Evasion du Maroc, par Georges Perrin

Evasion du Maroc, par Georges Perrin

Evasion du Maroc, par Georges Perrin

Moniteur de perfectionnement au pilotage à l’école de Meknès, j’assure, jusqu’au 18 mai 1940, le perfectionnement de 12 pilotes. A cette date, les évènements se précipitent en France, mais le Maroc est loin et les informations très contradictoires ne nous permettent pas de comprendre la situation.

L’ordre arrive de cesser l’entraînement et les moniteurs de l’école, moi compris, sont mutés à Marrakech.

Sur la piste se trouvent depuis très longtemps 16 vieux Bloch 210, restes d’une croisière en Afrique et une lumière de l’État-major parisien a rêvé de nous faire bombarder l’Italie avec.

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Photo souvenir prise entre le 2 et le 4 décembre 1940 devant l’appareil de Georges Perrin (le premier à gauche) V7651(KW-Y) baptisé “Salar Jung” (collection Many Souffran). On reconnaît également René Mouchotte (le cinquième en partant de la gauche).

Des mécaniciens se sont affairés et ont réussi la performance d’en mettre 12 en état de marche ; le 22 mai, nous réussissons à décoller cette ferraille et le départ se fait le 24. Seuls quatre équipages arrivent à Meknès, puis Oran, puis Alger où, à mon tour, je tombe en panne. Réparations, puis tentative de départ le 6 juin. Privé d’un moteur au départ, je réussis à faire un tour de piste et à reposer l’avion en catastrophe sur une roue seulement, l’autre refusant toute manœuvre. Grosse performance sur un Bloch 210. Je commence à penser “sabotage”.

Départ pour Rabat où, le 11 juin, je prends un Amiot 143 pour rejoindre mes camarades et toujours “bombarder l’Italie”, mais, cette fois-ci, l’avion a été saboté consciencieusement et, au cours du vol Rabat-Oran, toute la partie supérieure de la carlingue s’arrache, laissant ce pauvre avion ouvert comme une boîte de conserve.

Me trouvant la tête à l’air libre, ce n’est pas sans difficultés que, grimaçant, je réussis à continuer et à poser une fois de plus l’avion sans dommage à Oran.

Un examen prouvera d’ailleurs que les montants du cockpit avant avaient été sciés. Encore du sabotage. Nous continuons à raisonner. Les nouvelles de France sont contradictoires.

Avec Blaize , je retourne à Meknès et là nous commençons à penser à continuer la lutte. Une atmosphère de méfiance existe et nous ne savons guère à qui nous fier. Parmi mes élèves, deux se joignent à nous, l’aspirant Poisat et l’aspirant Donnadieu . Nous songeons à nous évader et nous comprenons que cette opération sera de plus en plus difficile. Les avions sont peu à peu tous mis hors d’usage.

Nous mettons au point notre projet et le sergent mécanicien Romuald se joint à nous (très utile pour la préparation de l’avion).

Notre dévolu se porte sur un bimoteur “Goéland” tout neuf, lui aussi mis “hors service” ; les filtres d’huile et d’essence ont été retirés et sont dans une chambre forte. Les bouteilles d’air du démarreur sont vides et les hélices sont bloquées au grand pas. Un avion similaire avait eu une panne sur un aérodrome satellite ; depuis une quinzaine de jours, nous en profitons pour lui prélever les pièces manquantes.

L’atmosphère est de plus en plus à la méfiance. Le Commandement met Blaize et moi aux arrêts.

Poisat et Donnadieu ont une clef et c’est dans la chambre d’arrêts que nous mettons les derniers détails au point. Le départ est pour le 3 juillet à 6 h du matin, heure de changement de garde. Poisat arrive à 5 h 50 avec une section de tirailleurs ; il leur fait ouvrir les portes du hangar, pousser les avions qui gênent et mettre le Goéland face à la porte. Blaise a passé avec Romuald la nuit dans le Goéland ; ils ont regonflé les bouteilles avec la pompe à main. Tout est prêt, l’effet de surprise est total. Blaize met le moteur en route (les hélices avaient été remises au cours de la nuit) sans attendre l’avion roule, je saute le dernier car je suis le seul armé.

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Pierre Blaize (RFL).

Les cent premiers mètres faits, nous nous sentons mieux ; je prends les commandes au poste de pilotage gauche, Blaize à droite. Un seul moteur était parti, nous réussissons à démarrer l’autre et nous fonçons vers l’extrémité de la piste.

Point fixe très écourté et nous décollons en revenant vers les hangars. Tout se passe comme un charme, il est vrai que nous sommes deux pilotes entraînés au maximum.

Nous prenons de l’altitude et filons vers le nord, nous évitons le Maroc espagnol et gagnons la Méditerranée au dessus de laquelle nous mettons cap à l’ouest pour Gibraltar. Quelques bateaux à l’horizon, nous les contournons très largement, on ne sait jamais. L’énorme rocher nous apparaît, par prudence nous sortons le train et battons des ailes.

Entre le rocher et la péninsule une languette de terre plate existe ; nous pensions nous poser sur le rocher ; quelle aubaine, à notre surprise un beau terrain d’atterrissage nous montre le chemin. Au sol, c’est on ne peut plus curieux, des gens agitent des casquettes et d’autres nous tirent à la mitrailleuse ; les virages serrés que nous faisons pour reconnaître le terrain nous ont, je crois, évité le pire. Nous nous posons de l’Atlantique vers la Méditerranée ; un “cheval de bois” limite notre course ; nous arrêtons les moteurs et nous voici entourés d’Anglais en uniforme. La partie est gagnée. En charabia, mon anglais d’école n’étant pas sensationnel, nous apprenons que les gens que nous voyons derrière cette barrière sont des Espagnols, que la moitié environ de la partie plate est espagnole, et que les postes de DCA que nous voyons sont maniés par des Allemands. Quelques jours auparavant, ils ont descendu un Glenn Martin. Qu’importe, nous sommes arrivés ; il est 7 h 15 le 3 juillet 1940.

Après nous avoir demandé nos appareils photos et mon revolver, les Anglais nous conduisent au Mess où nous attend un bon breakfast.

Surprise agréable, marque de confiance, on nous rend notre matériel photo et revolver puis on nous conduit à l’Amirauté. Là, nous avons la surprise d’y être reçu par un commandant français Pijeaud.

Il nous demande ce que nous venons faire ici et sermonne Blaize qui porte des espadrilles ; nous lui expliquons que c’était bien plus utile que de grosses godasses quand on est dans un avion, la nuit, dans un hangar gardé.

Après nous avoir fait marcher un peu, il se met à sourire et cette fois à nous complimenter sur notre comportement, nous apprend l’initiative d’un certain général de Gaulle et nous remercie en son nom d’apporter au mouvement de la France Libre 2 pilotes confirmés, 2 aspirants, un mécanicien et un beau bimoteur tout neuf qui s’avérera très utile plus tard à Odiham comme avion-école.

Extrait de la Revue de la Fondation de la France Libre, n° 34, 4e trimestre 2009.