La victoire impériale du général de Lattre, par Michel Droit de l’Académie française

La victoire impériale du général de Lattre, par Michel Droit de l’Académie française

La victoire impériale du général de Lattre, par Michel Droit de l’Académie française

Alors même qu’il vient de franchir le Rhin, de Lattre ne songe déjà plus qu’au Danube.

Le dimanche 1er avril, jour de Pâques, tandis que la tête de pont sur la rive droite du fleuve est encore relativement limitée, mais que les passages se poursuivent régulièrement, il a lancé à ses officiers :

– Et maintenant le Danube d’Ulm et de Sigmaringen.

Ulm… Les résonances historiques du mot et l’attrait qu’elles peuvent exercer sur de Lattre se passent de commentaires. Il lui faut sa victoire napoléonienne. Or il a bien examiné la carte. Il sait que Wagram et Austerlitz seront pour les Russes. Iéna et Auerstaedt pour les Américains. Il n’a donc pas le choix. Sa seule chance est Ulm.

Et encore ne s’annonce-t-elle pas toute simple à jouer, car, de ce côté, les limites des secteurs entre la 1re Armée française et la VIIe armée U.S. demeurent très floues, et il n’est pas sûr que cette dernière n’entende pas se réserver la prise d’Ulm (1). Il est même presque sûr qu’elle la revendiquera.

Pourtant, les raisons sentimentales – même si, compte tenu du caractère de l’homme, elles peuvent paraître dominantes – ne sont pas les seules qui poussent de Lattre à vouloir foncer sur Ulm. Si les Allemands réussissaient, en effet, à constituer leur fameux « réduit alpin », l’une des seules voies de retraite accessible aux unités engagées dans le Jura souabe pour gagner les montagnes bavaroises passerait par Ulm. D’autre part, de ce point avancé du Danube, et en piquant vers le sud, les troupes françaises pourraient, en cas de besoin, s’octroyer plus aisément un créneau sur le nouveau front si celui-ci venait à s’ouvrir. Certes, au sein du commandement interallié, on croit de moins en moins à la création de ce bastion suprême dont la propagande nazie entend faire sa dernière arme. Néanmoins, un rapport émanant du quartier général d’Eisenhower en date du 16 avril, se termine ainsi : « Bien que les renseignements actuels n’établissent pas, d’une façon certaine, l’intention d’organiser une ultime résistance dans le réduit alpin, ils sont suffisamment importants pour qu’on accorde une certaine créance à cette idée. »

Quant à Sigmaringen, l’intention du commandement à son égard est fort simple. Après Baden-Baden, les exilés de Vichy en ont fait leur capitale fantôme. Ne serait-ce que pour une question de décence, il importe donc de ne laisser à aucune armée étrangère le soin de pénétrer dans la ville et, à défaut de ses tristes hôtes, de s’emparer des archives et souvenirs divers qu’ils y auront laissés dans leur fuite.

Donc le Danube. Ulm et Sigmaringen. Ensuite, Constance, l’Autriche. Où s’arrêtera-t-on ? De Lattre n’en sait rien encore. Il sait seulement que s’il avait trois divisions blindées au lieu de deux c’est-à-dire si on lui avait rendu la division Leclerc – qui s’emparera de Berchtesgaden, mais sous commandement américain – et s’il avait pu garder la 1re Division Française Libre, qui aurait bien mérité de combattre en Allemagne au lieu d’aller se morfondre du côté du Val d’Aoste, s’il avait donc ces deux divisions d’exceptionnelle valeur à sa disposition, il irait encore bien plus loin qu’il n’ira finalement. Mais à quoi bon regretter ce qui, pour des raisons difficiles ou trop faciles à définir, n’est pas?

Alors que, jusqu’ici, le corps d’armée Monsabert a supporté tout le poids de la bataille en Allemagne, celui de Béthouart va donc, maintenant, entrer en action, Les deux hommes sont aussi différents l’un de l’autre qu’on peut l’imaginer, mais de Lattre possède en chacun d’eux une égale confiance. Monsabert, c’est le Gascon impétueux, silhouette courte, teint coloré, moustaches en croc et cheveux blancs. En boxe, on dirait de lui que c’est un « battant ». Béthouart, au contraire, a l’allure et le flegme d’un Anglo-Saxon. C’est un diplomate autant qu’un guerrier. Mais tout flegmatique et diplomate qu’il soit, le rôle passif que joue son corps d’armée depuis le début de la campagne commence à lui peser. Heureusement, le 15 avril, la 9e DIC est arrivée à Kehl. Et, dès le lendemain, rassemblant ses unités pour un défilé improvisé à travers Strasbourg en délire, Béthouart les lance de l’autre côté du Rhin. Le 17 avril, il installe lui-même son P.C., sur la rive badoise, à l’École d’agriculture d’Achern. À peine les premières liaisons téléphoniques sont-elles établies qu’un appel retentit. À l’autre bout du fil, de Lattre en personne. Il est minuit.

– Allo, c’est toi, Béthouart? Arrive tout de suite avec Hesdin (2).

Mais de Lattre, lui, se trouve à Karlsruhe, c’est-à-dire à environ 80 km plus au nord. Et la nuit autant que les précautions à respecter ralentissent considérablement la circulation. Certaines routes sont coupées. Le PC Hirondelle, c’est-à-dire celui du général de Lattre, est fort mal indiqué. Les deux généraux y arrivent à 5 heures du matin.

– Qu’est-ce que vous avez fabriqué en route? leur lance de Lattre, furieux.

– Mon Général, risque le général de Hesdin, j’ai le regret de vous dire que votre PC est le plus mal fléché de toute l’armée française.

De Lattre bondit, se tourne vers un capitaine.

– Allez me réveiller tout de suite le responsable, c’est-à-dire le commandant du QG. Et amenez-le-moi. Il va voir ce que ça va lui coûter de ne pas faire son boulot.
Au milieu des officiers de son brain-trust, de Lattre a son visage et son regard des nuits d’insomnie, c’est-à-dire des moments de grandes décisions. Face à ses cartes, allant de l’une à l’autre, son imagination et la concrétisation graphique de sa pensée luttent sans arrêt de vitesse. Les attaques fusent de ses doigts. Les villes tombent dès qu’il prononce leur nom. D’un mouvement tournant du pouce, les unités ennemies sont enveloppées, balayées d’un revers de main.

Entre deux figures de cette chorégraphie instantanée et fascinante, Béthouart apprend ce que de Lattre attend de lui.

Voilà, demain à midi, tu seras à Freudenstadt avec le gros de ton corps d’armée. Puis, tu exploiteras droit vers le sud. Tu encercleras la Forêt-Noire par l’est. Tu passeras le Danube le 22. Tu prendras Ulm avec ta gauche, Constance avec ta droite. Et ensuite directement sur l’Autriche.

Or, son corps d’armée, Béthouart sait bien où il se trouve. Exactement à l’ouest de la Forêt-Noire et en pays de Bade, où il vient tout juste d’arriver. Et ce qu’on lui demande, c’est de passer de l’autre côté du massif, donc de le franchir latéralement et dans les plus mauvaises conditions, pour s’élancer ensuite vers le Jura souabe.

Le général de Hesdin et lui n’ont eu besoin que d’un bref regard échangé pour savoir qu’ils étaient d’accord. Mais ce regard, de Lattre l’a également saisi.
Bien sûr, vous croyez que je deviens fou, éclate-t-il parce que vous ne savez pas l’essentiel. Mais nous tenons Freudenstadt. Monsabert a pratiquement dégagé toute la moitié nord de la Forêt-Noire.

Il s’arrête.

– Alors, qu’est-ce que vous en dites ?

Évidemment, cela change beaucoup de choses. Mais l’opération demeure difficile, presque irréalisable dans un si court laps de temps. De Lattre le sait.

Pourtant, il sait aussi qu’elle est indispensable s’il entend arriver à ses fins dans les délais voulus. Il se tourne vers Hesdin et lui désigne un point sur la carte, en pleine Forêt-Noire.

– Demain, c’est ici que Linarès établira son P.C. Et je déjeunerai avec lui. Nous t’attendrons.

Hesdin hoche la tête.

– Tu ne me crois pas? Tu verras. Et tâche de ne pas être en retard.

Puis, se retournant vert Béthouart.

– Et tu m’entends bien, Béthouart, la vraie, la seule manœuvre consiste à marcher tambour battant pour arriver à Ulm le 25 avril. Les Allemands? En fonçant sur le Danube, tu couperas le 18e Corps SS du 64e Corps de la Wehrmacht. Leurs deux commandements s’ignorent. Profites-en.

Et dans la voiture qui les ramène à leur PC, luttant contre le sommeil, les deux généraux commencent déjà à griffonner sur leurs genoux les nouvelles instructions qu’ils vont lancer à leurs unités, et qui les amèneront à bouleverser complètement l’ordre de marche.

Le 19 avril, à 8 heures, tout est en place, et le Corps d’armée Béthouart passe à l’attaque. Nulle part le débouché n’est facile. Particulièrement à Horb, sur le Neckar, où il s’agit de franchir la rivière. C’est le 3e bataillon de zouaves, que commande l’ancien député Charles Vallin, qui mène l’assaut durant lequel tombera le capitaine François Gillet, fils de Louis Gillet et frère de Guillaume Gillet, qui s’était porté au secours d’un de ses chefs de section, grièvement blessé. La veille François Gillet avait écrit à sa mère lui disant : « C’est aujourd’hui que je fais mon entrée dans la terre promise. C’est te dire que je suis heureux comme jamais de ma vie ».

Mais le sacrifice des zouaves qui laissèrent leur vie dans ces premiers combats n’aura pas été inutile.

À midi, le général de Hesdin, qui a pris la tête de sa division avec les chars du 4e régiment de spahis marocains, aperçoit des blindés groupés autour d’une maison, sur le côté de la route. Il regarde sa carte. C’est justement l’endroit que de Lattre lui avait désigné comme devant servir de P.C. à Linarès. Son aide de camp va faire une reconnaissance rapide. Il revient aussitôt.

– Ils sont là, Mon Général.

Et le général de Hesdin, entrant dans la maison, y découvre de Lattre et Linarès, déjeunant de chaque côté d’une table ornée de fleurs. En le voyant arriver, de Lattre s’écrie :

– Alors, maintenant, tu y crois?

Dehors, on entend le bruit de la canonnade, car les combats sont proches.

– Bravo, Mon Général, vous avez gagné votre pari réplique Hesdin.

Dès le 20 avril, les opérations changent de rythme. La 1re DB qui, sous les ordres du général du Vigier, avait déjà atteint le Rhin en tête de toutes les autres unités, et qui est passée sous le commandement du général Sudre, sent maintenant le Danube à sa portée. Elle fonce. Ses cavaliers retrouvent leur véritable vocation. C’est la grande charge. Mais c’est pourtant un zouave, Charles Vallin, qui, le 21, à 11 h 30, franchit le premier le Danube à Mulheim. Grâce à lui, la 1re DB vient de donner à la 1re Armée tout entière le second fleuve guerrier dont de Lattre l’ennoblira. Presque aussitôt, le lieutenant-colonel Lebel à Donaueschingen, le commandant Doré à Tutlingen et le colonel Durosoy à Hausen-Intal atteignent et passent également le Danube. À ce dernier endroit, un vieux pont du VIIIe siècle saute au moment où le premier char va s’y engager. Il y a bien un second pont intact à proximité, mais il est construit en bois et paraît d’une dangereuse fragilité. Tant pis, Durosoy prend ses risques. Un premier Sherman passe. Le pont fléchit d’inquiétante façon, mais résiste. Un second char suit. Et finalement tout un escadron.

De l’autre côté du fleuve, la chevauchée reprend. Mais, comme l’écrira de Lattre dans son Histoire de la 1re Armée française. « Pour être sincère, la 1re DB est fort « en l’air ».

Et comme toujours, en ce genre de guerre où il faut aller vite, on utilise les grands axes routiers sans trop se préoccuper de ce qu’on laisse sur sa droite ou sur sa gauche, ce qui réserve parfois des surprises désagréables. Combien de villages traversés et enlevés qui, derrière nos troupes, étaient aussitôt réoccupés par l’ennemi et devaient lui être arrachés de nouveau pour assurer le ravitaillement, permettre aux renforts d’arriver et aux chars de continuer leur route! Sans cesse, même très loin des premières lignes, il convient donc de demeurer sur ses gardes, d’autant plus que la région se prête aux embuscades.

Au soir du 21 avril, de Lattre, ayant appris ces premiers succès, rédige hâtivement un message pour Béthouart qu’il lui fait porter par le commandant de Camas, et où il lui dit :

« J’apprends que tu es à Donaueschingen et à Tutlingen, et que tu as franchi le Danube à Mulheim. Bravo ! Pousse plein gaz sur Sigmaringen… À Sigmaringen, bouche tout, tiens-le en force, mets-y un patron solide et dur, quelqu’un auprès de lui qui boucle les « politiques », et garde le silence jusqu’à ma venue. Cela étant, depuis Sigmaringen ou parallèlement à Sigmaringen, par le sud du Danube, vole sur Ulm, par tous itinéraires, par tous moyens. Les Américains nous en délogeront peut-être, mais le drapeau français y aura flotté. »

De toute évidence, de Lattre est à son affaire comme jamais il ne le fut. D’abord parce qu’au fond de son cœur il est resté le dragon qui, en septembre 1914, chargeait au sabre les cuirassiers bavarois, et que ce genre de guerre, où les moteurs ont remplacé les chevaux, mais où l’esprit demeure “cavalier” est conforme à ses goûts. Mais aussi parce qu’il est l’homme qui se sait capable de bien plus grands commandements et qui, dans une guerre où le rôle de la France eût été différent, les aurait exercés. Et l’on se demande parfois, alors qu’il fait éclater ses divisions vers Stuttgart, l’Autriche, la Bavière, la frontière suisse, si fermant les yeux, il ne se prend pas à rêver qu’il manœuvre autant d’armées entières. La proximité, l’appel d’Ulm font le reste.

En attendant, le 22 avril, à 11 h 20, Vallin entre à Sigmaringen et s’empare du massif château des Hohenzollern. Déception pour lui, le parlementaire : il n’y a plus un « politique » dans la ville. Le maréchal Pétain lui-même est parti la veille, à 5 heures du matin. Dans la chambre qu’il occupa, il ne reste que deux roses jaunes qui achèvent de mourir dans un vase, et une bouteille d’eau de Vittel à moitié vide. Près d’une fenêtre donnant sur le Danube, un fauteuil où l’on imagine que le vieil homme passa de longues et tristes heures, tandis que dans les autres bâtiments du château, occupés par la « Commission gouvernementale française pour la défense des intérêts nationaux », Laval, Brinon, Déat nouaient et dénouaient leurs dernières et sinistres intrigues, et qu’à un micro sans auditeurs J.-H. Paquis continuait à assurer chaque soir que « l’Angleterre, comme Carthage… », On a su depuis, par les témoignages de Mme Pétain, que si cela n’avait dépendu que de lui, le maréchal aurait probablement attendu sur place l’arrivée des troupes françaises. Sans trop y croire, de Lattre avait certainement envisagé cette éventualité, et celle d’avoir à s’assurer, personnellement, de la personne de l’ancien chef de l’État français. Il serait vain d’imaginer en quels termes et de quelle manière se fût déroulée la rencontre entre les deux hommes, qui se connaissaient bien. On peut cependant être sûr qu’elle eût revêtu un maximum de dignité et probablement de grandeur.

Reste maintenant à prendre Ulm. Ce n’est pas le plus simple.

On se souvient de la dernière phrase du message adressé par de Lattre à Béthouart, au soir du 21 avril, lui enjoignant de s’emparer d’Ulm au plus vite: « Les Américains nous en délogeront peut-être, mais le drapeau français y aura flotté ».

Ses craintes n’étaient pas vaines. Il se précise, en effet, d’heure en heure, que la capture de la ville va être l’objet d’une lutte « au finish » entre Français et Américains, un match où il n’est pas certain que de mauvais coups ne seront pas, finalement, échangés. Car deux divisions américaines se dirigent également vers Ulm avec la ferme intention d’y arriver les premières. Et il faut bien dire que, tout en s’assurant mutuellement de leurs bonnes intentions et de leur indéfectible fraternité d’armes, de Lattre et Patch, qui commande la VIIe armée U.S., sont aussi peu décidés l’un que l’autre à se faire des concessions. De Lattre a beau rappeler à Patch, dans un message personnel, le bouquet de fleurs qu’au mois d’août leur avait remis une jeune fille napolitaine, qu’ils avaient alors partagé et dont il assure avoir conservé la part qui lui était échue, toutes ces belles manières et l’évocation de ces souvenirs émouvants n’empêchent pas que, sur le terrain, Français et Américains seraient le plus souvent bien embarrassés pour dire où finit tel secteur d’opérations et où commence tel autre. Aux unités combattantes à faire de leur mieux pour obtenir un maximum de résultats, le plus vite possible et sans trop de casse.

Heureusement, au sud du Danube, c’est le colonel Durosoy qui est chargé d’attaquer Ulm. À ses qualités militaires, lui aussi joint des dons de diplomate auxquels de longues années passées auprès du maréchal Lyautey ont permis de s’épanouir largement. C’est lui qui arrange les choses avec le général Moriss, commandant la 10e division blindée américaine, aussi pressé que lui d’atteindre Ulm, et qu’il a rencontré sur sa route. « Entre blindés, on finit toujours par s’entendre », conclut celui-ci. Durosoy en profite pour passer.

Et le 23 avril, à 19 h 15, le lieutenant de Bellefond, du 3e chasseurs d’Afrique, renforcé par une section du 3e zouaves, prend pied dans les premières maisons de la vieille cité impériale. Il a plus de dix heures d’avance sur les unités américaines de la 44e division d’infanterie, chargée d’attaquer la ville, l’honneur est sauf. À présent, de Lattre peut accepter le principe d’une opération franco-américaine pour enlever, le 24 avril, l’ensemble des quartiers situés entre la cathédrale et le Danube.

Et, comme au soir du 20 novembre 1805, les trois couleurs montent alors sur la citadelle. De Lattre tient sa victoire impériale. Peu lui importe, maintenant, qu’Ulm retombe en secteur américain. De toute façon, un détachement de zouaves continuera d’y assurer la présence symbolique de l’armée française qui a enlevé la ville, et la 1re DB se trouvera libérée pour d’autres tâches. Hélas, quand de Lattre se rendra lui-même à Ulm, pour la première fois, un malheureux hasard mettra sur son chemin quelques zouaves dont la tenue vestimentaire ne lui semble pas à la hauteur de la mission qui leur incombe. C’est comme si la foudre tombait sur eux.

– Quand on a l’honneur d’occuper Ulm, cent quarante ans après les grognards de l’Empereur…

Les malheureux garçons, qui n’en demandaient pas tant, et pour qui Ulm n’était, jusque-là, qu’une ville peinarde où l’on ne se battait plus et où les filles appréciaient également le candy-roll des Américains et les bonnes façons des Français, les malheureux garçons n’oublieront pas le cours improvisé mais percutant d’histoire militaire qui leur fut alors donné, dégageant sans indulgence les devoirs qui s’imposent à ceux que la fortune a désignés pour d’aussi providentielles relèves. Quant à leurs officiers, 30 jours de forteresse leur permettront de méditer sur les inconvénients qu’il y a à ne pas avoir, d’une certaine manière, le sens de l’histoire. Pour l’instant, le command-car qui suit toujours de Lattre dans ses déplacements et qui lui sert de fourrière les emmène vers la prévôté la plus proche, où l’on prendra soin d’eux.

Deux coïncidences historiques pour finir.

Le 23 avril, l’une des automitrailleuses de Durosoy est atteinte et détruite à 3 km d’Ulm. Elle venait d’Afrique du Nord, et comme certaines portaient « Solférino » ou « Verdun » inscrits sur leurs blindages, celle-ci s’appelait « Ulm ».

Quatre jours plus tard, un jeune correspondant de guerre de la 1re Armée sera blessé tout près de la ville, à quelques kilomètres du pont d’Elchingen, où son aïeul l’avait été lui-même, cent quarante ans plus tôt, il porte le même nom et le même prénom que lui.

Et il signe.


Michel Droit

(1) Un livre de Michel Bar-Zohar, Chasse aux savants atomistes allemands, nous a révélé quelles raisons possédaient les Américains de s’emparer avant les Français de certains centres du Jura souabe où se trouvaient d’importants laboratoires de recherche, et ce souci n’était pas étranger à leurs exigences dans la fixation des secteurs d’opérations.
(2) Le général de Hesdin commandant de la 4e division marocaine de montagne.

Extrait de la Revue de la France Libre, n° 237, 4e trimestre 1981.