Plaques, stèles et monuments

Plaques, stèles et monuments

Plaques, stèles et monuments

Il existe assez peu de monuments consacrés au souvenir de la France Libre. Quelques modestes monuments en Afrique noire ou en Afrique du Nord, quelques nécropoles mal entretenues sombrent peu à peu dans l’oubli, hors le temps de cérémonies épisodiques.
En France même, seul le Finistère qui garde le souvenir des ralliements de 1940, les départements pyrénéens qui se souviennent des “évadés de France”, le Var, l’Orne, les Yvelines, la Meurthe et Moselle et l’Alsace, où des monuments d’importance variable rappellent le souvenir des combats de la 2e DB ou de la 1re Armée, conservent précisément le souvenir de la France Libre.
Le nombre des monuments consacrés aux FFL est généralement inférieur à la dizaine par département : quelques tombes ici, le souvenir d’un parachutage ailleurs, une plaque sur le lieu de naissance d’une personnalité de la France libre, une stèle consacrée au maréchal Leclerc ou au maréchal de Lattre.
16 départements ne disposent d’aucune plaque et d’aucun monument, 2 n’en ont qu’un seul.
Le plus souvent, la France libre est honorée à travers la personnalité du général de Gaulle.
Un peu partout, des noms de rues et de places, des bas-reliefs ou des statues rappellent son souvenir. Les monuments au général sont tantôt de sobres mémoriaux frappés de la croix de Lorraine, comme à Mont-Saint-Martin (Meurthe-et-Moselle), où un rocher porte une carte de France stylisée sur laquelle se détache le visage de de Gaulle, tantôt des monuments plus imposants, comme à Valence, où deux blocs de granit de 4 m de haut frappés de la croix de Lorraine encadrent une flamme de la résistance en acier inoxydable, et à Rueil-Malmaison, où une croix de Lorraine de 8 m de haut a été érigée.
Ailleurs encore, d’autres monuments se complètent de citations du général. “La flamme de la résistance ne s’éteindra jamais” qui figure par exemple sur la monument de Bois-Colombes, dans les Hauts-de-Seine, est un des plus répandus. Mais on trouve aussi d’autres formules telles que : “Il y a un pacte entre la liberté du monde et la grandeur de la France” (Bourg-la-Reine), “Face aux grands périls, le salut n’est que dans la grandeur” (Courbevoie). D’autres monuments encore associent au général de Gaulle toute l’histoire de la guerre. On lit à Puteaux, sur un mur monumental surmonté d’une croix de Lorraine, l’inscription : “Au général de Gaulle, la ville de Puteaux – Bataille de France 1940 – Montcornet 17 mai – Laon 19 mai – Abbeville 29 mai – Combats de libération : Koufra – Bir Hakeim – Normandie -Provence – Rome – Paris – Colmar – Strasbourg” en vis-à-vis du texte de l’appel du 18 juin. Mais rares sont les monuments qui évoquent un acte particulier du chef de la France libre, comme à Bordeaux-Mérignac, au lieu-dit Boutre, où une plaque de bronze dressée verticalement et portant une petite croix de Lorraine proclame depuis 1945 : “Honneur et patrie, Français, n’oubliez jamais que d’ici est parti le 17 juin 1940 le premier résistant de France, le général de Gaulle afin de continuer la lutte pour la liberté, l’honneur et la gloire de notre patrie. Hommage reconnaissant et impérissable de la population mérignacaise”.
Le texte de l’appel du 18 juin a été reproduit sous l’Arc de Triomphe : “A tous les français ! La France a perdu une bataille ! mais la France n’a pas perdu la guerre ! Des gouvernements de rencontre ont pu capituler, cédant à la panique, oubliant l’honneur, livrant le pays à la servitude. Cependant, rien n’est perdu parce que cette guerre est une guerre mondiale. Dans l’univers libre, des forces immenses n’ont pas encore donné.
Un jour, ces forces écraseront l’ennemi. Il faut que la France, ce jour-là, soit présente à la victoire. Alors elle retrouvera sa liberté et sa grandeur. Tel est mon but ! Voilà pourquoi je convie tous les Français où qu’ils se trouvent, à s’unir à moi dans l’action, dans le sacrifice et dans l’espérance. Notre patrie est en péril de mort. Luttons tous pour la sauver. Vive la France”.
Depuis quelques années, des plaques émaillées portant ce même texte ont été apposées dans de nombreuses communes.
Plus rares sont les hommages rendus aux obscurs et aux sans-grades, les monuments aux morts de la France libre. On en trouve cependant à Paris, esplanade du Trocadéro et quai de Tokyo, où une statue baptisée “la France libre” a été installée dès 1948.
La Bretagne, aussi fidèle dans le souvenir qu’elle le fut dans l’action, constitue une exception. On compte 59 monuments consacrés au souvenir de la France libre dans le seul département du Finistère. A Camaret, une croix de Lorraine de granit massif de 16 m de haut a été élevée en 1951 par souscription publique et subvention à l’extrémité de la pointe de Pen Hir. Pour respecter la tradition des dolmens, le monument est situé sur le point précis où, à l’aube du 18 juin 1940, le soleil s’était levé. Cette immense croix, visible du large, fut inaugurée par le général de Gaulle lui-même.
Ailleurs, des rues ou des places ont été baptisées en hommage aux Français libres, comme à Plomeur, à Port-Louis, à Orléans, à la Ferté-Saint-Aubin, à Rouen ou encore à Toulouse comme à Tournefeuille (Hte-Garonne). A Granville, une stèle de marbre gris en forme de losange frappée d’une croix de Lorraine en métal noir porte cette simple inscription : “Les Français libres à leurs camarades morts pour la libération de la France”.
A Angoulême, un texte à la fois précis et émouvant, placé au carrefour de la rue du maréchal Leclerc et de l’avenue du 8 mai 1945 par l’association des Français libres de la Charente, rappelle : “Au 1er août 1943, 54 873 volontaires venus de tous les horizons constituent déjà le levain de ce qui fut l’armée de la libération. Ils ont tout risqué, y compris la vie. Faites qu’ils ne risquent pas votre oubli”.
Une croix de Lorraine à Morne-Rouge, une stèle à Grande-Rivière (Martinique), un monument à St Denis de la Réunion (Réunion) disent aussi que les départements d’outre-mer ont largement contribué à la France libre.
En Angleterre, dans le cimetière militaire de Brookwood, à une trentaine de kilomètres de Londres, un monument et une statue sont là pour rappeler aux Britanniques ce que furent les Français libres.
Quelques monuments associent dans le même hommage Forces françaises libres et Résistance intérieure. C’est le cas à La Rochelle, à Bordeaux ou à Marseille.
On ne saurait bien sûr oublier le mémorial de la France combattante du Mont-Valérien à Suresnes. Précédé d’une large esplanade, il se compose d’un contre-mur en grès rose des Vosges, haut de 4 m et long de 100 m, coupé en son centre par une imposante croix de Lorraine de 12 m, au pied de laquelle brûle une flamme permanente. Le monument porte à l’extérieur la citation célèbre : “Quoi qu’il arrive, la flamme de la résistance ne s’éteindra pas, 18 juin 1940. Charles de Gaulle”.
Des monuments sur tout le territoire sont consacrés à divers héros de la France libre. D’innombrables rues et monuments rappellent le souvenir de Jean Moulin, d’Estienne d’Orves, voire du commandant Kieffer. Quelques monuments, comme à Neuilly (Hauts-de-Seine) sont également consacrés au souvenir collectif des compagnons de la libération.
Quelques plaques ont été posées, quelques monuments construits dans l’immédiat après-guerre. Puis vint rapidement le temps de l’oubli. Le 20e anniversaire de la fin de la guerre entraîna un bref sursaut commémoratif, mais c’est surtout depuis 1981 et plus encore depuis 1984 que l’on commémore activement.
De 1985 à 2005, on a construit 56 % des monuments existants dans une tentative un peu désespérée de retenir la mémoire des hommes en dépit de l’inexorable fuite du temps.
Les constructions, initialement érigées, jusqu’en 1964, sur les lieux mêmes des combats, affichent désormais une vocation plus pédagogique que strictement commémorative et sont plus équitablement réparties sur l’ensemble du territoire national.
L’hommage rendu à la France libre est souvent imprécis ou discret. On s’est souvent contenté, dans les villes et les villages, de rajouter une plaque sur le monument aux morts érigé après la 1ère guerre mondiale, confondant dans le même hommage morts de 1940, FFL et morts de 1944.
Rares sont les hommages spécifiquement rendus à la France libre. Combattants en uniforme et combattants des maquis sont le plus souvent associés dans un hommage commun sur des monuments fréquemment marqués par une croix de Lorraine. Les préoccupations patriotiques de l’’après-guerre ont sans doute favorisé le renforcement progressif de ces rapprochements non dépourvus d’arrière-pensées.
Ce n’est que dans les années 1980 que l’on s’est préoccupé d’hommages particuliers aux FFL.
Les plaques ou monuments consacrés aux FFL ne donnent pas toujours une vision historique exacte. Il existe par exemple neuf plaques fixant en des lieux différents la première rencontre entre des éléments de la 2e DB et de la 1re Armée. D’autres sollicitent quelque peu les faits. Une inscription au Lavandou, au lieu dit la Fossette, sur la RD 559 indique ainsi : “Ici, le 25 novembre 1942, le général Giraud, prisonnier de guerre évadé, s’embarquait à destination de la France libre”. D’autres sont totalement inexactes. La plaque apposée à la gare Montparnasse à Paris mentionne ainsi la reddition en ces lieux du général Von Choltitz, commandant la garnison allemande de Paris, en présence du colonel Roi-Tanguy, commandant les FFI, alors que la reddition eut lieu en réalité à l’hôtel Meurice et que le colonel Roi-Tanguy n’y assista pas, bien qu’il ait obtenu plus tard de Leclerc d’apposer sa signature sur une copie de l’acte de reddition.
Il y a enfin une tendance générale à minorer au fil des années le rôle des alliés et à mettre en valeur l’action de la résistance intérieure.
L’hommage rendu en 1945 par la Croix Valmer dans le Var aux armées libératrices se complète ainsi 30 ans plus tard d’une précision : “Avec le concours de la brigade des Maures”.
L’esthétique et l’épigraphie évoluent par ailleurs vers la sobriété.
Aux modestes stèles élevées sur place, aux épaves de chars transformées en monuments des années 45, sur les lieux mêmes des combats, se sont ajoutés à partir des années 1970 et 80 des monuments commémoratifs plus beaux, plus vastes, plus volontiers situés dans les centres-villes.
Aux monuments aux formes proches des monuments aux morts de la Première Guerre mondiale des années 1960, portant des croix de Lorraine ou des figures en haut relief, ont succédé quelques monuments marqués par l’esthétisme des années 1970, dont celui au Maréchal Leclerc installé porte Maillot à Paris constitue l’archétype. Depuis une quinzaine d’années, on semble privilégier des monuments plus simples, prenant volontiers la forme de murs, où se découpe en creux tantôt une silhouette, tantôt une croix de Lorraine, tantôt encore le V de la victoire.
A ce courant artistique se rattache le monument qui, à Tarascon-sur-Ariège, figure une prison ou des mains écartent des barreaux et qui rend hommage aux réseaux de passeurs pyrénéens.
Les textes aussi ont changé. Les premiers monuments érigés dans l’immédiat après guerre donnaient volontiers dans un lyrisme un peu emphatique : “Gloire à notre France éternelle, gloire à ceux qui sont morts pour elle” lit-on ainsi sur une stèle de Saint-Marc la Lande (Deux-Sèvres), “Heureux sont ceux qui sont morts au Tchad pour la patrie” voit-on sur une plaque apposée à Voisins le Bretonneux (Yvelines).
Des inscriptions comminatoires prescrivaient le recueillement au passant, sonnant comme un garde à vous. Quelques monuments hésitaient entre une vocation religieuse ou commémorative, comme à la Roche-Mabile dans l’Orne où une statue de la vierge trônant sur un socle a été placée sous une voûte coiffée de la croix de Lorraine.
La sobriété est désormais générale, tant dans l’expression artistique que dans les textes. Aux inscriptions solennelles ont succédé des citations livrées sans commentaires aux réflexions des visiteurs ou des pèlerins. Les allusions aux hordes germaniques ou à la barbarie nazie, fréquentes dans l’immédiat après-guerre, disparaissent au profit de textes plus sobres. Le mur de 1,45 m de haut sur 3 m de long inauguré le 26 août 1990 à Orange est l’archétype de cette nouvelle sensibilité. Dressé sur une pelouse devant quatre ifs majestueux, ce mur en pierre de Tavel porte l’inscription suivante : “Le 18 juin 1940, le général de Gaulle entre dans l’histoire. Refusant l’armistice demandé par le gouvernement du Maréchal Pétain, il lance depuis Londres son premier appel à la résistance”. Suit le texte intégral de l’appel. L’émotion et le recueillement n’ont pas perdu à cette évolution.
La plupart des monuments ont été réalisés à l’initiative de l’association des Français libres, de l’association des anciens de la 2e DB, de Rhin et Danube, du souvenir Français, de l’association des évadés de France, d’associations locales d’anciens combattants ou de l’association nationale des anciens combattants de la résistance.
Les monuments plus anciens ont parfois été financés par des associations comme l’association nationale des anciens combattants de la résistance ou celle des Français libres, assez souvent par souscription publique, voire par une décision législative comme ce fut le cas pour le monument Leclerc de la porte d’Orléans (loi du 7 septembre 1948).
Ils ont aussi parfois été financés par quelques institutions locales, comme le conservatoire de la résistance et de la déportation des Deux-Sèvres et régions limitrophes, voire pour trois monuments au moins par des fondations anglo-saxonnes ou des particuliers étrangers. Quelques plaques aussi ont été posées à ‘initiative des familles. Mais dans la moitié des cas environ, ce sont les communes qui ont décidé, parfois d’ailleurs sous l’influence, dans les années 1960 ou 1970, d’élus eux-mêmes anciens combattants.
La disparition progressive des anciens combattants laisse à penser que l’activité commémorative actuelle devrait se ralentir à court terme. Seuls quelques monuments solitaires et plaques commémoratives oubliées rappelleront bientôt le souvenir de ces hommes qui furent l’honneur de la France.
D’ores et déjà, si de nouvelles plaques apparaissent, plus pédagogiques peut-être que par le passé, rares sont désormais les initiatives monumentales. On construit des stèles portant des textes destinés à l’information des générations futures, mais plus véritablement de monuments. On privilégie la pose de plaques à vocation de pédagogie de proximité, souvent de simple plexiglas plutôt que l’érection de monuments à vocation d’hommage classique.
Au temps des commémorations succède le temps de la mémoire, précédant celui de l’histoire, nourrie de faits et non plus d’émotions.