Le colonel Bourgeois

Le colonel Bourgeois

Le colonel Bourgeois

Compagnon de la Libération – officier de la Légion d’honneur

Le 3 septembre dans la soirée, le colonel Henri Bourgeois mourait au Val-de-Grâce. Il avait été évacué d’Indochine, par avion, quelques jours auparavant, épuisé par une maladie contractée sur les plateaux Moïs. Ainsi, après le capitaine Chareyre et le lieutenant Hiet, qu’il avait eu autrefois sous ses ordres, au B.M.4, après le médecin capitaine Guenon, après le lieutenant-colonel de Sairigné, l’Indochine fait une nouvelle victime parmi les « Free-French ». Nous voyons disparaître avec une peine immense ces camarades, avec qui nous avions vécu l’enivrant coude à coude des Forces françaises libres et qui étaient devenus, au cours de notre grande aventure, plus que des chefs ou des subordonnés : des amis que nous aimions. Mais si cruelle que soit à nos coeurs leur perte, nous pouvons cependant en tirer fierté. Ils meurent fidèles à leur vocation de soldat, fidèles à leur vie, les armes à la main ou terrassés par ce qu’ils n’ont pu vaincre : le climat et la maladie.

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Le colonel Bourgeois (RFL).
Toute la vie du colonel Bourgeois a été dominée par sa vocation de soldat colonial. Sorti de Saint-Cyr en 1920, à 20 ans, ses séjours outre-mer se succèdent à de très courts intervalles. Il fait ses premières armes au Tonkin, sur la frontière de Chine ; puis c’est le Maroc, la Syrie, l’A.O.F. Il sert, soit dans la troupe, soit dans des fonctions d’état-major ; il cumule plusieurs fois ses commandements militaires avec les fonctions d’administrateur. Son goût de l’activité l’incite à faire des stages dans l’aviation. En France, au Maroc, en Syrie, il exécute des vols d’entraînement et obtient le brevet d’observateur.
À la déclaration de guerre, il est au Tchad, capitaine déjà ancien, chevalier de la Légion d’honneur et décoré de la croix de guerre des T.O.E. gagnée au Maroc.
L’appel du général de Gaulle le trouve prêt. Soldat dans l’âme, il ne peut admettre la défaite. Pour lui, malgré une séparation familiale déjà longue, pas d’hésitation ni de cas de conscience : il sait que le devoir est de continuer la lutte, bien que les chances de vaincre apparaissent lointaines et précaires. Au Gabon, d’abord, où chef de bataillon, il reçoit le commandement peut-être le plus délicat du moment, car il s’agit de réorganiser les troupes, gravement touchées matériellement et moralement par les événements de septembre à novembre 1940 ; on voit apparaître sa silhouette massive de grand Breton fortement charpenté. Il n’est pas d’abord facile. Bourru, rarement aimable, souvent taciturne, fréquemment sujet à de violentes colères, il faut bien le connaître pour voir se dégager, sous cette rude écorce, un cœur d’or et une bienveillance foncière. On saura plus tard seulement, car il n’aime pas extérioriser ses peines, pourquoi ses yeux bleus se voilaient souvent. C’est que par des nouvelles fragmentaires, il savait que sa famille, alors en Algérie, désapprouvait son passage aux Forces françaises libres. Pour lui, que la vie coloniale avait si fréquemment séparé de sa femme et de ses fils, c’était un crève-cœur immense de se savoir en désaccord avec les siens, sans pouvoir les convaincre de la nécessité de son geste.
Il reste un peu moins d’un an pour mener à bien sa tâche au Gabon. Il demande alors à rejoindre une unité combattante et, après un très court séjour à Tripoli de Syrie, il part comme adjoint du B.M.2 à Bir-Hakeim. Là, son extraordinaire courage lui vaut une magnifique citation à l’ordre de l’armée. Il prend ensuite le commandement du B.M.4 retour d’Éthiopie et, bien que promu lieutenant-colonel, demande à conserver son commandement. À la tête de son bataillon, il enlève, en Tunisie, la cote 431, où il fait des milliers de prisonniers et est blessé. Cette action d’éclat lui vaut la rosette d’officier de la Légion d’honneur. L’Afrique du Nord étant libérée, il part à Alger pour s’occuper de ses affaires de famille. Il revient, mais pas seul. Il amène avec lui son fils aîné, qu’il fait engager au B.M.5, bataillon de son vieil ami, le lieutenant-colonel Gardet. Lui repart à Alger dans un poste d’état-major.
Pendant longtemps on n’entend plus parler de lui. Pendant la campagne de France, le bruit de sa mort courut à la 1re D.F.L. Et puis un beau jour on le voit réapparaître, souriant, un peu maigri, son éternelle pipe à la bouche. Il avait été parachuté dès juin 1944 dans les Vosges, pour y organiser et regrouper le maquis. Il avait vécu près de six mois dans la clandestinité, accomplissant dans des conditions extrêmement dures un travail considérable. Son ambition était maintenant de continuer la guerre, au grand jour, au milieu de ses camarades des Forces françaises libres. Il aura la joie de finir la campagne avec eux comme commandant des arrières de la 1re D.F.L., colonel et compagnon de la Libération.
Si la guerre était terminée et si lui-même à la tête de la subdivision de Rouen avait déjà commencé à travailler à la réorganisation de l’armée, on se battait encore en Indochine. C’est donc là que le colonel Bourgeois voulu aller. Il partit au début de 1947 et servit d’abord au centre Annam, Tourane et à Hué. Puis on lui donna le commandement des plateaux Moïs. Là, sur un territoire grand comme un sixième de la France, il eut à faire face, dans un climat épuisant, avec des troupes insuffisamment nombreuses, à la guérilla sans trêve des bandes Viêt-minh. En soldat habitué à se vaincre, il ne fit pas assez attention à sa santé. Méprisant le mal, il ne consentit à se faire évacuer que le jour où on lui donna un successeur. Il était trop tard. Même une évacuation rapide par avion ne put le sauver.
Avant de mourir, il avait fait demander aux camarades F.F.L. présents à Paris de venir le voir, car son affection pour eux était immense. Malheureusement son appel parvint trop tard. Aucun ne put le voir vivant. Mais ils se retrouvèrent autour de son cercueil, unis à sa famille par la même douleur, conscients de perdre dans le colonel Bourgeois un soldat de grande valeur et un ami très sûr.
Extrait de la Revue de la France Libre, n° 13, décembre 1948.