De tout temps, à la guerre, les adversaires ont employé la ruse pour se surprendre réciproquement. Du nôtre, l’ensemble des feintes s’appelle « plan de camouflage », « de déception » chez les Britanniques. Normalement, cependant, la bataille se déroule suivant les plans réels. Mais quand celle-ci se déroule suivant les plans de camouflage ou de déception, elle prend un tour curieux qui déroute tout le monde. C’est bien ce qui est arrivé les 26 et 27 mai 1942.
Soldats du bataillon du Pacifique en patrouille dans un Bren-Carrier (Imperial War Museum).
Le 26 mai, la 1re Division Française Libre attendait calmement l’attaque ennemie. Elle était flanquée à 20 kilomètres au nord par la 150e brigade. À 4 kilomètres au sud la 7e Motor brigade gardait un faux champ de mines. Au sud-ouest la 3e Indian brigade à 6 kilomètres. Au nord, la 4e brigade blindée puis les échelons B à 20 kilomètres. Enfin la 33e brigade de chars occupait le box de Bir el-Gobi à une vingtaine de kilomètres à l’ouest. En avant du front, à 40 kilomètres des avant-postes mobiles solides aux ordres de la 7e Motor brigade où se trouvait en particulier le commandant Amiel avec son bataillon et la moitié de notre artillerie.
Une telle sûreté nous mettait à l’abri de toute surprise. Il n’y avait que trois points obscurs. Tout d’abord l’insistance des Britanniques à nous interdire d’être en liaison radio directe avec Amiel. Ensuite l’absence de mission connue de la 3e Indian brigade. Enfin un ordre bizarre d’avoir à envoyer un « bataillon group » pour défendre Tobrouk, le 1er B.L.E. dont le mouvement avait été arrêté à la nuit, à quelques kilomètres au nord-est.
En face, l’armée adverse fit mouvement le 26 après-midi vers Ghazala, au nord, et déclencha une violente attaque avec emploi intensif de la « grande astuce », camions équipés de moteurs d’avions soulevant des nuages de poussière pour simuler et faire croire à des déplacements d’unités de chars.
Ces deux plans étaient des plans de déception.
*
À la nuit, Rommel fit virer son armée vers le sud et vint s’établir au sud de Bir-Hakeim dans le faux champ de mines, ce qu’il n’ignorait pas, pour y refaire ses pleins et prendre un peu de repos. Amiel avait été « congédié » assez brusquement le 26 à 21 heures, après une très belle manœuvre en retraite et en infligeant des pertes à l’ennemi.
Il n’y eut aucun combat de nuit. Le silence radio avait été prescrit. Le téléphone était coupé avec la 7e Motor brigade, ce qui était normal en raison de la circulation. Et puis notre ami le colonel Newton King du 2e S.A.A.C. en nous faisant connaître régulièrement sa position toutes les heures, à 4 kilomètres dans notre sud-ouest, renforçait notre quiétude.
Or, la 7e Motor brigade s’était repliée vers l’est, à Retma Box, sans nous en prévenir. Quant aux messages du 2e S.A.A.C., ils étaient faux, quelle que soit leur origine.
Le 27 mai à 7 heures, la 3e Indian brigade fut écrasée après un combat héroïque mais vain, car si le combat fut réel, sa mission appartenait au plan de déception. De Bir-Hakeim, la 7e Motor brigade semblait toujours en place : c’était ma thèse, en fonction des ordres reçus. Mais c’est Champrosay qui avait raison car il s’agissait en réalité de la division Trieste, chargée de recueillir les fuyards de la position sous la pression d’Ariete. Celle-ci après avoir écrasé la brigade indienne attaqua la face est de la position estimée non gardée ni défendue, ce qui était erroné. La 7e division blindée, dont nous dépendions, m’avait personnellement averti à 7 heures que la 4e brigade blindée descendait vers le sud pour contre-attaquer. Et à l’est, les colonnes de poussière ne cessaient de s’élever. Bablon, les téléphonistes, les fusiliers marins de l’échelon B rentraient précipitamment déclarant s’être heurtés à l’ennemi.
Devant cette situation confuse, le général Kœnig se porta au P.C. Broche pour mieux observer. Je dus me battre alors contre Babonneau et surtout Champrosay pour les empêcher de déclencher le feu, craignant une méprise. Je me trompais, mais mon erreur eut une conséquence heureuse car, lorsque Ariete ouvrit le feu, le nôtre se déclencha violemment et d’autant plus efficace que les chars italiens étaient presque à bout portant.
La déception allait continuer. Comme je demandais au S.L.O. si la 33e brigade blindée de Bir el-Gobi pouvait intervenir à revers, il m’apprit que c’était une fausse brigade de chars factices… Nos échelons B, commandés par Thoreau devaient les remplacer. Bien qu’artilleur il agit comme un fantassin méfiant et envoya les tringlots de Dulau en reconnaissance avec Renaud. Quand ceux-ci revinrent rapidement, l’ennemi aux trousses, Thoreau prit une décision de cavalier : « En avant, toute vers l’est. » Il réussit ce miracle de traverser dans la poussière et d’ouest en est, les centaines de véhicules de deux divisions allemandes marchant sud-nord (15e Panzer et 90e Légère) sans perdre un seul de ses mille véhicules.
La déception changea alors de camp. Ayant surpris et fait prisonnier l’état-major de la 7e division blindée, battu la 4e brigade blindée qui, croyant exécuter un mouvement de routine, descendait non gardée vers le sud, largement échelonnée ; ne trouvant plus rien à « croquer », tout le monde s’étant réfugié dans les « boxes » ou replié, Rommel avoua ne plus rien comprendre à cette tactique. Il se réfugia dans les champs de mines britanniques, à court d’essence, d’eau et de munitions, et à proximité immédiate et en arrière du général commandant la 150e brigade. Ils restèrent voisins sans le savoir pendant près de vingt-quatre heures…
La réalité avait dépassé la fiction.
Un officier d’état-major anonyme avait réussi, involontairement, à mettre Rommel en échec par l’exécution d’un plan de déception…
Il est vrai que la 1re Division Française Libre l’aida puissamment, bien que non informée et à juste titre « étonnée ». La Jock Colonne Amiel à Rotonda-Signali, le gros à Bir-Hakeim, les échelons B avec Thoreau à Bu-Maafès, l’atelier lourd avec Belan à Gambut, bien tenue en main malgré un échelonnement de 150 kilomètres, firent preuve de calme et d’initiative et ne furent pas surpris tactiquement.
C’est tout à l’honneur de la belle unité que le général Kœnig avait si bien su personnellement : animer, organiser, armer, instruire.
Extrait de la Revue de la France Libre, n° 168, juin 1967.
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