« Salud Amigos »

« Salud Amigos »

« Salud Amigos »

Chaque quinzaine, un bateau emporte vers l’Amérique latine un contingent de nos camarades engagés volontaires de 1940. Chaque quinzaine un bateau nous arrache nos amis. Au moment de les quitter, nous les remercions de tout notre cœur d’être venus, de l’autre bout du monde, se battre avec nous pour libérer la France.

Après avoir connu sur les champs de bataille mes camarades de l’Amérique latine, j’ai connu leurs chères républiques, où j’ai pu constater, au cours d’un récent voyage, quelle chaleureuse amitié nous liait à elles. Leur cœur bat vraiment à l’unisson du nôtre et les mots de liberté, égalité, fraternité ont, au-delà de l’Atlantique, les mêmes résonances que chez nous. Ce sont ces idées, ces sentiments et toute la noblesse que contiennent ces trois mots, qui ont poussé des centaines de leurs fils à venir nous montrer que cette union des cœurs n’était pas une vaine formule en nous apportant aux heures cruelles et décisives de la guerre, avec leur sang généreux, le salut et les espoirs de l’Amérique latine.

Chers Camarades latino-américains, nous voudrions avant que vous nous quittiez, vous crier notre reconnaissance et celle de notre pays, car ce sont vos souffrances qui, avec les nôtres, ont permis que la France soit aujourd’hui libérée. Vous êtes venus pour prendre notre main et marcher avec nous sur le dur chemin que nous avions choisi, parce que nous voulions vivre libres ou mourir au combat. Votre présence à nos côtés fut non seulement une aide efficace, mais aussi un encouragement, la preuve que partout dans le monde on croyait en la France.

Vous nous quittez, après vous être tant battus. Vous allez retrouver votre vie d’antan, vos parents, vos amis, vos horizons familiers des Andes, de la pampa ou de la forêt. De là-bas, pensez à nous qui restons ici pour reconstruire nos ruines, les yeux encore tout embués des larmes de nos deuils. Dans la lutte que nous continuons pour notre pays, vous saurez que nous vous resterons fidèles, car nous garderons l’esprit et la foi que nous avons eus ensemble durant la lutte, celle de la guerre. Nous vous resterons fidèles parce que nous n’oublierons pas vos sacrifices librement consentis pour notre cause commune, la libération de la France, dans le combat contre la tyrannie et que vos morts tombés aux côtés des nôtres cimentent notre amitié pour l’éternité.

Restez-nous fidèles vous aussi, comme au temps du grand malheur de la France et gardez-nous votre confiance, n’oubliez pas que vous êtes nos frères d’armes liés par la misère des combats et par les mêmes espoirs.

Portez à vos pays notre salut fraternel et notre reconnaissance pour vous avoir élevés dans le culte de l’honneur de la liberté et de la dignité humaine.

Au revoir vieux compagnons qui repartez chez vous, votre tâche accomplie puisqu’ensemble nous avons vaincu.

L’autre soir, dans la lumière glorieuse d’une fin d’après-midi d’été, votre troupe décimée par cinq années de combats ininterrompus remontait la voie triomphale des Champs-Élysées acclamée par le peuple de Paris qui vous remerciait au nom de la France toute entière. Vous le méritiez bien. Puis vous vous êtes rendus en pieux pèlerinage sur la tombe de l’Inconnu pour y ranimer la flamme du souvenir… De vos lointains pays, vous étiez venus pour cela. Puisse-t-elle sous cette voûte qui est redevenue un arc de triomphe, grâce à tous nos sacrifices communs, veiller et garder en cette paix retrouvée, notre amitié et la vieille camaraderie des jours passés.

Pierre Gabard

Extrait du Bulletin de l’Association des Français Libres, n° 1, décembre 1945.