La ténacité de Leclerc et l’épopée de son ralliement

La ténacité de Leclerc et l’épopée de son ralliement

La ténacité de Leclerc et l’épopée de son ralliement

20 mai 1940 !

Ayant assuré le départ pour Dunkerque du maximum de sa division, le capitaine de Hauteclocque constata qu’il était enfermé dans Lille avec son général, le général Musse. Il vint le trouver et lui demanda de tenter sa chance.

Autorisation accordée sans délai, Hauteclocque prit une bicyclette abandonnée, se constitua un ballot et se débrouilla pour acheter un bleu de travail.

Près de Bohain, un contrôle allemand hélas ! lui fut néfaste. On trouva dans son portefeuille, outre sa carte de famille nombreuse, un talon de mandat de solde de l’École de guerre !

– Officier ?

– Oui.

Enfermé pour la nuit dans un baraquement, il parvint le lendemain, pendant qu’on l’emmenait à Bohain, à se saisir du papier compromettant et à l’avaler.

Jugement devant un colonel et un major allemands, interrogatoire cinglant !

– Que faites-vous ?

– Je cherche ma femme et mes six enfants.

– Pas mobilisé à votre âge ! Puis, se retournant vers le major, le colonel lui dit : « Que faut-il penser d’un pays où il suffit d’avoir trois enfants pour ne plus avoir à défendre le « Vaterland » ?

Une gifle n’aurait pas cinglé davantage Hauteclocque. Il se contint et par une bonne quinte de toux se ressaisit, en entendant le major dire à son chef : « Pas intéressant, du reste, il ne fera pas de vieux os ! »

Quelle incitation à tousser de nouveau !

La preuve ayant disparu il fut relâché.

Il essaya de rejoindre l’armée qui se battait, il se dirigea sur La Fère et, grâce à des ruses savantes, arriva à Jussy, le 3 juin au matin, étudia le canal et repéra une légère courbe qui était un « point mort » sur la ligne de tir de la sentinelle allemande.

Vers minuit, il se laissa glisser dans le canal, mais il dut remonter sur la berge pour se débarrasser de ce qui gênait ses mouvements, huit jours de jeûne ne favorisent pas le sport !

Une chemise, un imperméable en ceinture de sauvetage lui suffirent ; la providence aidant, la sentinelle française dormait, il arriva donc sans encombre jusqu’à Flavy-le-Martel, pénétra dans une maison abandonnée, y trouva un vêtement et attendit l’aube ; une patrouille passa, il se signala et on le conduisit au Q.G. et de là, à Chantilly, où le général Frère avait son état-major. L’accueil du général à son ancien subordonné de Saint-Cyr fut chaleureux, il écouta avec le plus vif intérêt le récit de Hauteclocque, les détails de tout ce qu’il avait pu voir des moyens de l’ennemi et en conclusion l’envoya en auto à l’état-major du général Weygand qui ne savait que peu de chose sur l’importance du matériel allemand. Sa mission accomplie, il put, sous les ordres du général Buisson, se battre encore du 9 au 15 juin ; ce jour-là, un avion en rase-mottes le blessa à la tête.

*

Le capitaine de Hauteclocque, cédant aux conseils impératifs de ses camarades, se fit conduire par son fidèle chauffeur à Tonnerre, déjà évacué hélas !

À Avallon, les sœurs de l’Hospice l’accueillirent et le soignèrent avec compétence et dévouement, mais le 17 au matin, les blindés allemands apparurent.
Pour la troisième fois, Philippe de Hauteclocque s’évada… et prit le chemin d’Étaules.

Dans la cour du château du marquis de Baynast de Septfontaines, il fut accueilli par un groupe de sous-officiers allemands festoyant gaiement.

«L’armistice est signé ! Nous n’en voulons pas aux Français ! Venez trinquer avec nous ! »

Le capitaine de Hauteclocque pour plusieurs raisons, n’en avait nulle envie, aussi refusa-t-il cette invitation, ce qui lui valut de prendre contact avec un sous-officier tchécoslovaque, enrôlé de force dans l’armée allemande.

La conversation s’engagea :

– Je suis Tchèque et sous-officier dans l’armée d’Hitler sans mon consentement.

– Tchèque, lui dit Hauteclocque, intérieurement ravi (il avait eu pendant sept ans près de ses enfants une gouvernante tchécoslovaque, fidèle et dévouée qui parlait avec fierté de son pays, de ses parents, de ses voisins).

Il se hasarda donc à lui demander :

– Connaissez-vous Teplitz-Shonau ?

– C’est mon village.

– Les Ladka ? Les Langova ?

– Ce sont mes voisins.

Malgré cette conversation engageante, la discipline était là ainsi que le règlement.

– Mon Capitaine, si vous restez en tenue militaire, je suis obligé de vous envoyer en camp de concentration.

– Bien volontiers, je me mettrais en civil, mais je n’ai pas de costume.

– Je peux vous en procurer.

– D’accord.

Le sous-officier conduisit Hauteclocque dans une chambre où il passa la fin de la journée et la nuit.

Le lendemain, 18 juin 1940, vers 6 heures, le capitaine Philippe de Hauteclocque troqua sa tenue contre un costume, un peu grand, appartenant à M. de Baynast. Rien ne manquait : le sous-officier avait même pensé au chapeau.

Que se passait-il dans le pays ?

Où était l’armée ?

Aucune nouvelle !

Enfourchant une bicyclette de femme, « la Gazelle », trouvée dans la cour du château, Philippe de Hauteclocque salua en passant le sabotier d’Étaules et lui cria :

« J’emporte un chapeau et un costume à monsieur de Baynast, je le lui rendrai ». (Il le fit en 1945).

Pédalant avec courage il essaya de rejoindre l’armée de l’autre côté de la Loire, hélas ! les ponts étaient coupés : Nevers, La Charité, Pouilly !

Il lui fallut donc rejoindre Paris ; il fut abrité et caché par les Zing, dévoués concierges qui avaient reçu ordre de leurs patrons, les Wendel, d’aider la famille en cas de besoin.

Muni d’un papier officiel, double du certificat de mariage établi par la mairie de Versailles, il partit en auto avec cependant sur le pare-chocs « la Gazelle ».

C’était le 26 juin.

Il arriva dans la matinée à Champiré.

Quelle joie de retrouver, chez cette grande Française, si bonne et accueillante, sa sœur Yvonne, ses parents, et de savoir par eux que sa femme et sa « demi-douzaine » étaient passées, en bonne forme, et étaient en Bordelais (la troupe comprenait trois éléments nouveaux, les trois neveux de Bodard).

Malgré tant de bonnes nouvelles, le capitaine de Hauteclocque alla prendre les « nouvelles ».

Et ce fut alors qu’il entendit pour la première fois ce fameux appel lancé par le général de Gaulle le 18 juin et répété chaque jour depuis, sur les ondes.

Après s’être battu avec ce qu’il avait pu, s’être évadé trois fois, avoir été blessé à la tête, enfin il entendait la réponse à son acte de foi ; plus qu’un autre, il était mûr pour entendre cet « Appel », il allait y répondre par tout ce qu’il trouverait sur son chemin.

NON, Il N’ÉTAIT PAS MÛR POUR L’ESCLAVAGE !

*

Toujours avec la « Gazelle », il reprit l’entraînement cycliste, quitta Champiré pour arriver le 30 juin au soir, aux Vergnes, où l’attendaient avec une certitude absolue sa femme et ses six enfants !

Court séjour, il est vrai, mais suffisant pour prendre un peu de repos, indispensable, avant d’arriver enfin au but : rejoindre en Angleterre le général de Gaulle.

Dès l’aube, le 3 juillet, il reprit sa fidèle bicyclette et avec sa femme, ils sortirent sans bruit et par les chemins de vigne, se dirigèrent vers le sud ; à quelques kilomètres, ils se séparèrent, pour combien de temps !…

Près de Bayonne, habitait une sœur de sa femme, le capitaine de Hauteclocque la fit avertir qu’il désirait lui parler ; par elle, il obtint du maire de Saint-André-de-Seignanx que son autorisation de « voyageur de commerce » délivrée à Combrée par le vicaire de la paroisse soit prolongée afin qu’il puisse traverser, outre le département des Landes, ceux des Pyrénées.

Nombreuses difficultés !

– Changer sur son passeport remis aux Vergnes « trente » en « quarante ».

– Obtenir le visa français et le visa espagnol.

Pour le second pas trop de mal mais pour le français, son insistance, son allure, sa blessure… finirent par le rendre suspect. Mieux valait changer de tactique, ne pas se servir du billet de passage déjà pris pour un bateau étranger en partance pour l’Angleterre, et reprendre la « Gazelle » jusqu’à Perpignan. Là, il obtint le visa français, prit son billet pour Madrid à la gare de Figueras.

Il arriva le dimanche à Madrid, se contenta de lire les menus des restaurants… Le lundi 14 juillet, dès l’ouverture de la banque, il changea les deux dollars remis avec le passeport, prit son billet pour Lisbonne. Là, les Anglais avaient tout organisé pour faciliter le transport de ceux qui voulaient gagner l’Angleterre. François Leclerc – tel est désormais le nom choisi par Philippe de Hauteclocque – arriva à Londres le 26 juillet, se rendit d’abord chez ses cousins Vanier, ambassadeur du Canada en France, puis chez le général de Gaulle qui, par l’ordre du jour n° 8 rend effective sa proposition au grade de commandant à compter du 31 juillet 1940. On sait que le général de Gaulle l’envoya à Monclar qui formait alors près de Londres un régiment de Légion étrangère ; Monclar ne voulut pas de ce cavalier et c’est ainsi que le général de Gaulle lui proposa de partir au Cameroun d’abord, puis au Tchad d’où partait la route qui devait le mener jusqu’à Berchtesgaden avec la 2e D.B.

X***

Extrait de la Revue de la France Libre, n° 156 bis, juin 1965.