Les Indes françaises et leur ralliement à la France Libre en 1940, par Paul Vuillaume, gouverneur des colonies

Les Indes françaises et leur ralliement à la France Libre en 1940, par Paul Vuillaume, gouverneur des colonies

Les Indes françaises et leur ralliement à la France Libre en 1940, par Paul Vuillaume, gouverneur des colonies

Ayant eu l’honneur de servir aux côtés du gouverneur Bonvin durant 15 années, et particulièrement aux Indes françaises, j’ai estimé comme un devoir de lui rendre hommage en évoquant le souvenir du ralliement des établissements français de l’Inde, dont il fut l’ardent promoteur, inscrivant ainsi son nom à côté de celui d’Éboué dans l’histoire de la France Libre.

bonvin
Le gouverneur Bonvin (RFL).

En juin 1940, lors de la honteuse capitulation du gouvernement de Vichy, l’émouvant appel aux armes, lancé par le général de Gaulle, avait éveillé des échos profonds dans la colonie. Cette vieille terre au passé illustre est fière d’avoir répondu une des premières à cet appel.

Le 20 juin, le gouverneur Bonvin, gouverneur des établissements français de l’Inde télégraphiait au gouvernement de Bordeaux déjà défaillant : N° 143 – Pondichéry, 20 juin 1940. Ministère des Colonies – Bordeaux.

Population européenne et locale Inde française unanime demande continuation lutte en collaboration étroite avec Empire Britannique. Est prête tous sacrifices.
Signé : Bonvin

Le 24 juin, par lettre 1498 W/11, le consul général de Sa Majesté britannique transmettait les félicitations de S.E. le vice-roi des Indes au gouverneur Bonvin pour sa décision de continuer la lutte aux côtés de l’Angleterre.

Malgré les menaces du ministre des Colonies de Vichy, le gouverneur Bonvin lance la proclamation suivante dans nos établissements :

Appel à la population

« La France accablée par le nombre et le manque de matériel a signé l’armistice. Tout n’est pas perdu. Gardons notre confiance, l’Empire français est intact et restera aux côtés de l’Empire britannique jusqu’à la victoire finale.

« Le gouverneur fait appel au patriotisme de la population pour garder, dans les circonstances actuelles, tout son calme et toute sa dignité. Nous vaincrons ! Vive la France ! Vive la Grande-Bretagne! »

Pondichéry, le 27 juin 1940.
Le gouverneur,
Signé : Bonvin

Le même jour, par lettre officielle n° 2083 G, le gouverneur Bonvin confirme au Consul général britannique à Pondichéry, sa résolution de poursuivre la lutte : …… « tant que je serai à la tête des établissements français de l’Inde, les autorités civiles et militaires se rangeront côte à côte avec les autorités britanniques pour continuer la lutte commune la main dans la main jusqu’à la victoire finale ».

Le 29 juin 1940, le gouverneur des établissements français dans l’Inde envoie l’administrateur des colonies P. Vuillaume prendre contact direct avec le Consul général britannique (car il n’y a pas de T.S.F. à Pondichéry et nous ne pouvons communiquer directement avec Londres). À la suite de l’entrevue de l’administrateur Vuillaume avec le colonel Schomberg, consul général britannique, il reste convenu que le gouverneur de l’Inde britannique va se mettre en rapport avec Londres à notre sujet, et le 1er juillet 1940, le consul général précise par lettre n° LVI à 180 à Son Excellence, M. le gouverneur des établissements français dans l’Inde à Pondichéry :

« Me référant à mon entretien du 29 juin 1940 avec M. l’administrateur P. Vuillaume, j’ai l’honneur d’exprimer mes vifs remerciements du geste de Votre Excellence en mettant ses services à la disposition de Son Excellence le vice-roi. »

Signé : colonel Schomberg

Le 5 juillet 1940, Lord Linligthgow, vice-roi des Indes, remercie par télégramme personnel le gouverneur L. Bonvin pour sa décision rapide de continuer la lutte aux côtés des Alliés.

Le 12 juillet 1940 nous recevons par l’intermédiaire du consul général britannique le message télégraphique suivant du général de Gaulle, le premier qui nous parvient :

Général de Gaulle à gouverneur Bonvin à Pondichéry.

« Je vous félicite de la fermeté et de l’esprit patriotique des mesures que vous avez prises. Je vous demande de vous joindre à moi de quelque façon que vous croiriez utile, pour contribuer à la continuation de la guerre, en France et dans l’empire. »

C. de Gaulle

Le gouverneur Bonvin répond le 13 juillet 1940 par l’intermédiaire du consul général britannique, en le priant de faire transmettre le message suivant :

«Vous pouvez assurer le général de Gaulle et le comité national français de Londres que nous sommes de tout cœur avec eux. Nous serons toujours heureux de rester en communication avec eux et de collaborer, dans la mesure où cela nous sera possible, à leur action pour empêcher l’asservissement de la France et obtenir la victoire finale. »

Le 14-Juillet 1940, une brève cérémonie a lieu devant le Monument aux morts. Tous les Français ressentent en ce jour les malheurs de la patrie encore plus sensiblement. Le gouverneur, dans une courte allocution, nous convie à continuer à servir en faisant notre devoir de Français.

Les jours passent sans autres nouvelles de Delhi ni de Londres ; nous sommes isolés, pas de poste de T.S.F., pas de câble pour communiquer directement avec Londres et le général de Gaulle. Le gouverneur général britannique à Delhi veut savoir si son gouvernement à Londres a reconnu le général de Gaulle et son comité comme un organe de contrôle officiel sur les colonies françaises. Nous vivons dans une incertitude qui provoque certains doutes dans les esprits, et particulièrement chez certains Français dont le désintéressement n’est pas la vertu dominante.

Le 2 août 1940, le vice-roi des Indes a une entrevue avec le gouverneur Bonvin à 0otacamund (Inde du Sud). L’administrateur P. Vuillaume et l’administrateur-adjoint Brutinel accompagnent le gouverneur de l’Inde française. Lord Linlihthgow donne l’assurance que dès qu’il aura une réponse favorable de la part de son gouvernement à Londres il nous mettra en rapport direct avec le général de Gaulle et son comité.

Le 6 septembre 1940, le consul général britannique informe le gouverneur de l’Inde française qu’il est prêt à transmettre dans le plus court délai la déclaration officielle du ralliement des établissements français dans l’Inde à la cause du général de Gaulle et de la France Libre.

Le lendemain 7 septembre 1940, le gouverneur Bonvin réunit les chefs de services, les élus et notables de la colonie et le ralliement est proclamé officiellement sans aucune opposition.

Tous les Français et ressortissants français de l’Inde acclament la proposition du gouverneur, qui consacre définitivement une situation de fait durant déjà depuis plus de deux mois.

Avis est donné à toute la population, par la presse et par une proclamation du gouverneur Bonvin, du ralliement de nos établissements dans l’Inde au comité national français du général de Gaulle.
Cet exposé un peu long était nécessaire pour fixer le rôle exact joué par le gouverneur d’alors, M. Louis Bonvin, qui s’employa à grouper les Français libres et à travailler au maximum pour l’œuvre de Libération. Le 12 septembre 1940, le général de Gaulle télégraphiait : N° 74 – Londres 12/9/40 – Gouverneur Pondichéry.

« Je vous félicite pour votre courageuse action et vous confirme dans vos fonctions au nom de la France Libre. Tous ensemble et avec les Alliés pour la victoire commune. »

Signé : C. de Gaulle

Le mouvement de la France Libre s’organise. Rapidement des volontaires se présentent, des souscriptions s’ouvrent, l’enthousiasme et l’espoir vont de pair. Nous apprenons les ralliements successifs des colonies du Pacifique, de l’A.E.F. et du Cameroun ; l’empire est dans la lutte, il va voir ses forces grandir.

Le général de Gaulle désigne le gouverneur Bonvin pour le représenter aux Indes britanniques, les consuls français de Vichy en résidence à Bombay, Calcutta et Colombo ayant abandonné leurs fonctions. Des comités France Libre sont créés à Calcutta, Bombay et Colombo ; ils vont durant toute la guerre contribuer à l’effort demandé à tous les Français libres ; chacun apportera sa part avec joie et ce sera dans une atmosphère d’émulation encourageante que tous serviront la France lointaine, mais présente dans tous les esprits.

Les Indes françaises vont, durant cinq années, avec les Français résidant aux Indes britanniques envoyer des centaines de volontaires qui s’illustreront dans les premières divisions de la France Libre. Plusieurs lacks de roupies iront à la caisse d’armement de la France Libre (un lack de roupies vaut 3.600.000 francs), des milliers de colis à la Croix-Rouge.

Pendant cinq ans, on assistera à l’effort sans lassitude de ces minuscules dépendances ; ces enclaves de terres françaises sont restées grandes par le cœur. La présence des enfants de l’Inde française au milieu des armées de la France Une fête rituelle : procession d’une divinité. Libre a attesté l’existence de cette fraternité qui a uni tous les hommes libres au cours d’une lutte parfois inégale ; mais tous étaient soutenus par un idéal et une foi admirables. Parfois, en écoutant des habitants de l’Inde, on serait surpris de constater combien la France représente pour eux bien plus qu’une entité géographique ; le symbole de la liberté et de l’émancipation des peuples. Dans l’immense douleur des Français, en 1940, devant le désarroi que les revers militaires avaient créé, il fut réconfortant de constater combien notre patrie avait gardé de vrais enfants et aussi d’amis sincères. Dans les Indes françaises et britanniques des centaines de gestes vinrent attester que nous avions partout des sympathies véritables. Tout cela est le résultat d’une œuvre longue et généreuse. Ceux qui furent nos représentants ont particulièrement contribué à cette œuvre. Ce sont ces chefs humains et aimés des Français d’outre-mer qui eurent le privilège et le grand honneur de maintenir l’esprit de la France aux heures les plus graves de notre histoire.

Extrait de la Revue de la France Libre, n° 3b, octobre-novembre 1946.