Les transports aériens de la France Libre et Lionel de Marmier

Les transports aériens de la France Libre et Lionel de Marmier

Les transports aériens de la France Libre et Lionel de Marmier

Plus que toute autre activité les transports aériens furent atteints par le désastre de 1940. Air France avait cependant fait son possible pour maintenir dans le cadre des conditions d’armistice acceptées par Vichy, un certain nombre de liaisons en France, en Afrique du Nord et en A.E.F.
C’est sur la base de ces moyens dispersés qu’il convint de remettre sur pied les services nécessaires à l’effort allié de transport des hommes, de la poste et des plis officiels.
Il fallut reconstituer les éléments d’une direction, reprendre en mains tous les services d’escales répartis en Afrique, s’organiser pour durer avec un matériel pour lequel les réserves en pièces de rechange étaient des plus réduites et parfois inexistantes et ce, tout en assurant les liaisons indispensables au commandement et à la vie économique des régions desservies.
Il fallut enfin prévoir l’avenir par des programmes de matériel à obtenir des autorités alliées.
L’aviation commerciale ne devait pas mourir, au contraire, elle devait conserver sa vitalité, profiter de chaque occasion pour se développer et améliorer ses positions.
Ces résultats sont dus au travail de chacun, mais surtout à l’extraordinaire personnalité de Lionel de Marmier qui devait, hélas, disparaître en janvier 1945 en Méditerranée.
Son odyssée magnifique est de celles dont peuvent s’enorgueillir les grands Français. L’un des premiers parmi les officiers supérieurs, il rallie le général de Gaulle en juin 1940 avec son groupe. Un peu plus tard, il fit partie de l’expédition sur Dakar qu’il tenta d’atteindre en décollant du porte-avions Ark Royal mais, repoussé par les mitrailleuses, c’est à Douala qu’il débarqua. Il décida alors de prendre, toujours avec son groupe, Libreville, et bien qu’un télégramme officiel vint lui interdire au dernier moment cette opération, volontaire, il risqua le tout pour le tout et Libreville redevint une ville… libre.
En avril 1941, il commanda en Syrie le groupe de bombardiers « Lorraine » qu’il avait organisé à Dakar, au Gabon, puis en Moyen-Orient. C’est alors qu’il fut sollicité pour organiser l’aviation de transport française. Bien qu’il eut préféré rester à la tête du groupe « Lorraine », il dut cette fois se plier aux exigences officielles. Il accepta et son organisation fut à son image.
Certes, ce ne fut pas toujours chose aisée à réaliser. À Damas, le colonel de Marmier ne disposait pas de matériel, mais son génie inventif aidant, il ne tardait pas, avec des débris hétéroclites, des avions étrangers abattus, des moteurs trouvés çà et là, à assembler quelques « taxis ». Tout était à faire. Il fallait construire des hangars, des ateliers de réparation, aménager les terrains, amener l’essence ; de Marmier, animé d’une volonté farouche, d’une audace et d’un courage exemplaires, surmonta toutes les difficultés et la renaissance des lignes françaises était consacrée le jour où il conduisit le général de Gaulle de Damas à Brazzaville en dix heures !
Par la suite, on vit de Marmier organiser la ligne Brazzaville-Tananarive-La Réunion, puis Damas-Téhéran, Damas-Moscou, Damas-Dakar, Dakar-Tananarive. Partout dans le désert, dans les forêts, des aérodromes naissaient, des escales parfaitement aménagées jalonnaient les itinéraires dont le point de départ avait été fixé à Alger dès le mois de mars 1944.
Vint ensuite le débarquement allié en France, puis la libération de l’Ouest de Paris. Le colonel de Marmier a l’honneur de se poser avec le général de Gaulle sur le premier terrain libéré de Normandie, comme il aura l’honneur, quelques semaines plus tard, de conduire, à Moscou, le président du gouvernement provisoire de la République française.
En janvier 1945, un bimoteur Lockheed de transport s’envolait d’un terrain de France pour accomplir une mission de liaison avec l’Afrique du Nord. Et c’est en vain que, depuis ce 30 décembre, les postes de radio de la métropole et ceux d’outre-mer cherchent à capter le message qui pourrait rassurer sur le sort du colonel Lionel de Marmier qui était à bord ainsi que le lieutenant pilote Guilloux, le lieutenant Henri, radio de bord, le sous-lieutenant mécanicien Guillot et plusieurs passagers.

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Sa vie tout entière, comme celle de sa famille, est une page de glorieux exploits. Elle vaut d’être tracée ici.

Né le 4 décembre 1897, à Bellegarde (Creuse) de François de Marmier et Marie-Adèle Picaud. Son père, lieutenant de chasseurs à pied, avait obtenu le prix Mouton-Duverrier pour ses exploitations coloniales au Tchad, à Oubangui et au Niger.

En 1914, étudiant aux Arts et Métiers, il interrompt ses études pour entrer dans l’aviation en même temps que ses deux frères René et François.

Son père est tué en Lorraine au combat de Charmes, le 24 août 1914.

René de Marmier, son frère aîné, est tué en combat aérien en 1916.

François de Marmier, son autre frère, ayant la jambe arrachée au cours du bombardement d’Ostende, réussit à ramener son avion dans les lignes françaises, mais meurt quelques temps après des suites de ses blessures.

Lionel de Marmier, d’abord mécanicien chez Nieuport, prend la place de ses frères à la Spa 176, d’où il passa à la Spa 81.

Termine la guerre avec neuf avions ennemis homologués en France et en Belgique, la Légion d’honneur, la médaille militaire et la croix de guerre avec 11 palmes et une étoile.

À la démobilisation redevient pilote chez Nieuport, participe à des courses automobiles et remporte des records de vitesse.

Partisan et pionnier des transports aériens, effectue les premières liaisons commerciales Paris-Bucarest et Paris-Varsovie, pour la compagnie aérienne franco-roumaine.

En juin 1926, entre chez Potez comme pilote d’essais.

À ce titre étudie, met au point et effectue les premiers vols de plusieurs prototypes dont le Potez 28, avec lequel il établit en 1928, neuf records mondiaux de distance avec charge.

En même temps, présente les avions français nouveaux dans les Pays Baltes : Finlande, Lithuanie, Esthonie, Pologne, puis dans les Balkans.

Officier de la Légion d’honneur le 15 février 1930.

Quitte la maison Potez pour reprendre son métier de pilote de ligne à l’aéropostale.

En 1934, est nommé comme inspecteur des lignes, puis affecté comme chef pilote d’essais à la direction générale d’Air-France.

En janvier 1936, un décret du ministre de l’Air le porte au grade de commandeur de la Légion d’honneur avec citation suivante :

« M. de Marmier (Lionel), pilote chargé des essais de matériel nouveau à la compagnie Air-France, magnifiques services de guerre : sept avions ennemis abattus, neuf citations ; quatorze ans de service dans l’aviation commerciale, au cours desquels il a battu cinq records du monde et neuf records de France et donné l’exemple des plus grandes qualités comme pilote de ligne ou pilote d’essais. Officier de la Légion d’honneur depuis 1929. Capitaine de réserve. Totalise 6.796 heures de vol. »

De 1934 à 1939, tous les avions de la compagnie Air-France ont été mis au point par lui.

De 1936 à 1938, Lionel de Marmier, qui a pris parti pour la cause de la République, joue un rôle très actif dans la guerre d’Espagne.

Croix de 3e classe S.M.M., le 7 mars 1939.

Mobilisé en septembre 1939 dans le groupe aérien des transports militaires, refuse cette affectation et désire reprendre dans la chasse le poste qu’il occupait en 1918.

Nommé au groupe d’entraînement au vol de la chasse polonaise à Bron, demande en mai 1940 à mener au feu la première escadrille constituée par le groupe de chasse 1/145 sous les ordres du colonel Pavlikowski.

Le 3 juin 1940, il abat deux avions allemands au-dessus de Villacoublay, puis un troisième quelques jours plus tard à Étampes (douzième victoire homologuée).

Ramène son groupe à Saint-Jean-de-Luz et à Sète, en vue de passer en Angleterre.

27 juin 1940, il arrive à Plymouth et se met à la disposition du général de Gaulle. C’est le premier officier supérieur d’aviation qui rallie la France Libre.

Chargé de l’entraînement des pilotes français au camp d’Odiham, il est nommé lieutenant-colonel par le général de Gaulle, le 15 août 1940.

Il embarque pour l’expédition de Dakar sur le Pennland, décolle de l’Ark Royal et tente d’atterrir à Dakar. Il débarque à Douala au bout de 45 jours passés sur le Pennland et entre à Libreville.

Les opérations du Gabon terminées, il rejoint Le Caire le 25 novembre 1940 et est nommé chef d’état-major des Forces françaises libres au Moyen-Orient.

Il organise le groupe « Lorraine », en prend le commandement en avril 1941 en Lybie.

Il effectue de nombreuses missions, mais malgré son insistance pour rester au combat, il est chargé de l’organisation des lignes militaires aériennes pour assurer la liaison de l’Empire français libre au début de septembre 1941.

En octobre 1943, il exécute une première mission de liaison avec le groupe « Normandie » qui se trouvait en Russie, par son voyage Damas-Téhéran-Moscou.

En janvier 1944, il retourne à Moscou et créé la ligne régulière Damas-Téhéran.

En mars 1944, la réorganisation des transports aériens l’amène à Alger. En dépit des difficultés croissantes, manque de matériel, etc., il regroupe au départ d’Alger toutes les lignes rayonnant sur l’Afrique du Nord, l’A.E.F. et l’A.O.F.

Et enfin il peut reprendre la ligne Alger-Madagascar par le Congo Belge. Ligne à laquelle il tenait particulièrement pour suivre l’oeuvre du commandant Dagnaux.

De 1940 à 1944, il accompagne le général de Gaulle dans tous ses déplacements en Syrie, en Afrique et rentre en France avec lui, puis en décembre 1944, il accompagne le général de Gaulle à Moscou.

Porté disparu la première semaine de janvier 1945, il totalisait plus de 10.000 heures de vol, représentant plus de deux millions de kilomètres parcourus.

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Le 7 août 1943, le gouvernement de Vichy le faisait condamner à mort, à la dégradation militaire et à la confiscation de tous ses biens par le tribunal maritime permanent de Toulon, pour crime de trahison.

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Dans l’aviation de transport de la France Libre, Marmier a seul organisé le service de liaison basé à Damas avec Le Caire comme étoile d’exploitation sur Damas, Madagascar et Brazzaville.

En 1944, M. Max Hymans, Directeur des Transports aériens à Alger, réalise la fusion nécessaire des services d’Alger, Dakar et Damas.

C’est l’époque de l’organisation rationnelle et de la répartition des appareils, des pièces de rechange, des hommes, des lignes, des horaires. Alger devient le centre d’un vaste réseau.

Max Hymans confie Alger à Lionel de Marmier qui poursuit là, avec Vachet, Gonin et Verdurand, l’oeuvre commencée à Damas.

Sont alors desservies les lignes suivantes :

– Alger-Oran-Casa ;

– Oran-Casa ;

– Alger-Bône-Tunis ;

– Alger-Casa-Dakar avec correspondance sur Abidjan-Lagos-Douala, d’une part, et Pointe-Noire d’autre part ;

– Alger-Gao-Dakar ;

– Alger-Bône-Ajaccio ;

– Alger-Le Caire ;

– Arzew-Gibraltar ;

– Dakar-Kaolack-Kayes-Gamako-Bobo Dioulasso-Ouagadougou-Gao-Niamey-Zinder ;

– Bamako-Kan Kan ;

– Tunis-Gabès-Rhadamès ;

– Bizerte-Souk el Arba-Gafsa-Médénine-Gabès-Kairouan.

Les ateliers d’Alger travaillent pour la R.A.F., les installations d’Air France sur les aérodromes sont mises à la disposition des aviateurs alliés.

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Ces services de l’aviation commerciale ont fonctionné dans des conditions excluant toute initiative d’expansion commerciale et ont apporté pendant deux années à l’effort de guerre allié, les avantages du transport aérien sur les autres moyens de transport de surface.

Tous les hommes qui, avec Max Hymans, Vachet, Gonin, Verdurand, se sont entièrement consacrés à cette oeuvre, en doivent être remerciés.

La mémoire de Lionel de Marmier, mort pour la France, doit être honorée comme celle d’une grande figure de l’aviation.

Extrait de la Revue de la France Libre, n° 49, juin 1952.