La Luftwaffe s’essouffle sur Bir-Hakeim

La Luftwaffe s’essouffle sur Bir-Hakeim

La Luftwaffe s’essouffle sur Bir-Hakeim

Savez-vous qu’il y a eu plus d’avions allemands sur Bir-Hakeim que sur Stalingrad ?
Le 28 novembre 1941, le maréchal Kesselring, nommé généralissime du front sud, quitte le front est avec l’état-major de sa flotte aérienne… Depuis mai 1941, les parachutistes allemands (malgré) à cause de leur victoire chèrement acquise en Crète, ne sont plus que des troupes terrestres d’élite…
Depuis bientôt un an, la bataille de Moscou a été le prélude d’une guerre longue, et non du Blitz prévu…
La production d’avions, tombée à 400 en février et remontée à près de 1.000 en avril, est retombée a 650 en août 1941. Les prévisions du général Ernst Udet pour 1942 sont de l’ordre de 300 chasseurs, 130 Stuka et 300 bombardiers par mois. Faute de nouveaux modèles mis au point, la construction d’avions déjà périmés se poursuit…
Malte aussi, verrou de l’Est méditerranéen, coûte cher : 12.000 sorties sur Malte, en six semaines ! Faut-il prendre Malte d’abord, avant d’attaquer la Cyrénaïque ? Malte serait la sagesse, mais la Cyrénaïque est, peut-être, le prestige de l’entrée victorieuse en Égypte : Alexandrie avant La Valette, c’est mieux que ne fit Bonaparte !
De même que la croix gammée ne suivit pas l’aigle à Moscou, elle ne devait pas « LA » suivre aux Pyramides : la croix de Lorraine, plantée comme un défi dans les sables, allait recevoir le « premier rayon de la gloire renaissante de la France ».
Le 30 avril 1942, à Berchtesgaden, Hitler et Mussolini fixent le calendrier des opérations en Méditerranée : juin en Cyrénaïque et juillet à Malte. Rommel voit son point de vue triompher de celui de son chef le Maréchal Kesselring. Le sort du Front Sud est jeté ; il influera sur celui des fronts Est et Ouest…
Le 26 mai 1942, Rommel déclenche son offensive sur le front de Gazala ; le 21 juin, il enlève Tobrouck aux Britannique déroutés, pour venir, à bout de souffle, s’arrêter devant El Alamein le 30…
Le 27 mai, Bir-Hakeim est attaqué par la division mécanique « Trieste » qui perd 40 % de ses chars et recule. Les sorties des Français Libres des 28 et 29 permettent la destruction de 15 véhicules et la capture de nombreux prisonniers. Les Français « rayonnent » autour du hérisson ; ils sont actifs. C’est l’époque – nuit du 30 au 31 mai – où a lieu le premier bombardement d’un seul objectif par 1.000 bombardiers. Ils détruiront, en une nuit, 13.000 maisons à Cologne. La roue de la fortune semble tourner…
Le Maréchal Kelsselring note que « Rommel piétine devant Bir-Hakeim » tansi que les Français font un raid et occupent Rotonda Signali, et que les Allemands effectuent une percée à Got El Skarab et lancent l’Afrika-Korps sur Bir-Hakeim : 150 prisonniers restent dans nos mains et Rommel envoie ses premiers parlementaires qui sont renvoyés…
Derrière leurs champs et marais de mines, 4.000 Français Libres attendent la division blindée « Ariete », la division motorisée « Trieste » et les 15e, et 20e Panzer épaulées par la « 90e Légère » qui forment le fer de lance de l’Afrika-Korps ; Rommel dispose de plusieurs escadres de Stuka. Au 8 juin, les Français Libres auront reçu l’appui de 500 sorties de la R.A.F. et des F.A.F.L., tandis que tomberont 40.000 obus du 105 au 220, labourant les sables.
Le 3 juin, la 3e escadre du lieutenant-colonel Walter Sigel bombarde les sables ; peu de coups au but. Vers midi, une deuxième vague de Stuka s’envole de Derna. Les JU.87 doivent être protégés par les Messerschmitt du 1er groupe de la 27, escadre de chasse, celle du fameux Marseille, l’as allemand d’Afrique, sur son célèbre « 14 Jaune ». La Lutwaffe se lance à l’attaque de Bir-Hakeim, son action sera déterminante ; au matin du 8 juin, 23 vagues de bombardiers auront attaqué la « forteresse ».
Le 3 juin est le jour du fameux ultimatum de Rommel – sur papier de transmissions – c’est aussi celui des sept vagues de bombardiers que suivront six autres le lendemain…
Kesselring s’impatiente et Rommel rage devant Bir-Hakeim.
Il réclame au général Hoffmann von Waldau, chef de l’aviation, de plus puissantes attaques de Stuka ; celui-ci se plaint de l’insuffisance des attaques terrestres qui rendent inutiles les pertes de la Luftwaffe. La D.C.A. des F.F.L. et la chasse anglaise et sud-africaine abattent 14 JU.87 à Bir-Hakeim. Le maréchal Kesselring prévient Rommel que « cela ne peut durer ».
Le 7 juin, Bir-Hakeim est totalement encerclé, tandis que le désarroi s’empare des troupes de Ritchie, et pourtant, un dernier convoi d’eau et de munitions entre au fort et repart le lendemain en ramenant un officier et 124 soldats allemands et neuf officiers et 145 soldats italiens prisonniers des F.F.L. On notera deux raids aériens qualifiés de « légers ».
Le 8 juin, Rommel en personne mène l’attaque au milieu des mines, en lançant de sonores « Vorwärst ! » qui doivent lui rappeler sa folle bravoure de chef de bataillon de la Première Guerre mondiale. Le tir d’artillerie, toutes bouches réunies, commence à 6 heures. L’attaque d’infanterie dure quatre heures et la position subit l’attaque de 70 bombardiers en trois vagues. Bir-Hakeim tient toujours ; les F.F.L. ont rempli leur contrat, et rien n’indique aux Allemands que la position ne pourra plus tenir longtemps. Le 9 juin, Rommel, qui veut en finir car son attaque générale se bloque, fait donner l’artillerie et l’infanterie toute la journée. Outre un bombardement par la R.A.F., Bir-Hakeim reçoit le martèlement de 120 Stuka… Il y a 14 jours que l’offensive de l’Axe est déclenchée en Cyrénaïque ; « à ce jour, 1.030 avions destinés au soutien des opérations terrestres ont été engagés contre Bir-Hakeim ! », se plaint amèrement le général Waldau à Rommel. Ce 9 juin, on note : 8 h 30, 60 Junker ; début de l’après-midi, 42 JU.87 sur la face nord et le groupe sanitaire qui sera détruit vers 20 heures par un bombardement plus intense. Toute l’artillerie tire, ainsi que les mortiers ; les combattants n’ont que 2 litres d’eau pour vingt-quatre heures ! Cela ne suffit pas. Kesselring, de plus en plus furieux, prépare trois grands raids pour le 10 juin, avec tous les bombardiers disponibles ; il fait même appel aux JU.88 basés en Grèce et en Crête ! Depuis trois jours, le 135e régiment de flack, la D.C.A. allemande, est engagé lui aussi…
L’attaque généralisée commence à l’aurore du 10 juin, dans la brume et la poussière. Vers midi, les Stuka repartent à l’assaut ; 130 bombardiers s’acharnent sur la face nord de ce minuscule carré de sable tenu par les F.F.L. Vers 19 heures, une vague d’une centaine de Stuka pilonne toujours les positions. En 12 vagues successives, alimentées par 124 JU.87 et 76 JU.88 qui bombardent, se ravitaillent et repartent, l’attaque se poursuit sans arrêt, déversant plus de 140 tonnes de bombes au but, sous la protection de 168 Messerschmitt qu’attaquent les premiers Spitfire envoyés en Afrique. Le lieutenant Marseille, avec quatre Anglais descendus, inscrit sa 81e victoire aérienne. Bir-Hakeim tient toujours !
Le bombardement massif du 11 juin tombe sur les blessés restés dans la position évacuée de nuit, au cours d’une percée mémorable qui ramènera vers les positions alliées 2.500 hommes et du matériel prêts à continuer…
Bir-Hakeim a coûté aux Français Libres 130 tués, 205 blessés et 815 disparus, dont les morts de soif à la suite de la percée ; l’Afrika-Korps a été bloqué pendant de longues journées qui lui ont coûté cher et la Luftwaffe, après 1.400 sorties, manque d’essence et doit se rationner…
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Le 21 juin, Rommel entre à Tobrouck, tombée en vingt-quatre heures avec ses approvisionnements. Le 26, il continue en attaquant Marsa-Matrouh ; tandis qu’à Sidi-Barani est choisi le prochain objectif. Rommel réclame l’attaque sur le Nil : « Nous devons rassembler toutes nos forces, surtout celles de la Lutwaffe, sur le point d’effort principal, ici, l’Égypte ! » Rommel, qui, peut-être, envisage une vaste opération vers l’Oural en remontant par le Moyen-Orient, veut sa « Victoire des Pyramides », que la résistance des Français libres à Bir-Hakeim lui a fait désespérer d’entrevoir. Il n’est que plus ferme à vouloir poursuivre les Britanniques désorganisés par son avance…
Kesselring veut anéantir et occuper Malte, d’abord : l’île est un porte-avions qui entrave son ravitaillement et menace l’Afrika-Korps dans le dos. Le Maréchal ajoute : « La Lutwaffe a besoin de repos ; les pilotes n’en peuvent plus, les appareils doivent être révisés », il précise : « En tant qu’aviateur, je considère que c’est une folie de donner tête baissée contre des bases aériennes intactes ! » On peut se faire une idée de l’état des pilotes si l’on remarque qu’en deux mois Marseille remporte plus de 50 victoires homologuées…
Mussolini, qui se voit faisant son entrée triomphale d’empereur romain au Caire, sur le cheval blanc déjà prêt, soutient le général Rommel.
Hitler intervient ; par télégramme, il interdit au maréchal Kesselring d’intervenir dans les plans du général Rommel…
Le chef d’escadre du lieutenant Marseille écrit : « Cette poursuite se fait sous le signe de l’épuisement. Avec les déficiences de notre infrastructure, nous ne parvenons plus à suivre… » La 1re escadre-école de la 3e escadre s’acharne sur les arrières britanniques. Le 26 juin, à Sidi-Barani, la 27e escadre de chasse se bat le ventre vide et se ravitaille par ses propres moyens à un unique camion-citerne ! Le 28 juin, installation à Fouka, où des groupes entiers restent cloués au sol, faute de carburant ! La R.A.F. se renforce de jours en jour ; les Spitfire arrivent…
Le 30 juin, les bombardiers ne peuvent prendre l’air, à cause d’une tempête de sable, et la première attaque d’El Alamein voit l’effondrement de l’Afrika-Korps épuisé. La Lutwaffe continue à s’essouffler et le 30 septembre, Marseille, nommé capitaine commandant la 3e escadrille de la 27e, escadre, croix de chevalier avec brillants, 17 victoires le seul 1er septembre, – et 158 en tout – s’éjecte de son avion envahi par la fumée mais, perdant connaissance, ne peut ouvrir son parachute et tombe comme une pierre dans ses lignes. C’était la deuxième attaque de Rommel sur El Alamein ; la troisième bataille sera celle de « Monty » qui boutera l’Afrika-Korps hors d’Afrique et, rejoignant les Américains et les Français en Afrique du Nord, massera sur les rives françaises de la Méditerranée les troupes alliées qui, par l’Italie et la Provence, après la Corse, envahiront, pour la libérer, ce que l’Axe nomme la Forteresse Europe.
La résistance de Bir-Hakeim avait obligé à rameuter les Stuka, constatent les rapports de la Lutwaffe. Malgré l’effondrement des Britanniques, ces mouvements de bombardiers, ajoutés aux décisions nées de la possibilité espérée de pouvoir percer vers le Caire, avaient désorganisé le plan allemand pour le début de l’hiver 1942-1943. Des avions qui étaient indispensables en Russie, et commençaient déjà à manquer pour défendre le ciel de l’Allemagne, avaient passé le printemps à préparer un hypothétique « triomphe romain », pour lequel des médailles avaient été frappées sur l’ordre de Mussolini… Ces avions qui sont tombés « pour la gloire » ont manqué sur Malte où pourtant furent inaugurés les premiers « tapis de bombes », et sur le Front de l’Est, où chaque avion en moins diminuait gravement la balance des forces et où une armée, par la folie de ses chefs, allait dépendre du seul ravitaillement aérien, au milieu de l’hiver russe et face à une imposante manoeuvre soviétique…
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Commencée par l’irruption victorieuse de divisions fraîches de Sibérie, dont l’apparition soudaine sur ce point du front a provoqué un mouvement en rocade des troupes allemandes, dans un terrain pourri par l’hiver, où le fameux général Guderian s’englua devant les vigoureux antichars russes ; la victoire du maréchal Joukov, devant Moscou, en décembre 1941, s’est vite transformée en première offensive russe…
Le 9 juin 1942, les groupes d’armées nord et sud de la Wehrmacht se dissocient dans le secteur du lac Seliger où deux divisions, qui défendent 10 kilomètres de front, reçoivent le choc de quatre armées soviétiques… A ce même 9 juin, la Lutwaffe a fait plus de 1.000 sorties sur Bir-Hakeim tandis que 250 avions sont abattus dans les combats de la poche de Demyansk où ne subsiste qu’un étroit couloir. Il en sera de même pour la poche de Kholm…
La Lutwaffe est saignée à blanc, chaque avion compte, et la production ne suffit pas ; même les avions démodés sont remis en service. Les avions neufs sortis d’usine sont envoyés en escadre avant d’avoir été complètement équipés : certains n’ont même pas de planche pour le navigateur…
L’hiver de Stalingrad est proche.
Le 21 novembre, un mois après l’El Alamein de « Monty », le général allemand A. Schmidt, chef d’état-major de la Vle armée, l’armée de Von Paulus, depuis Stalingrad, téléphone au général M. Fiebig chef du 8e corps aérien : il envisage le ravitaillement de l’armée par les airs ! Fiebig répond : « L’armée entière ? Absolument impossible ! Nos forces de transport sont déjà engagées en Afrique… » L’exemple du ravitaillement aérien de Demyansk a semblé prometteur et, malgré la saignée africaine, s’ajoutant aux autres, Stalingrad verra sa survie confiée à la Lutwaffe, selon la promesse de Goering faite à Hitler…
Le 22 novembre, les terrains des Stuka de Kalatch tombent, avec le matériel d’infrastructure et la pince des armées russes victorieuses se referme sur 250.000 hommes qu’il faudrait ravitailler à raison de 500 tonnes minimum par jour et quels que soient le temps et l’activité adverse. Ce même jour Hitler répond « Nein ! » à von Paulus qui, enfin inquiet et peu confiant dans les possibilités de la Lutwaffe, demande l’autorisation d’essayer une percée…
Le 26 novembre, déjà, on utilise de vieux Henschel 123 comme avions d’assaut à Obliskaa. Le terrain de Tatsinskaïa « Tatsi » dispose de 11 groupes de JU-52 et de deux de JU.86, soit environ 320 appareils dont beaucoup ne sont pas entièrement équipés, Moroskaia (« Moro ») aligne moins de 200 HE.111. On ameute quelques appareils disparates dont de rares quadrimoteurs. Sur cette flotte, un tiers des avions est capable de voler et, quand par hasard le temps le permet, peut déverser sur l’ancienne piste pour chasseurs de Pitomik, encombrée d’épaves, environ 100 tonnes de ravitaillement sur les 300 considérées comme un minimum et les 500 prévues. Les avions de Bir-Hakeim auraient relevé la moyenne de 20 %! Le record sera atteint du 19 au 21 décembre : 700 tonnes de matériel et de vivres ; ce sera le dernier sursaut…
Au matin de Noël, un tiers des Junker et tout le matériel d’infrastructure est détruit lors de l’évacuation en catastrophe, dans le brouillard et au milieu des chars russes qui croisent sur les pistes du terrain de Tatsinkaia.
À la chute de Stalingrad, La Lutwaffe aura perdu près de 500 Stuka : cinq escadres…
Aussi, n’est-il pas outré d’avancer que Bir-Hakeim, première victoire stratégique française, est aussi une victoire aérienne dont l’influence ne se limita pas au seul champ de bataille de la Méditerranée. Le combat de nos camarades de Bir-Hakeim participe à celui du Lieutenant Gilbert Hesnard, en Italie, et à celui de l’aspirant Maurice Bon, descendu en flammes dans son Yack au-dessus de Gorodietz à « Normandie-Niémen », le 13 octobre 1943 ; mes trois camarades des Forces Françaises Libres dont les combats n’ont eu qu’un même but.
Autour de ce qu’ils qualifiaient de « Forteresse de Bir-Hakeim » bien des soldats allemands devaient murmurer les vers du poète de la « Bataille de Kohlin » :
« Dort einst bin ich,
« Und bist auch du,
« Verscheid’ im Sand,
« Zù ewiger ruhe ;
« Wer weiss wo ? »
« Par là un jour je serai – et tu seras aussi – trépassé dans le sable – dans l’éternel repos – qui sait où ? »
R.-J. Poujade
Janvier 1969
Extrait de la Revue de la France Libre, n° 184, février 1970.