Comment ils vinrent de France, par Claude Hettier de Boislambert

Comment ils vinrent de France, par Claude Hettier de Boislambert

Comment ils vinrent de France, par Claude Hettier de Boislambert

L’ennemi a attaqué le 10 mai, envahissant la Belgique. Ses éléments blindés ont gagné la mer, isolant les Forces alliées qui se trouvent encerclées en Belgique. Un effort désespéré va être tenté pour pousser une pointe en direction de Saint-Pol, ouvrant un couloir qui permette aux forces cernées de se replier vers le Sud en territoire français pour effectuer leur regroupement.

Officier de liaison français près de la First Armoured Division je vais me trouver mêlé à cette opération passionnante.

Les officiers généraux britanniques sont convoqués à Oisemont pour une conférence avec les généraux français, conférence au cours de laquelle sera établi le plan de bataille. Le général Evans, commandant la division, et ses trois brigadiers, Morgan, Mc Creary et Crocker sont là. Je les accompagne comme officier de liaison et comme interprète. La séance va être présidée par un jeune général français que je n’ai jamais vu, et qui, en tant que commandant de la 4e division cuirassée française, va prendre la direction de l’opération.

Le général de Gaulle arrive. Il est pressé. Il est même un peu en retard et n’a pas dû avoir beaucoup de temps à perdre pendant les derniers jours de combat de sa division puisqu’il porte encore sa veste de cuir sur laquelle sont cousus les galons de colonel qu’il n’a pas eu le temps de changer. Son autorité s’affirme immédiatement et j’ai l’impression que les généraux anglais y sont sensibles. Son plan de bataille est clair, on sent qu’il a été préparé avec audace et précision. Il est accepté sans discussion ni tergiversation.

Quelques heures après, l’attaque française et anglaise se déclenche. Elle est dirigée vers la Somme que l’on tentera de franchir et en particulier sur l’axe du village de Huppy et du Mont de Gaubert.

On en a, hélas, perdu l’habitude ; l’attaque obtient un succès très grand et, malgré de lourdes pertes, une avance considérable est réalisée. Accompagnant le général Mc Creary, nous allons rejoindre le général de Gaulle qui suit les opérations en un point très exposé, sur une crête où pleuvent les obus. Nous avons l’impression que notre chef est tellement absorbé par le sort de la bataille, tellement désireux de suivre l’évolution pour donner de nouveaux ordres s’il est besoin, et surtout pour ne pas laisser faiblir un seul instant le mordant de l’attaque, qu’il n’entend ni les sifflements, ni les éclatements proches. Tout va bien et le général Mc Creary me demande de féliciter le général de Gaulle. Il emploie les termes de “première victoire alliée de la guerre”. C’est hélas ! vrai. Cela ne le sera pas longtemps.

En effet, l’ennemi réagira bientôt brutalement, ce sera le déferlement des Stuka, la contre-attaque et la reprise des opérations de retraite nécessaires, car nos unités se trouvent en pointe et totalement isolées. La 1re division blindée britannique retraitera bientôt sur la Seine, en partie vers Cherbourg et en partie vers Brest. C’est de là que, le 17 juin, après un dernier baroud d’honneur, je m’embarquerai vers l’Angleterre où les généraux anglais m’ont promis que la lutte continuerait.

Le lendemain 18, c’est dans un train qui roule vers Londres qu’une vielle dame me tend un journal sur lequel paraît un premier appel d’un général français, c’est le premier ralliement du général de Gaulle, que je vais m’efforcer de rejoindre à Londres pour obtenir des ordres.

Il n’est pas particulièrement facile de retrouver le général dans Londres. L’ambassade est muette et l’on ignore jusqu’à son existence ! La mission militaire française a bien notion de son existence, mais refuse son adresse, et plusieurs officiers français me dissuadent d’aller le retrouver. Cet homme qui cherche à rallier des Français pour continuer la lutte passe pour un illuminé. La guerre n’est-elle pas terminée puisque la France est battue !

Finalement, je devrai son adresse à un modeste employé, qui me la donne d’ailleurs en se cachant, et je m’en vais poursuivi par les imprécations d’officiers, peut-être courageux à d’autres moments, mais qui ne songent pour l’instant qu’à voir les autres mettre bas des armes dont eux-mêmes ne se sont d’ailleurs jusqu’ici pas servi.

J’arrive au petit appartement qui a été mis à la disposition du général de Gaulle au-dessus de Hyde Park. Un petit ascenseur, une porte, je sonne : une grande jeune fille brune ouvre, je me présente “Élisabeth de Miribel“. “Vous désirez voir le général de Gaulle, venez”.

Il n’y a près du général que Geoffroy de Courcel, son officier d’ordonnance. Le général me reconnaît aussitôt, me demande ce que je viens faire ; la réponse est évidente. Le général m’interroge. Il paraît heureux de savoir que sont arrivés de France, en même temps que moi un certain nombre d’officiers et de sous-officiers des corps de liaison.

Il me donne instruction d’aller rallier et rechercher ceux qui pense comme lui, que la lutte doit continuer, et qui veulent faire leur devoir. Il pense aussitôt au travail de ralliement, de reconstruction d’une armée française, de regroupement d’un élément français qui devra, à travers toute la guerre et quoi qu’il arrive, rester fidèle à sa tâche de combat aux côtés des Alliés jusqu’à la libération totale du territoire et à la victoire.

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Londres le 14 juillet 1940 (RFL).

Après ce que je viens de voir, ce que je viens d’entendre, ce qu’il m’a été donné de sentir, les manifestations constructives de cette volonté ferme, insufflent étonnamment, une énergie et un désir de servir qui marqueront l’action au combat de tous les soldats de la France Libre.

Dans les jours qui suivirent, ce fut l’installation dans de modestes bureaux de St-Stephens House. Installation bien modeste que ces premiers bureaux de l’état-major français ! Mais, quel défilé ! Dans ces bureaux qui donnent sur la Tamise : celui de Courcel d’abord, puis celui du général qui nous servira pendant longtemps de salle de conférences et de travail, le mien enfin, dans les plus petits bureaux qui donnent sur les cours, celui de Julitte, plus tard celui de Dewavrin, de Tissier, de Granville et de leurs compagnons rentrés de l’expédition de Norvège, que de gens de bonne volonté viendront défiler !

Les uns apportent leur concours physique et viennent s’engager, d’autres des dons destinés à subvenir aux besoins de la petite armée renaissante.

Tous les Français chassés de leur patrie par la défaite temporaire viennent, suivant leurs moyens, répondre “présent” et aider.

À côté d’offrandes substantielles, il y en a d’inutiles, il y en a aussi de bien modestes. Ce ne sont pas les moins émouvantes et elles nous servent, en tous cas, à nous rendre bien vite compte que nous sommes compris, approuvés bien vite plus nombreux que l’on ne pourrait le croire.

Quand on songe à ces journées épiques de fin juin 1940, à l’annonce de la signature de l’armistice, à la haine soulevée contre nous par ceux qui paraissaient n’avoir qu’une préoccupation : trahir, on se demande quels miracles d’énergie il a fallu pour regrouper, contre vents et marées, les forces qui, sous les ordres des Leclerc, des Kœnig, des Larminat, des Magrin-Vernerey, des Auboyneau, des Thierry d’Argenlieu, des Valin ont maintenu les étendards français partout dans la lutte, pendant cinq ans, sans un jour de défaillance, donnant un écho à l’action intérieure de la résistance française qui devait bientôt surgir.

Extrait de la Revue de la France Libre, n° 29, juin 1950.