Le rattachement de Tende à la France

Le rattachement de Tende à la France

Le rattachement de Tende à la France

Par David Klugman, Génie – 1re DFL


Le film «
Coup de foudre » (en vidéo « Entre Nous »), qui connut un grand succès, en France comme aux États-Unis, commence par une scène qui se passe en 1942. La caméra est braquée sur une gare dont la plaque indique Saint-Dalmas de Tende. Une foule se précipite sur un train déjà bondé, quand un homme s’écrie : « Ce n’est pas la peine de pousser. On arrête tout le monde là-haut à la frontière. »
Les cinéastes ignoraient qu’en 1942 la gare se trouvait en Italie, à San Dalmazzo di Tenda.
Quand les Alliés négocièrent le traité de paix avec l’Italie (et les pays ennemis des Balkans) en 1946, ce qui aboutit au Traité de Paris, signé le 10 février 1947, le communiqué quotidien s’achevait invariablement par la phrase : « La délégation française a soulevé le problème de Tende et La Brigue. »
Quel était donc ce problème de Tende ?

Un à-côté de l’histoire

Les anciens de la 1re DFL ont bien connu cette région alpine, mais peu nombreux furent ceux qui se trouvèrent au col de Tende même et, à plus forte raison, dans la ville de Tende, à présent un chef-lieu de canton des Alpes-Maritimes.
Il y a des experts qui considèrent le col de Tende (altitude 1870 m) comme constituant l’extrémité occidentale du massif alpin. Il est percé par deux tunnels parallèles, l’un routier, l’autre ferroviaire, reliant ainsi la Côte d’Azur à Turin.deminage-alpes
Logiquement, quand une montagne sépare deux pays, la frontière suit la ligne de crête. Ce n’était pas le cas dans cette région. L’Italie occupait le versant qui fait face à la France, surplombant la vallée de la Roya. D’où venait donc cette anomalie ?
Quand en 1860 la France se vit attribuer le comté de Nice, le versant en question, englobant les villes de Tende et La Brigue (Tenda et La Briga en italien) ne fut pas inclus, car c’était, dit-on, un terrain de chasse de prédilection du souverain piémontais.
Si de Gaulle l’historien souffrait de cette injustice, de Gaulle l’homme d’état décida de profiter des circonstances favorables pour la réparer. Il savait que seul un fait accompli influencerait les Alliés à la table de la future conférence de paix.
Ce qui explique l’ordre donné à la 1re DFL de s’emparer du massif de l’Authion et de pénétrer au Piémont.
Bien que la Division reçut l’ordre de ne pas dépasser la ville de Borgo San Dalmazzo, dans la vallée de la Stura, la compagnie du génie à laquelle j’appartenais piqua sur Limone-Piemonte, une ville à une vingtaine de kilomètres plus loin, dans la vallée de la Vermengara.
Ainsi, au début du mois de mai 1945, la compagnie se vit logée dans un hôtel de Limone, un lieu de villégiature sur le versant proprement italien du col de Tende. C’est sur la place devant l’hôtel que je me revois lisant la proclamation de victoire d’Eisenhower à ma section.
Chaque jour, la section, renforcée par des prisonniers de guerre allemands, partait vers le col, et au-delà, sur la route descendant sur Tende par une succession de lacets en têtes d’épingles. Nous étions chargés de la déminer, de la déblayer et de la remettre en état.avance-dfl-alpes
Puis la section reçut l’ordre de s’installer dans un baraquement situé sur la route, entre le col et Tende, à un tiers à peu près de la distance à partir du col. La section, avec ses prisonniers, s’y installa. Les prisonniers n’étaient pas gardés, car ils n’avaient nulle part où s’enfuir.
Le temps était au beau ; les efforts et les combats appartenaient déjà au passé. Nous avions une tâche. Elle fut menée de bon cœur et de bon train.
De temps en temps nous avions des visiteurs, tels des soldats américains et brésiliens. Dire que je ne savais même pas que le Brésil combattait à nos côtés !
Un jour je fus prié de conduire une religieuse italienne de Limone à Tende. Elle prit place dans la Jeep et, les yeux fermés, ne cessa de réciter son rosaire, ni d’égrener son chapelet, tout le long des interminables virages, avec la montagne d’un côté, les précipices de l’autre. Arrivée à son couvent, où elle fut accueillie avec des transports de joie, elle me fit cadeau d’un précieux oeuf, tiré de son panier.
Le 5 mai déjà, le général Doyen, commandant le front des Alpes, accompagné du préfet des Alpes-Maritimes, était venu à Tende faire acte de présence au nom de la France. Pour y parvenir, le génie dût faire un effort herculéen, mais ce n’était pas mon unité. Quant aux habitants de Tende, ils s’empressèrent de témoigner leur attachement à la France, attachement qui prit la forme d’un plébiscite en 1947, consommant le rattachement des villes de Tende, La Brigue, Saint Dalmas de Tende, et leurs environs, à la France, après quatre-vingt-sept ans de souveraineté italienne.
Une fois de plus, de Gaulle avait vu juste.

PS : En plus de mes souvenirs, très vivants, j’ai consulté l’ouvrage intitulé
La 1re DFL – Épopée d’une reconquête.
Extrait de la Revue de la France Libre, n° 263, 3e trimestre 1988.