Le ralliement du colonel de Larminat

Le ralliement du colonel de Larminat

Le ralliement du colonel de Larminat

Le 18 juin 1940, le colonel de Larminat est à Beyrouth où il occupe les fonctions de chef d’état-major du général Mittelhauser, commandant en chef du théâtre d’opérations du Moyen-Orient.

Pour la population française de Syrie et du Liban, autorités civiles et militaires comprises, l’appel du général de Gaulle est d’abord considéré comme l’expression d’une nécessité évidente, tant était répandue l’idée qu’il n’y avait pas d’autre attitude possible pour les territoires et les forces d’outre-mer. Persuadé que les autres grands chefs dans l’Empire agiront dans le même sens, le général Mittelhauser déclare solennellement : “Quoi qu’il arrive, l’armée du Levant, avec l’appui de la flotte franco-britannique et aux côtés des Britanniques, poursuivra sa mission avec une énergie farouche.”

Le colonel de Larminat a accueilli la prise de position de son chef avec une grande satisfaction. Il est, en effet, convaincu que maintenir le Levant sous mandat français et son armée dans la guerre et dans l’alliance, c’est choisir non seulement la voie de l’honneur, mais aussi celle des intérêts permanents de la France.

La fermeté du général Mittelhauser ne sera cependant que de courte durée. Son chef d’état-major doit bientôt se rendre à l’évidence : circonvenu par le haut-commissaire Puaux qui – après quelques temporisations – a décidé de reconnaître l’autorité de Vichy, démoralisé par le défaitisme qui prévaut finalement en Afrique du Nord et ailleurs, le général Mittelhauser, cela devient de plus en plus visible, n’osera pas prendre les initiatives nécessaires.

Mais si, dans ces conditions, l’idée d’un mouvement collectif de résistance sur place doit être abandonnée, il reste la possibilité d’autoriser et de faciliter le départ pour la Palestine de tous les officiers et soldats désireux de continuer le combat et ils sont nombreux.

Mais il faut faire vite, car la commission d’armistice franco-italienne ne tardera pas à arriver. Voyant qu’il ne réussit pas à amener son chef à adopter et à conserver une ligne de conduite non équivoque, le colonel de Larminat se décide à prendre ses responsabilités. Le 27 juin, il adresse, en son nom personnel, à tous les chefs des grandes unités, une circulaire prévoyant la constitution d’un corps de volontaires destiné à faire mouvement sur la Palestine avec ses armes, ses véhicules et ses munitions. Le général Mittelhauser avait eu connaissance de cette circulaire, il ne s’est pas opposé à sa diffusion. Deux jours plus tard, cependant, ayant été vivement tancé par le haut-commissaire, il n’hésite pas à faire arrêter son collaborateur, à le mettre aux arrêts de rigueur. Tout en le menaçant de la cour martiale, il le fait incarcérer sur le champ dans une caserne de Damas et Mezzé.

Il se trouve cependant que Mezzé est le lieu de cantonnement d’un bataillon de la Légion. La circulaire Larminat y avait été accueillie avec enthousiasme par les officiers du 6e étranger. La nouvelle de l’incarcération de son auteur soulève l’indignation. Un plan d’évasion est immédiatement mis sur pied et exécuté durant la nuit du 30 juin, sans trop de mal. Les responsables de la garde du colonel n’ayant pas mis, on doit le reconnaître, un zèle excessif dans l’exécution de leurs consignes.

Emmené en voiture successivement par le commandant Taguet et le lieutenant Fougère qui prirent en l’occurrence de graves risques personnels, évitant les barrages dressés depuis quarante-huit heures sur les routes pour empêcher le mouvement des volontaires vers le sud, le colonel de Larminat atteignait à l’aube la frontière palestinienne à Sammakh.

Le 2 juillet, le colonel arrivait au Caire et télégraphiait au général de Gaulle son adhésion au mouvement de la France Libre, un des tout premiers officiers supérieurs à accomplir son ralliement.

S’il n’avait pu faire du Levant cette base territoriale dont la France Libre avait besoin pour affirmer son indépendance envers quiconque, si ensuite sa tentative d’entraîner en Palestine le meilleur de l’armée du Levant a été mise en échec, le colonel – bientôt général – de Larminat n’allait pas tarder à prendre une éclatante revanche en Afrique équatoriale.

La suite d’une carrière dominée jusqu’au dernier jour et jusqu’à l’ultime sacrifice, par une conception intransigeante du devoir civique et de la fidélité aux principes, appartient à l’Histoire de notre temps.

J.F…
(D’après les Chroniques Irrévérencieuses d’Edgard de Larminat)

Extrait de la Revue de la France Libre, n° 156 bis, juin 1965.