Le ralliement d’Oyem (Gabon)

Le ralliement d’Oyem (Gabon)

Le ralliement d’Oyem (Gabon)

Leclerc vient de rallier le Cameroun à la France Libre. Le colonel Bureau est courtoisement envoyé au repos à Dchang. Je deviens commandant d’Armes à Yaoundé après y avoir assaini la situation (1).

Si l’amiral Platon, émissaire de Vichy a médiocrement réussi au Cameroun, il n’en a pas été de même au Gabon où le gouverneur de Saint-Mart d’abord rallié, a capitulé. Il est aidé par le général Têtu.

Pourtant le 1er septembre, le lieutenant Liurette administrateur mobilisé et F.L. commandant le poste d’Ambam sur la frontière du Gabon vient m’annoncer que la région limitrophe du Cameroun, le département d’Oyem, est prête à se rallier et me presse d’aller pousser à la roue. Je suis d’accord et obtiens, par téléphone, le feu vert de Leclerc.

Le 2, je suis à Ambam. La frontière avec le Gabon est concrétisée par le petit fleuve côtier du N’Tem. Sur la rive gabonaise Vichy a installé un petit poste pour interdire le passage et garder le bac. Cependant le sous-officier qui le commande accorde le passage à Liurette, comme “bon voisin”. Désirant traverser, il me le refuse et le soir à Ambam nous cherchons un moyen de convaincre ce sous-officier, d’assouplir sa consigne. Quand arrive un indigène porteur d’une lettre adressée au lieutenant Liurette par le chef du département d’Oyem l’administrateur Besson. Son adjoint, Martocq est très malade. Le docteur n’a pas le médicament nécessaire, mais pense que la mission protestante d’Ebolowa, au Cameroun, le possède et demande d’envoyer quelqu’un le chercher d’urgence.

Liurette envoie un de ses secrétaires en voiture et j’entrevois en même temps le moyen de me rendre à Oyem : il me suffira d’être porteur du médicament, à condition que nous l’ayons, évidemment.

Au petit matin du 3, le secrétaire de Liurette arrive avec le médicament. Nous partons au bac. Comme je me suis chargé du remède, le sous-officier vichyste, me laisse passer.

Le département d’Oyem comporte deux districts civils et deux militaires. Nous arrivons vers midi à Bitam l’un des postes militaires. Je suis mal reçu par les sous-officiers qui prétendent ne pas déranger leur chef, le capitaine Gourvès. Après un bon quart d’heure de palabre, ils consentent à aller le chercher.

Gourvès voudrait bien rallier la France Libre, mais ses sous-officiers ne le suivent pas. Pourtant mes explications le décident sous condition du ralliement du chef du département.

Nous arrivons à Oyem au crépuscule, La femme et la fille de l’administrateur me sautent au cou : “Nous sommes tous gaullistes ici, vous allez dîner avec nous; Papa – c’est la fille, une vingtaine d’années, qui parle – se décidera sûrement”.

Je raconte l’odyssée de Leclerc, l’enthousiasme au Cameroun. Besson opine, sa femme me remercie, sa fille me pousse du coude et me chuchote: “Il va se rallier”.

“Oui” dit-il “je suis gaulliste – mais je dois obéir à mes chefs qui eux obéissent à Vichy. Si les militaires du département se rallient, peut-être pourrais-je me rallier. Mon chef du district civil et mon adjoint le sont.”

“Gourvès est déjà rallié”, je lui rétorque “et si vous vous ralliez votre autre capitaine se ralliera certainement.”

Il reste néanmoins sur sa position.

« Je reviendrai demain » lui dis-je.

Nous retournons à Ambam ; retour difficile et lent en pleine nuit. Des équipes commencent à démolir les ponts selon, parait-il, des ordres reçus.

Curieux! À l’esbroufe je donne les contre-ordres.

Deux heures de sommeil. Dès l’aube du 4 je repars accompagné d’un sous-officier. Pas d’accroc au bac. À Bitam, je regonfle Gourvès. À Oyem pas de changement, sinon que Martocq, l’adjoint, grâce à mon médicament, est hors de danger. De nombreux Européens viennent m’affirmer leur gaullisme.

Je pars pour Mitzic poste de la seconde compagnie dépendant d’Oyem, la compagnie Baylon. On entre dans la forêt. À 10 kilomètres du poste la route est obstruée par d’énormes abattis et on entend des coups de haches. Nous « crapahutons » sur plus de 800 mètres avant d’atteindre le chantier en pleine exploitation : une trentaine de tirailleurs, quatre ou cinq sous-officiers, un capitaine: c’est Baylon, trapu, menton carré, air têtu mais plutôt sympathique.

Dégoûtant de sueur et d’assez mauvaise humeur je lui crie : “N’en jetez plus cela ne servira à rien” et j’enchaîne : “Je viens du Cameroun, rallié à la France Libre; ralliez vous aussi c’est votre devoir et votre honneur ; Bitam s’est rallié, Oyem aussi”.

J’anticipe sans vergogne.

Mais les sous-officiers m’entourent, menaçants. Baylon me répond : “Je suis gaulliste à 90 %, mais soldat, j’obéis aux ordres de mes chefs, qui obéissent au maréchal.

– Même si vos chefs vous trompent et même s’ils se déshonorent?

– Même s’ils se trompent, mon honneur est de leur obéir, c’est affreux, mais je dois obéir; je n’y puis rien”».

Les larmes lui viennent aux yeux.

Les sous-officiers me pressent: “La guerre est finie et le maréchal sait ce qu’il fait; laissez le capitaine et allez vous en !”

Nous nous en allons, pas très fiers, retraversons les 800 mètres d’abattis alors que le bruit des coups de haches devient de plus en plus sourd.

Besson est déçu; il espérait que le ralliement de Baylon lui fournirait l’échappatoire. Mais sa femme et sa fille insistent pour que je passe la nuit chez eux. Je pense que le problème va se résoudre, la nuit portant conseil. Après un excellent repas, toujours chouchouté par les deux femmes, abruti par la fatigue de cette dure journée je m’endors confiant.

À mon réveil ma décision est en effet prise, nécessaire: mon bonhomme veut être couvert; si je force sa conscience, il n’aura rien à se reprocher, il suffira d’y mettre quelque forme. Je suppose même qu’il s’y attend. À 8 heures je me rends à son bureau. Il y est seul et semble bien m’attendre. Après quelques échanges sur la température et la façon dont j’ai passé la nuit, je joue ma petite comédie.

– “Monsieur l’Administrateur, le Gabon comme le Cameroun, comme l’Afrique équatoriale française toute entière aspirent à continuer la lutte – vos administrés Blancs et Noirs sont d’accord pour suivre le général de Gaulle; vous-même en avez l’ardent désir, mais vous estimez de votre honneur d’obéir à vos chefs hiérarchiques qui pourtant agissent sous la domination de l’ennemi. Je comprends vos scrupules, mais l’intérêt supérieur de la France Libre, de la vraie France, ne peut en tenir compte. Aussi ai-je la pénible obligation au nom du colonel Leclerc, délégué du général de Gaulle, chef de la France Libre de vous relever de votre commandement et de déclarer le département d’Oyem, sauf le district de Mitzic, rattaché au Cameroun.

– Mon Commandant, je m’incline devant l’autorité que vous représentez, et que mes administrés en effet, reconnaissent. Quant à moi, n’ayant plus rien à faire ici, je désire me rendre au Cameroun et je vous demande d’intercéder auprès du colonel Leclerc pour qu’il accepte mes modestes services, s’il m’en juge digne.”

Ce brave homme sera en effet nommé quelque part au Cameroun.

Je télégraphie à Leclerc: “Succès à Bitam et à Oyem ; échec à Mitzic.” Je vois Martocq, l’adjoint; il va beaucoup mieux ; je le nomme chef du département. Et l’on fête le ralliement.

Le 6 septembre, sur la route de Yaoundé, je croise un petit convoi, commandé par Louis Dio; il va exploiter le ralliement d’Oyem. Déjà Dronne sur mon ordre est à pied d’œuvre avec une section.

– “Baylon est mon camarade de promotion ; il se ralliera à moi” me dit Louis Dio.

Baylon était vraiment têtu. Il mènera contre Louis Dio une bagarre d’un mois et demi – sans perte d’ailleurs – jusqu’au jour où il sera fait prisonnier. Il pourra être alors gaulliste à 100 %.

Des milliers de coups de fusils ont été échangés en accompagnement de proclamations enflammées, menaçantes et burlesques.

Et un beau matin, au camp de Yaoundé, un lieutenant se présente à moi: “Lieutenant H… je vous apporte une lettre du commandant Louis Dio.”

Louis Dio m’écrit que H… , de la compagnie Baylon, a été fait prisonnier et s’est rallié à la France Libre.

“Parfait; je vais vous affecter à une compagnie.

– Mon Commandant, j’estime mériter une sanction.

– Une sanction? personne ne vous reproche d’avoir obéi à vos chefs.

– Mais je mérite une sanction pour avoir été fait prisonnier, et surtout étant gaulliste depuis l’appel du général de Gaulle, pour ne pas m’être rallié.”

Il n’en démord pas.

– “Alors fixez vous-même votre punition.

– Je pense que 30 jours d’arrêts de rigueur ne seront pas de trop.

– Mais où voulez-vous que je vous mette ; en ville on rira.

– Mettez-moi au camp, et avec une sentinelle.”

Je juge cela aussi ridicule, mais puisqu’il y tient!

Quelques jours plus tard, le colonel Monclar installé à Yaoundé désire visiter le camp.

“J’ai appris que vous déteniez un officier prisonnier dans une paillote – mal logé, mal nourri, sans hygiène.

– Exact, c’est un lieutenant pris au Gabon, il a exigé de se mettre aux arrêts de rigueur au camp.

– C’est insensé ! vous êtes inhumain ; je vous conseille de libérer ce garçon.

– Mon Colonel, venez le voir et vous jugerez.”

Nous trouvons H… en pleine forme, un peu étonné de la visite de ce colonel qui lui dit qu’il vient le sortir de prison. « Pas question, Mon Colonel, je sortirai de prison quand j’aurai terminé ma punition. »

Monclar n’est est pas revenu.

Et H… m’en réservait une autre, aussi bonne!

 

(1) Voir « Le ralliement du Cameroun » – n° 207 de la Revue de la France Libre.

Extrait de la Revue de la France Libre, n° 227, 2e trimestre 1979.