L’unification de la Résistance intérieure autour de l’homme du 18 juin

L’unification de la Résistance intérieure autour de l’homme du 18 juin

Si dès l’été 1940, la police suit attentivement les activités de groupes ou d’individus qualifiés de gaullistes, rares sont les résistants de la France métropolitaine, que ce soit en zone nord ou sud, qui font directement référence aux discours du général de Gaulle ou à son appel du 18 juin.
Le numéro du journal clandestin Pantagruel, qui, en octobre 1940, demande aux Français de se rallier au général de Gaulle et célèbre en ces termes le général de Gaulle : « Ralliez vous moralement au général de Gaulle, qui seul, maintient à la face du monde les traditions françaises d’héroïsme et de respect de la parole donnée », apparaît exceptionnel.
C’est donc un « accord raisonné » davantage qu’une « adhésion sans réserves », pour reprendre les termes de l’historien Laurent Douzou, qui définit le gaullisme affiché par les principaux mouvements de résistance non communiste à partir de 1942. Dans ce processus, « l’homme du 18 juin 1940 », expression qui revient fréquemment pour qualifier le général de Gaulle, renvoie à l’acte fondateur de celui qui est ainsi devenu le « symbole de l’unité et de la volonté françaises », comme le proclame le journal clandestin Libération en février 1942.

Jean Moulin et la formation du CNR

moulinJean Moulin dans la Résistance

Sa résistance commence le 17 juin 1940 lorsqu’il refuse de signer un document établi par les militaires allemands accusant à tort les troupes sénégalaises de l’armée française de massacres sur les civils. Frappé, il tente de se suicider en prison en se tranchant la gorge pour éviter le déshonneur. Révoqué par le gouvernement de Vichy le 2 novembre 1940, il s’installe dans le Sud, prend contact avec les premiers noyaux de Résistance et gagne Londres en octobre 1941 pour se rallier au général de Gaulle. Chargé par le chef de la France Libre d’unifier la Résistance et de créer l’Armée secrète, confiée au général Delestraint, il est le fondateur et le premier président du Conseil national de la Résistance. Arrêté le 21 juin 1943, torturé, il meurt sans livrer aucun secret dans le train qui le conduit en Allemagne. Ses cendres sont transférées en 1964 au Panthéon où André Malraux lui rend hommage en présence du général de Gaulle.

L’envoyé du général de Gaulle auprès de la Résistance

Le 20 mars 1943, Jean Moulin part en France avec le rang de commissaire du CNF (l’équivalent de ministre) et les pleins pouvoirs pour former un Conseil de la Résistance unifiant les mouvements de Résistance, ainsi que les partis politiques et les syndicats engagés dans la lutte contre l’Allemagne et le régime de Vichy. Les tractations engagées alors aboutissent le 15 mai 1943 à la formation du CNR, sous l’autorité du général de Gaulle, reconnu comme le seul chef légitime de la Résistance. Dès le 8 mai, Moulin annonce à Londres la réussite de sa mission.

Le compte-rendu

Trois télégrammes datés du 8 mai 1943 et signés «Rex», pseudonyme de Jean Moulin dans la clandestinité, parviennent à Londres au soir du 14 mai.

Un communiqué anticipant sur la réunion du 27 mai et amalgamant les trois documents est aussitôt rédigé. Ce texte paraît le 15 mai au matin dans France, le Times et le New York Times. Puis Radio-Brazzaville le diffuse dans la journée.

Les télégrammes
Jean-Louis Crémieux-Brilhac, La France Libre, Gallimard, 1996, 976 p.

REX n° 453

Conseil de la Résistance constitué. Essaie organiser réunion prochaine. Indispensable m’envoyer par premier courrier message de Gaulle qui devra constituer programme politique.

Pour avenir insister primo sur nécessité constituer Quatrième République qui ne sera pas calquée sur la Troisième.

Pour présent souligner difficultés requérant intérieur efforts sacrifices discipline.

REX n° 455

Veille départ de Gaulle Algérie tous mouvements et partis résistance zones nord et sud renouvellent général de gaulle et Comité national attachement total aux principes qu’ils incarnent et dont ne sauraient abandonner parcelle sans heurter violemment opinion française. Tiennent àdéclarer fermement Primo que rencontre prévue doit se faire entre Français au grand jour et au siège gouvernement général Algérie. A suivre.

REX n° 460. suite

Secundo que les problèmes politiques ne sauraient être exclus des conversations.

Tertio que subordination de Gaulle à Giraud comme chef militaire ne sera jamais admise par peuple de France qui demande installation rapide gouvernement provisoire Alger sous présidence de Gaulle avec Giraud comme chef militaire. Quarto quelle que soit l’issue des négociations de Gaulle demeurera pour tous seul chef Résistance française. Fin.

 

Le CNR et l’homme du 18 juin

Réunis «quelque part en France», (l’expression s’explique par des raisons évidentes de sécurité), les membres du Conseil de la Résistance (l’expression CNR est utilisée à partir de l’automne 1943) se retrouvent le 27 mai 1943 (la date du 25 ayant été donnée par erreur dans la transcription originale) dans un appartement du VIe arrondissement de Paris. Les signataires représentent trois ensembles : les mouvements de résistance, les principaux partis républicains d’avant-guerre et enfin les deux confédérations syndicales dissoutes par Vichy depuis l’automne 1940. Les présents adoptent «à l’unanimité», condition indispensable pour consacrer l’unité de la Résistance, et après deux heures de discussion, le texte de la motion adressée ensuite à Londres.

En affirmant que le gouvernement provisoire ne pouvait être confié qu’au général de Gaulle, le CNR s’exprime sans détour en faveur de celui-ci, à un moment où celui-ci est dans une situation difficile vis-à-vis des Alliés.

Le texte met ainsi en valeur la légitimité du général de Gaulle, en faisant explicitement référence à l’appel du 18 juin 1940. On mesure par là l’importance du choix politique qu’il a réalisé au moment de la défaite militaire de juin 1940. Il est alors devenu un symbole aux yeux des mouvements de résistance et d’une partie croissante de l’opinion.

Extraits de la motion du Conseil national de la Résistance lors de sa première réunion à Paris le 27 mai 1943.

Conseil de la Résistance:
Motion votée à l’unanimité au cours de la séance tenue quelque part en France le 25 mai 1943.

Le Conseil de la Résistance, réuni quelque part en France occupée le 25 mai 1943, constate avec une joie immense la libération totale de l’Afrique du Nord, par la victoire des armées Alliées, Anglaises, Américaines et Françaises.

Cette victoire, venant après les magnifiques succès remportés par l’armée de l’Union Soviétique, apporte aux Français qui luttent sur le sol national une grande espérance.

[…] En cette heure solennelle de l’histoire de notre pays et au moment où va se fixer son destin, le Conseil doit exprimer l’opinion du peuple, qui lutte sur le sol de la métropole encore occupée, sur les conditions dans lesquelles il convient de consacrer cette unité.

La France, déjà présente sur tous les fronts, aspire à rentrer plus intensément encore dans la guerre libératrice et à y jeter toutes les ressources de son Empire libéré.

Pour atteindre pleinement son but, il faut qu’elle ait, au plus tôt, un gouvernement unique et fort qui coordonne et qui ordonne, affirmant aux yeux du monde son prestige retrouvé de grande nation. […] La France ne peut concevoir que la création d’un véritable gouvernement provisoire, certes, mais ayant toutes les formes et toute l’autorité, répudiant une fois pour toutes,officiellement et dans les faits, la dictature de Vichy, ses hommes, ses symboles, ses prolongements.

Elle entend que ce gouvernement – c’est le devoir du Conseil de l’affirmer avec netteté – soit confififié au général de Gaulle qui fut l’âme de la Résistance aux jours les plus sombres et qui n’a cessé depuis le 18 juin 1940 de préparer en pleine lucidité et en pleine indépendance la renaissance de la Patrie détruite comme des libertés républicaines déchirées.[…].

 

Le CNR selon de Gaulle

Le contexte

Après le débarquement anglo-américain en Afrique du Nord le 8 novembre 1942, les Alliés maintiennent en place les autorités vichystes d’Alger qui, en opposition avec la volonté du maréchal Pétain, ont fini par accepter de reprendre à leurs côtés la guerre contre l’Allemagne. De ce fait, deux autorités concurrentes représentent les Français au combat.

Devant cette situation, des discussions s’engagent au printemps 1943 entre le général de Gaulle, chef de la France Combattante, et les autorités d’Alger, afin d’unir leurs forces sous une autorité commune. C’est dans ce cadre que s’insère la formation du CNR et qu’elle prend sens.

Extrait des mémoires
Charles de Gaulle, Mémoires de guerre, tome II L’Unité, 1942-1944, Plon, 1956.

Le 27 mai, le Conseil national, réuni au complet, 48, rue du Four, tenait sa première séance sous la présidence de Jean Moulin et me confirmait son message.

Ainsi, sur tous les terrains et, d’abord, sur le sol douloureux de la France, germait au moment voulu une moisson bien préparée. Le télégramme de Paris, transmis à Alger et publié par les postes-radio américains, britanniques et français libres, produisit un effet décisif, non seulement en raison de ce qu’il affirmait, mais aussi et surtout parce qu’il donnait la preuve que la résistance française avait su faire son unité. La voix de cette France écrasée, mais grondante et assurée, couvrait, soudain, le chuchotement des intrigues et les palabres des combinaisons. J’en fus, à l’instant même, plus fort, tandis que Washington et Londres mesuraient sans plaisir, mais non sans lucidité, la portée de l’événement.

Questionnaire

Documents

1. Quels sont les enjeux de la situation en mai 1943 pour le général de Gaulle?
2. En quoi le soutien apporté par le CNR est il important?

< La portée de l'Appel : en France
< Des morts de la Grande Guerre à ceux de la Résistance
> La reconnaissance des puissances alliées