Les Bretons de la France Libre

Les Bretons de la France Libre

Les Bretons de la France Libre

L’histoire des Bretons de la France Libre fait partie intégrante des origines de la France Libre.
Le 18-Juin 1940, le général de Gaulle en appelle de Londres à tous les Français : « Notre patrie est en péril de mort. Luttons tous pour la sauver. Vive la France ».
Et les ondes se taisent sur cette poignante invocation : elle met fin à l’acceptation, à la résignation, à la désespérance. Le Breton, fier de l’Hermine de son blason, fidèle à sa devise ancestrale, ne transigeant pas avec son devoir, méprisant la mort scrute l’horizon d’où lui vient cet appel.
Le 19 juin 1940, à 15 heures, le bateau Oiseau de la tempête piloté par ses patrons Corre et Hervé, quitte le Primel, port de la commune de Plougasnou, ayant à son bord six volontaires. Quatre autres ayant manqué le départ embarquent sur un chalutier belge en partance pour l’Angleterre. De ces dix premiers volontaires six ne sont pas revenus. Le patron Corre a fait toute la guerre dans les F.N.F.L., l’un de ses fils à glorieusement disparu avec le Surcouf.
Le lendemain, 20 juin, la barque Le Primel, patron Tanguy, emporte à Guernesey 80 passagers : Il y fait un deuxième voyage le 25, avec un effectif à peu près équivalent ; mais, le 30 juin il mettra le cap directement sur Plymouth avec un nouveau lot de voyageurs.
De divers points des côtes bretonnes, les barques décollent à destination de l’Angleterre : ce sont les îliens qui, sans tergiverser, quittent Sein et leur foyer ; de Douarnenez, le 21 juin, le Don Michel Noblet, patron Loaguen, part de la cale d’Ouessant ayant à son bord, parmi ses passagers, une jeune Bretonne, Yvonne Bedu. Puis c’est le langoustier La Marie-Louise, de Camaret, qui rejoint l’Angleterre avec tout son équipage. Le mouvement déclenché s’accélère : de maintes autres criques de nos côtes tourmentées les départs se succèdent par cette route périlleuse semée de dangers et d’embûches, que contrôle déjà l’ennemi, qui aboutit aux falaises de la côte anglaise. Nombre de jeunes gens de l’intérieur, parmi eux des adolescents de 14, 15, 16 ans, les uns à bicyclette, le plus grand nombre à pied, se dissimulant pour éviter d’être arrêtés, battent les routes et sentiers de la Bretagne en direction de ses côtes surveillées par l’ennemi. Combien d’entre eux disparurent au cours de ces traversées hasardeuses avant d’atteindre l’Angleterre ? Nul ne peut le préciser : la mer est leur linceul. D’autres marins – Bretons pour la plupart – surpris en cours de navigation par l’armistice, en divers points du globe, appareillent délibérément pour tel port de la Grande-Bretagne.
Les Bretons débarquaient sans ressources en Angleterre, parfois dans le plus complet dénuement quand ils avaient essuyé du gros temps. La générosité spontanée de nos amis anglais s’efforçait de les secourir. Aussi dès le mois d’août 1940 se constituait à Londres un groupement de Bretons, « Fidel Armor » présidé par Mme Thébault Montgermont. Sa mission n’était non pas seulement d’accueillir nos compatriotes, mais encore de leur prodiguer immédiatement une aide morale et matérielle.
Le développement accéléré de ses interventions, imposé par des arrivées de plus en plus fréquentes, détermina sa complète transformation : « Fidel Armor » passa sa succession à l’association « Sao Breiz » qui fit appel non pas seulement aux Bretons présents en Grande-Bretagne, mais à toutes les colonies bretonnes dispersées dans le monde créant ainsi plus qu’une nécessaire solidarité, mais une responsabilité commune à l’égard de ces fils de Bretagne qui, ayant tout quitté pour reprendre les armes et sauver la patrie, ainsi que les y conviait le général de Gaulle, demandaient, si les hasards de la guerre leur étaient funestes, que parents, veuves, orphelins fussent secourus, aidés, soutenus.
Le foyer de Londres fonctionna sans interruption, accueillant les Bretons arrivant directement de Bretagne et aussi les marins, aviateurs, soldats, pêcheurs que les mutations ou les circonstances conduisaient en Grande-Bretagne. Nos réunions mensuelles furent pour tous un précieux réconfort.
Les ressources de l’association furent multiples : cotisations et dons de ses membres, vente d’insignes divers, bagues, broches, portant gravées ou sculptées l’Hermine et la croix de Lorraine, séances de chansons, de danses, de musique bretonnes, avec l’infinie variété de notre folklore.
Mais, c’est dans les territoires libres d’outre-mer que cette solidarité s’affirma avec ampleur. La colonie bretonne de Brazzaville fit parvenir à « Sao Breiz » £ 4.393-4-0 qu’elle s’était patiemment procurées par des fêtes de charité successives ; celle de Douala avait pu réunir £ 846-0-0 dont elle crédita l’association. La société « Le Biniou » de Madagascar fit don à « Sao Breiz » du produit de ses ventes et de ses fêtes, soit : £ 900-0-0 ; de la Cold Coast, l’enthousiasme et la persévérance de M. Leiterer lui permirent de nous adresser en plusieurs virements £ 332-17-9. Des dons en espèces et en nature émanaient de couvents de religieuses établis en Angleterre (Frome, par l’entreprise de soeur Corentin, £ 150-0-0) ; de Beyrouth les efforts conjugués, infatigables, du colonel et de Mme Carbonnier, de sœur Rouquette de l’École française – Immaculée Conception – d’Acrafié assurèrent les expéditions fréquentes de vêtements, layettes, etc. : « nous sommes si heureuses de travailler un peu pour notre chère France si éprouvée », écrivaient les enfants d’Acrafié. La R. Mother Joseph, de San Fransisco, confiait au commandant Salatin des caisses d’effets divers et des dollars qu’il remit à l’association, à son retour en Angleterre. Il faut rappeler les dons émanant des bateaux La Désirade, le Fort de Troyon, les offrandes des colonies bretonnes de l’Afrique du Sud destinées à la population de Saint-Malo, de Saint-Pierre-et-Miquelon, du Canada.
Dons et versements arrivaient grevés des mêmes recommandations, des mêmes obligations : l’association « Sao Breiz » devait les utiliser pour aider d’abord les Bretons, engagés volontaires F.F.L., pour secourir ensuite, à la victoire, les veuves et les orphelins, prendre en charge les enfants et les adolescents qui devront, sous la responsabilité des membres du comité directeur, être orientés vers un métier, une profession, en mémoire du sacrifice du père, tué ou disparu et que celui-ci leur aurait procurés, s’il avait retrouvé sa famille au retour des combats de la France Libre.
L’amitié agissante de nos amis de Grande-Bretagne vint, avec ses collectes propres, ajouter de nouvelles ressources à toutes celles des soutiens de « Sao Breiz ». Le groupe des « Amis de la Bretagne – Friends of Britanny » créé par le Cornish Gorsedd et placé sous la présidence d’honneur d’un viel ami de la Bretagne, le chanoine G. H. Doble, mettait à la disposition de l’association sa complète assistance, non pas seulement pour aider les Bretons présents en Grande-Bretagne mais aussi pour secourir les veuves et les orphelins de la guerre et de l’occupation.
Aucun de nous n’a oublié la grandiose et sympathique manifestation de Penzance, le 5 septembre 1942, du Cornish Breton Committee, présidé par l’honorable juge Scobel-Armstrong et celle non moins imposante des fêtes Celtiques du French Coordinating Committee, en Écosse, sous la présidence effective du très honorable Lord Inverclyde. À l’occasion de ces réceptions où la cordialité rivalisait avec la magnificence, Mrs. Ashley-Rowe écrivait : « La Bretagne a peut-être gardé son individualité d’une façon plus marquée que la Cornouaille, mais le Breton est avant tout un bon Français : Breton chez lui, Français à l’étranger ». Patriotisme, fier et religieux sentiment de l’honneur sont en effet la marque de notre race : « Potius mori quam foedari ». Ils se retrouvent chez ces Bretons du 137e d’infanterie qui, à Teteghem, en 1940, se firent tuer sur place, sans esprit de retraite, dignes émules de leurs aînés de la tranchée des baïonnettes.
Afin de garder le contact avec les colonies bretonnes dispersées outre-mer, de tenir tous les Bretons F.F.L. au courant des événements, des mutations que suivait à Londres l’association, un bulletin mensuel de liaison avait été créé organe des volontaires bretons de la France Libre : son titre « Sao Breiz », ses rédacteurs, tous les membres de l’association, étaient Bretons. Faute de ressources, ce bulletin mensuel disparut quelques mois après la libération du territoire, avec son dernier numéro : avril 1946. Peut-être n’avait-il plus motif de se survivre, mais les colonies bretonnes outre-mer nous firent le reproche de le leur avoir supprimé.
Ce tribut payé aux origines des Bretons de la France Libre nous ramène au destin de tous ces volontaires qui, suivant leurs aptitudes, furent répartis à Carlton Garden entre la marine, l’armée, l’aviation de la France Libre. Dès la fin de juin 1940, le général de Gaulle confiait au vice-amiral Muselier qui venait d’arriver à Londres la mission d’organiser la marine de la France Libre. Il fallut en créer, un à un, tous les éléments, armer ces unités, les grouper. Pour signe de ralliement, ils arboraient la croix de Lorraine brodée sur le fanion flottant en proue. Les noms de ces navires sont gravés dans la mémoire de leurs équipages. La légendaire division des chasseurs coula plus d’un sous-marin ennemi. Mais les F.N.F.L. connurent des pertes douloureuses : des Bretons comptaient parmi les équipages du Chasseur 8 Rennes, de La Combattante, du Narval, de l’Alysse, la Perle, la Casamance, la Ville de Tamatave, le Tunisien, le Gravelines, le P.L.M. 3, la Junon. Le croiseur sous-marin Surcouf, disparaissant tragiquement le 18 février 1942 avec son commandant Blaison, entraînait par le fond, à lui seul, 12 marins bretons.
Dans les Forces terrestres de la France Libre, les volontaires bretons étaient répartis dans toutes les unités : 1er Bataillon de Fusiliers Marins commandos, fusiliers marins, bataillon d’infanterie de marine, bataillons de marche. Nombre d’entre eux arrivèrent à Brazzaville, dès septembre 1940, grossissant l’effectif de ces Français volontaires, provenant de toutes les parties du monde. Ils étaient de tous âges, de cet adolescent de 16 ans qui, à mon reproche d’avoir si jeune quitté ses parents, me fit cette réponse péremptoire : « Mais les Allemands sont chez moi », au margis de réserve Le Ray, parti de Douarnenez. Plusieurs furent de la première promotion d’aspirants de l’École militaire Colonna d’Ornano, créée à Brazzaville. D’autres plus impatients demandèrent à rejoindre les bataillons de marche qui, les uns après les autres étaient dirigés sur les T.O.E. De ceux-ci, les uns partirent de Fort-Lamy avec le général Leclerc, pour la conquête de Koufra, du Fezzan, la traversée du désert, l’entrée à Tripoli, le 24 janvier 1943, avec le groupement Dio, la bataille de Ksar Rhilane, la formation de la 2e D.B., les grandes étapes de la victoire, enfin, de la Normandie à Berchtesgaden, en libérant Paris et Strasbourg. Les autres furent de la 1re D.F.L., avec elle ils ont écrit les pages de Massaouah, Cheren, Tobrouck, Bir-Hakeim. Une note du colonel de Kersauson de Pennendreff qui, en sa qualité de chef d’escadron commandait le G.R.2 du 1er R.M.S.M. évoque la formation de la 1re colonne volante, quand, le 12 juillet 1942 les Bretons retrouvèrent les chars au camp de Sidi Ben Youssef.
« Du camp nous découvrions la vallée du Nil, il fallait pour s’y rendre passer devant le Sphinx. Au Sud, les pyramides de Cheops dominaient le paysage désertique, au Nord, celle de Sakhara. Là, nous rejoignirent d’autres Bretons, les légionnaires du lieutenant Coutanceau de Brest, l’atelier du lieutenant Colin de Saint-Malo, les jumelages de 13-2 du brigadier Border de Morlaix ».
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« Le 21 juillet, anniversaire de la bataille des pyramides, le 26, fête de Sainte-Anne et le sermon du bon père Hirleman dans la baraque du mess. Il faisait chaud, dehors c’était l’Égypte, ses pyramides, sa poussière et ses mouches. Mais pour chacun de nous une vision intérieure, un désir intense vers le pays de nos rêves, au ciel de nuages, de vent et de couleur, ses landes et ses côtes… Pour l’atteindre, il fallait partir et le travail de mise au point des moteurs, des radios, des équipages continua désespérant parfois ».
« Enfin, le 8 août défilait devant le général de Gaulle accompagné des généraux Catroux et Koenig, la première formation blindée française reparaissant sur les champs de bataille, après 1940. En tête, l’automitrailleuse Yann An Tan, conducteur Le Roux, de Brest, portant l’insigne du 1er R.M.S.M., mais aussi l’Hermine et la devise Ar Galon Vat. Le général de Gaulle, dans sa harangue, sut créer cette résonance profonde à laquelle je crois les Bretons sont particulièrement sensibles ».
« Ensuite, le 15 août ce fut le départ de The L.F.F.F.F. Column. Jusqu’au vehicule-breton10 septembre, en réserve et garde des terrains d’aviation – ensuite rattaché à la 7e division blindée, les Rats du désert – et le 23 octobre, El-Alamein. Si la contre-attaque blindée du Kiel Crup ne permettait pas à la 13e demi-brigade de se maintenir sur l’Himeinat, du moins l’action ennemie était-elle arrêtée dans la plaine. Il y laissait cinq chars et deux A.M., un char 75 faisait demi-tour devant le canon de 25 du jeune Stephen, de Quimper, 18 ans, benjamin de la Colonne ».
« Au départ si difficile, bien des Bretons étaient là ».
Les Forces aériennes françaises libres comptaient des volontaires bretons parmi leurs équipages de bombardiers, les parachutistes, les pilotes de chasse.
En novembre 1943, une filiale de l’association « Sao Breiz » s’installait à Alger, pour étayer le foyer du marin. Sous l’impulsion dit docteur Vour’ch, élu président du comité d’action, elle eut une utile influence.
Au jour de la libération, alors que l’ennemi avait à peine été chassé de la Bretagne, un camion conduit par Le Breton transportait à travers les campagnes et les villes, vêtements, chaussures, layettes, vivres, lait, stockés en Angleterre ; des Bretonnes volontaires en assuraient la distribution aux veuves et aux enfants. Quatre autres répartitions analogues furent faites en 1946.
Le 28 juillet 1945, l’association « Sao Breiz » établissait son siège central à Morlaix ; elle élisait un nouveau comité directeur qui prenait alors la responsabilité de tenir les engagements pris à l’égard des membres de l’association en Grande-Bretagne et dans les territoires d’outre-mer. Par sa décision et sous son contrôle, des secours furent alloués à toutes les veuves qui en faisaient la demande, en conclusion des enquêtes faites sur leur situation respective. Des bourses d’études furent données aux orphelins et orphelines. Des prêts d’honneur furent consentis aux F.F.L., trois de ces prêts sur 36 furent intégralement remboursés à l’association. Le mauvais vouloir de ces débiteurs, qui frustrèrent des veuves et des orphelins de secours importants, détermina le comité à supprimer ces prêts.
À l’heure actuelle, le C.C.P. de l’association qu’a remarquablement géré Ernest Sibiril est à peu près épuisé. Il a tenu ses engagements, rempli ses obligations, allégé même des misères collectives, ainsi qu’il l’a fait sous forme de don à la ville de Brest, le 26 août 1947, après l’explosion sur rade d’un navire chargé de nitrates.
En terminant cette rapide histoire des Bretons de la France Libre, l’association « Sao Breiz » se doit de rendre hommage à trois de ses membres fondateurs décédés. Le médecin-colonel Gaston Bizien mourait subitement à l’hôpital de Brazzaville, le 2 décembre 1945, des suites d’un accident d’avion dont il avait été victime. Dirigeant en A.E.F. la filiale de « Sao Breiz », il n’avait cessé de se dépenser pour recueillir des dons de toute sorte qu’il faisait parvenir à Londres à l’association.
Monseigneur Le Mailloux, vicaire apostolique du Sud Cameroun succombait à Douala, le 17 décembre 1945. Aidé de Nedellec, en dépit des lourdes charges de ses oeuvres, l’oeuvre sacerdotale d’Edéa, l’oeuvre des Frères indigènes, l’œuvre des servantes de Marie, il excellait à obtenir des dons en nature et en argent, destinés – il ne manquait jamais de le rappeler – à aider, à secourir les Bretons.
Jean Cueff de la marine marchande, décédé à l’hôpital Saint-Antoine à Paris, le 16 mars 1946. Passé en Angleterre, il s’était engagé le 2 juillet 1940 dans les F.N.F.L. Membre fondateur de « Fidel Armor » puis de « Sao Breiz », Cueff n’était jamais rentré d’un de ses voyages ou de ses campagnes sans rapporter à l’association des dons : vivres, vêtements, lait, argent. À Londres il était un merveilleux animateur de nos réunions et insufflait sa foi à ceux qu’une fatigue momentanée pouvait déprimer, « Sao Breiz » refera la Bretagne et sauvera la France ». Cette phrase lui était familière : il est équitable de la rappeler, en terminant cette histoire.

Adolphe Sicé
Extrait de la Revue de la France Libre, n° 89, juin 1956.