Les artilleurs en Jock Column

Les artilleurs en Jock Column

Les artilleurs en Jock Column

Par le colonel Quirot

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Des soldats font l’inventaire d’un canon tracté qui vient d’être pris (Photo Imperial War Museum).

Le 26 mai, nous étions en « Jock Column » depuis environ une semaine, Emberger et moi, avec des éléments du B.M.2 si mes souvenirs sont exacts. Nordmann, un peu déçu, était resté à Bir-Hakeim avec la 3e section (1).

Depuis quelque temps, les Italiens avaient occupé Rotonda Signali, carrefour de pistes entouré de dunes ; tout indiquait que c’était pour l’utiliser comme base de départ pour une offensive que les renseignements donnaient comme imminente, et la mission de la Jock Column était de surveiller Rotonda Signali. Aussi, au lieu de partir chacun de notre côté avec une section, nous avions mis les quatre pièces en batterie derrière une crête, sur laquelle Emberger avait installé un observatoire qui lui donnait de bonnes vues sur le débouché du Trigh Capuzzo. Pour ma part, j’assurais la liaison avec le commandant d’un escadron d’automitrailleuses sud-africaines quelques kilomètres au nord.
Le 25 en fin d’après-midi, les artilleurs ennemis nous avaient pris à partie. Leur première salve longue, était tombée près des véhicules, 200 ou 300 mètres derrière la batterie. Un chauffeur sénégalais, Bailo Sane, qui se trouvait sur la position, s’était précipité, avant qu’on puisse le retenir, en criant « mon camion » et avait été tué par la deuxième salve, plus courte que la précédente.
Le 26 en fin de matinée, Emberger m’avait demandé de rejoindre la batterie. Il m’expliqua que l’activité ennemie, révélée surtout par les colonnes de sable soulevées par les véhicules derrière les dunes, lui paraissait anormale. Il avait fait charger les camions, rapprocher les tracteurs et prescrit qu’au signal donné, tout le monde devait « gicler » le plus rapidement possible. Le signal était aussi simple qu’efficace : deux coups à cadence rapide tirés par la première pièce déjà chargée.
Nous mangeâmes rapidement une boîte de singe et je décidai de profiter de cette pause inattendue pour me raser. Je terminais cette délicate opération à l’intérieur du camion P.C. lorsque les deux coups de canon éclatèrent. Le temps de sauter à terre, une nuée de véhicules descendait des dunes qui bordaient Rotonda Signali. Les pièces tirèrent le maximum d’obus pendant que les tracteurs arrivaient, mais il semblait que rien ne pourrait arrêter cette véritable « marée ». Dès les pièces accrochées, nous filâmes vers l’est sans demander notre reste. Nous fûmes bientôt rejoints par les marsouins, qui étaient un peu à notre sud. Heureusement, le terrain était bon et les véhicules pouvaient rouler de part et d’autre de la piste sur une grande largeur. Les 75 portés du B.M.2 pouvaient tirer depuis leurs camions et réussirent quelques cartons, mais ils épuisèrent rapidement leurs munitions. L’un d’eux nous « emprunta » une caisse d’obus, que je lui fis donner sans hésitation.
Au bout de quelque temps nous eûmes l’impression que nous « semions » nos poursuivants. Je fis mettre deux pièces en batterie, demandant à Emberger d’installer les deux autres quelques kilomètres en arrière pour couvrir notre décrochage, – mais personne n’eut l’occasion de tirer. Nous sûmes plus tard que l’adversaire se dirigeait vers le sud-est.
À la tombée de la nuit, nous rentrâmes à Bir-Hakeim.
 
(1) Roger Nordmann, consulté lors de la réimpression de la Revue, déclare qu’il a bien participé à la « Jock Column » en question. N.D.L.R.
Extrait de la Revue de la France Libre, n° 168, juin 1967.