D-Day vécu par un pilote du groupe « Alsace »

D-Day vécu par un pilote du groupe « Alsace »

D-Day vécu par un pilote du groupe « Alsace »

Le jour de tous les dangers
Par Jacques Davies

Depuis quelque temps il devenait évident que c’était pour bientôt : bien sûr, il y avait la rumeur publique, mais, plus concrètement, les groupes de chasse regroupés au sein de la 20 TAF (Tactical Air Force, ce qui en disait long) se voyaient hébergés sous la tente, ceci devait nous endurcir et nous préparer à une vie de nomade à travers le nord de la France.
À vrai dire les « Nissan huts » et autres constructions légères de temps de guerre n’offraient déjà pas un luxe de palace, mais nous acceptions ce retour aux joies du scoutisme avec une grande bonne volonté. Dans le même ordre d’idées nous changions souvent de terrain, ce qui conduisait à un ballet indescriptible des Wings (escadrilles) sur les petits terrains de fortune de la côte sud de l’Angleterre.
Enfin vint le jour où les fameuses bandes blanches et noires furent peintes, souvent assez maladroitement, sur nos Spitfire avec interdiction de survoler les territoires occupés par l’ennemi.
Puis le 5 juin, briefing : le débarquement serait le lendemain avec une explication assez complète du plan d’attaque. Je trouve d’abord que cette preuve de confiance de la part de l’état-major allié dans ses hommes était très flatteuse, mais également étonnant qu’avec autant de personnes averties de ce plan, l’ennemi n’eu eut pas connaissance ; il est vrai que nous étions consignés sur les terrains, mais néanmoins cela m’a toujours frappé.
Bien évidemment, grande excitation à cette nouvelle, de petits groupes se formant pour commenter et épiloguer avec un optimisme à toute épreuve !
Voilà donc le grand jour arrivé : D-Day – le jour de tous les espoirs, le jour de tous les dangers.
Pour nous, réveil en pleine nuit, « breakfast » hâtif, décollage de nuit et cap au Sud.
Là, l’abasourdissement ! Sur toute la largeur de la Manche, sur des files interminables de l’est à l’ouest et du nord au sud, des bateaux, des gros, des moyens, des petits, des bateaux par centaines, des bateaux par milliers, une vue inoubliable. Certes nous n’étions pas là pour contempler le spectacle, mais nous étions aux premières loges, vue imprenable sur la mer et de plus avec le sentiment de participer à un événement historique, à un tournant de la guerre, à un enjeu aussi marquant en son genre que Marathon, Salamine ou Actium.
Le jour se levait doucement. Sur la côte française on voyait des explosions des obus de marine et déjà les épaves des navires alliés – impressionnants, mais c’étaient souvent de vieux rafiots échoués là pour servir de brise-lames.
Tout aussi impressionnant : les planeurs dans les champs bordant l’Orne surtout à l’est. Les planeurs Horsa parfois réellement cassés, parfois emboutis les uns dans les autres, mais toujours coupés à l’arrière du fuselage (j’appris seulement plus tard que ceci était normal pour débarquer plus facilement) constituaient pour nous un spectacle très émouvant et j’étais plein d’admiration pour le courage de ces hommes.
Nous patrouillions de long en large au-dessus du secteur britannique avec des niveaux échelonnés de 5 en 5000 pieds pour les différents groupes.
Après ce temps de patrouille en couverture du débarquement terminé et la relève assurée, nous étions autorisés à attaquer au sol tout ce qui pouvait paraître intéressant, puis retour à la base. Quatre missions ce jour là, ce qui le rendit d’autant plus long !
Voyant d’anciens cuirassés tirer sur des positions allemandes à l’intérieur des terres, il m’est arrivé de me demander si leurs obus passaient à notre altitude, auquel cas nous étions pile sur leur trajectoire !
Notre groupe n’a pas rencontré la chasse allemande, mais un peu plus tard, Michel Boudier a été descendu par un P.47 américain dont les capacités du pilote en « Aircraft récognition » devaient être assez rudimentaires.
Bref pour nous, les pilotes de chasse, ayant participé au débarquement du 6 juin 1944, il y eut par dessus tout l’exaltation de savoir enfin commencée la libération de la France avec la satisfaction d’en être un acteur et la stupeur devant l’immensité des moyens mis en œuvre particulièrement du côté naval.
Extrait de la Revue de la France Libre, n° 287, 3e trimestre 1994.