Les origines des FNFL, par l’amiral Thierry d’Argenlieu

Les origines des FNFL, par l’amiral Thierry d’Argenlieu

Les origines des FNFL, par l’amiral Thierry d’Argenlieu

Développement initial

Dès la mi-juillet donc, l’on vit croître le nombre des volontaires. Les uns accoururent des ports anglais avant leur transfert dans les camps proches de Liverpool : Aintree, Arrow-Park, Haydock. Quelques autres avaient réussi à quitter la France, ainsi maints candidats au concours de l’École navale. Des pêcheurs arrivaient avec leurs barques et se fixaient en Cornouailles. De jeunes Bretons se présentaient aussi, justement fiers d’avoir tenté et accompli leurs évasions quasi-individuelles.

Sans délai, une base rudimentaire s’organisait à Liverpool dans les locaux de la British Legion. Son objectif était d’établir les indispensables liaisons entre le personnel maritime des camps et le siège des F.N.F.L. à Londres, Saint Stephen’s House d’abord, Carlton Garden, Westminster House ensuite.

La discipline des camps assez stricte au dedans, assez souple au dehors ne favorisait pas le ralliement. Le commandant local français, à quelques exceptions près, s’y opposait rigidement. Les autorités britanniques les favorisaient mais discrètement en vue de prévenir des désordres généralisés.

L’ardeur et le dévouement de l’équipe de la base de Liverpool furent magnifiques. J’évoque avec émotion la mémoire des sous-lieutenants Lahontaa, Millet, Maisonneuve, depuis, morts pour la France. Grâce à eux et à quelques autres les contacts furent pris. Les informations et renseignements franchirent les palissades. Nos volontaires, assistés, hébergés, acheminés vers l’Olympia à Londres, y vinrent grossir équipages, cadres, états-majors, puis recevoir après examen de leurs titres et aptitudes, des affectations à bord ou à terre. Dès la première heure, rappelons-le, beaucoup exprimèrent le vœu passionné de se battre corps à corps contre le Boche et ce fut l’origine du 1er régiment des fusiliers marins. Il fut confié au capitaine de corvette Détroyat, mort au champ d’honneur dès l’été 1941.

Les navires réarmés au début par les F.N.F.L. méritent d’être nommés. Le Courbet se mua en dépôt flottant sur rade de Portsmouth. Les Savorgnan de Brazza, Duboc, Dominé formèrent le premier groupe d’avisos. Le sous-marin Rubis rapidement et unanimement rallié n’interrompit jamais ses opérations de mouilleur de mines dans les eaux norvégiennes. Les sous-marins Minerve et Surcouf ne tardaient pas à suivre l’exemple. Le contre-torpilleur Triomphant bientôt remis aux F.N.F.L. allait ouvrir la phase la plus prestigieuse de sa carrière en battant tous les océans.

Les Forces navales françaises libres étaient lancées!

Obéissance et discipline

Nous rappelions plus haut que, sous la poussée des événements le ralliement à la France Libre tourna vite au problème de conscience.. Nous en fûmes témoins directs et attentifs chez les marins, alors de beaucoup plus nombreux en Angleterre.

De quoi s’agissait-il?

À presque tous les échelons de la hiérarchie, hors les «Free French» la consigne fut d’obéir au maréchal Pétain, en fait pour les forces maritimes à l’amiral Darlan et ses porte-parole. La mentalité qui avait dicté armistice et capitulation prétendit se poser hors de France même, comme règle suprême de conduite.

L’obéissance devint un absolu. Le procédé administrativement commode, masquait moralement un abus.

La tradition séculaire de l’occident a toujours tenu l’obéissance pour un moyen, non pour une fin. L’on n’obéit pas, pour obéir, mais dans un but.

Pourquoi l’obéissance dans les forces armées, sinon comme instrument de discipline et d’ordre? Ordre et discipline, pourquoi, sinon comme habituels et indispensables facteurs de victoire? C’est l’évidence. Aussi l’obéissance, dans chaque collectivité humaine digne de ce nom, a-t-elle des limites définies et imposées par le législateur. Dans ses formes les plus poussées et les plus exigeantes, respectueuses pourtant de la dignité des personnes, comme les promesses monastiques par exemple. L’obéissance ne se voue que dans la limite de règles et de constitutions.

Le premier ordre du jour, signé Muselier, rappelait opportunément la formule quasi rituelle par laquelle un équipage est invité à obéir à un chef au jour de sa prise de commandement : «Vous lui obéirez dans tout ce qu’il vous commandera pour le bien du service et le succès des armes de la France».

Le bien du service et le succès des armes de la France!

Certes, en des circonstances classiques, la présomption joue en faveur de l’autorité régulière. Cependant – et ce n’est point rêvasserie – il peut survenir d’exceptionnelles situations où l’obéissance cesse d’être universellement régie par les normes communes et banales mais judicieusement prescrites selon les exigences d’une régulation plus haute. C’est à l’intention du législateur et non à la lettre du règlement qu’il sied alors de se référer. C’est vertu de le faire.

Un fait bien connu des marins s’offre à l’esprit. Sans épuiser la matière, il éclaircit le raisonnement.

La victoire de Nelson à Copenhague s’est inscrite sous le signe d’une désobéissance formelle à la lettre des étamines de Parker.

Oui ou non, la fin de juin 1940 fut-elle une heure exceptionnelle du destin de la France?

Oui ou non «le bien du service et le succès des armes de la France» se pouvaient-ils concevoir alors autrement qu’en pliant l’échine devant le vainqueur du jour et devant les fauteurs d’un armistice à ce point étranger aux plus nobles traditions du pays?

L’histoire, au fil des siècles, avec les macchabées répond : oui.

La France, la grande France a répondu oui le 25 août 1944 dans Paris, libre enfin.

Proposée par l’amiral Muselier au chef des Français libres et de lui agréée, dès juillet 1940, pour être l’emblème distinctif des Forces navales renaissantes à la vie, la croix de Lorraine devint immensément plus qu’un signe distinctif d’unités combattantes. Elle devint par acclamation le symbole de la résistance d’un peuple.

Le symbole de son honneur, de son courage, de son espérance contre toute espérance, en bref de son invincible foi dans les vertus de la race et les destinées du pays.

Dix années ont passé!

Croix de Lorraine qui scella la victoire et le rétablissement de nos libres institutions, à toi, notre fierté!

Croix de Lorraine, joyau de notre patrimoine, devenue à jamais croix de la Libération, à toi, notre fidélité.

G. d’ARGENLIEU

1) Directeur du cabinet de M. Frossard, ex-ministre du Travail.

Extrait de la Revue de la France Libre, n° 29, juin 1950.