlement entreprend des études secondaires. Il passe ainsi ses bachots, un certificat de licence de mathématiques et entre à Saint-Cyr en 1937.
Système de la promotion, il s’acquitte d’une tâche délicate à la satisfaction de tous, affirmant sa jeune autorité.
Nommé sous-lieutenant dans l’armée de l’air, il est affecté à l’aviation de chasse. Il ne supporte pas tout d’abord la voltige aérienne, s’efforce de dissimuler ses malaises et parvient à s’accrocher à force d’énergie et de persévérance.
En juin 1940, il est affecté au Centre d’instruction de chasse à Cazaux ; c’est là qu’à la suite de mûres réflexions il décide de rallier l’Angleterre. Il devra pour y réussir traverser sans ordre la Méditerranée et gagner Casablanca à la suite d’un long voyage « incognito » la travers l’Afrique du Nord. De là il s’embarquera clandestinement pour Gibraltar.
La fin de l’année 40 le trouve en A.E.F. Affecté aux forces aériennes du Tchad, il participe aux opérations de Koufra. Il s’initie très rapidement aux conditions très sévères du vol en ces régions désertiques où l’infrastructure est inexistante. Constamment dans « Le Nord » il se tire aux mieux de nombre de situations périlleuses. Aussi, quand, en janvier 1942, le groupe « Bretagne » est formé, celui qui allait en être l’âme, fait-il d’emblée figure de pionnier. Il est lieutenant depuis le 1er juin 1941, il a 24 ans.
Pendant deux ans le groupe « Bretagne », aviation du général Leclerc, va effectuer un grand nombre de missions de tous ordres, du Tchad à Tripoli. De tous les éléments de ce groupe, Mahé est sans conteste le plus brillant. Il assure à la fois les fonctions de commandant d’escadrille, de commandant en second et surtout, il est pour tous le meilleur des conseillers, alliant à l’expérience d’un vieux routier, la foi et le dynamisme d’un débutant.
Voici deux traits qui caractérisent assez bien sa manière.
« Au cours d’un vol de reconnaissance, il surprend une colonne italienne d’une centaine d’hommes, l’attaque, l’immobilise, puis ses mitrailleuses d’ailes enrayées, la somme de se rendre. Les Italiens obtempèrent ; Mahé ira alors lancer un message aux forces françaises à quelque 30 kilomètres de là, leur faisant connaître la situation puis atterrira à proximité de ses prisonniers. Il s’en débarrassera avec soulagement quelques heures plus tard car il ne disposait plus pour tout armement que d’une mitrailleuse de tourelle.
Un autre jour, il part pour une longue mission de bombardement, le vent est épouvantable et l’équipage se perd dans le vent de sable. Mahé décide d’atterrir. Il attend vingt-quatre heures que la tempête s’apaise afin de faire le point (il a toujours à bord tables et sextant). Fixant sa position, il découvre en même temps l’impossibilité de rejoindre sa base trop lointaine. Il vole pour s’en approcher le plus possible, lorsqu’un hasard providentiel lui fait survoler un avion abandonné ; il atterrit à proximité et recueille à force d’ingéniosité et de patience une centaine de litres d’essence. Le lendemain reparti vers sa base, la panne sèche l’oblige à atterrir. Il reste 20 kilomètres à parcourir, l’équipage rentre à pied. La mission avait duré trois jours. »
Certes pour apprécier de tels exploits, il faut être du métier, ne rien ignorer des risques que comportent ces atterrissages dans le désert, de la connaissance approfondie du « sable » qu’ils supposent. Il faut aussi savoir que l’appareil de combat qu’utilisait Mahé n’était pas un de ces avions anciens acceptables pour ce genre d’acrobatie, mais un bombardier bimoteur Glenn Martin pesant une dizaine de tonnes et dont la vitesse d’atterrissage était de 130 kilomètres/heure. Il faut enfin connaître le désert, son étendue, son inhumanité.
La sûreté de telles décisions qui ne souffraient aucun délai et furent prises dans des circonstances extrêmement difficiles, donne une idée de la compétence et du sang-froid de leur auteur.
Après cette inoubliable guerre du désert où il donna ainsi toute sa mesure on retrouve le capitaine Mahé au début du printemps 1944 en Italie. Les conditions de la lutte y sont tout autres et ne se prêtent plus à de spectaculaires exploits individuels. Officier d’opérations de son groupe, Mahé devient alors un excellent pilote leader de flight puis un remarquable commandant de formation, car il était de ceux qui s’imposent en toutes circonstances. Il est alors nommé commandant. On lui confie le groupe « Bretagne », il a 27 ans et a déjà accompli 91 missions de guerre.
C’est ensuite l’occupation, l’École d’état-major d’où il sort avec les notes suivantes :
« Réussira pleinement chaque fois que la tâche sera difficile et que sa responsabilité y sera entière. »
Mais, le 2 décembre 1946 l’avion dans lequel il a pris place s’écrase à quelques mètres du sommet du Ballon d’Alsace.
Commandant François Court
Extrait de la Revue de la France Libre, n° 49, juin 1952.