Qui ose gagne

Qui ose gagne

Qui ose gagne

Tout le mois d’août les parachutistes en coopération avec les F.F.I. ont harcelé les lignes de communications ennemies, détruit des convois, dispersé des formations de combat.

Les Allemands, sous la pression alliée, commencent à retraiter vers l’Alsace. Les départements peu à peu sont libérés. Au début du mois de septembre, la région lyonnaise subit les derniers assauts libérateurs, tandis que les Allemands remontent tout en combattant, ici et là, au hasard de leur route semée d’embûches.

Le 3 septembre, Lyon est investie par les F.F.I. ainsi que quelques groupes S.A.S. Le 6 septembre arrive la libération de Blanzy et Montceau-les-Mines, à l’occasion de laquelle les parachutistes des capitaines Rouant et Porot réussirent une audacieuse performance dont voici le récit :

« Par une belle journée de soleil les groupes des capitaines Rouan et Porot avaient pris position dans les bois voisins de Montceau-les-Mines. Au début de la matinée du 6 septembre, après avoir constaté les mouvements incessants, des Allemands en retraite, ils décident d’occuper la ville et de nettoyer la région.

« Les F.F.I. occuperont la ville même, tandis que les parachutistes s’installeront en bouchon sur la route d’où pourrait surgir quelque retour offensif de la part de l’ennemi.

« L’entrée des libérateurs est fêtée avec enthousiasme par tous les habitants. Malgré l’euphorie générale, des mesures de sécurité sont prises et le sergent Le Carre, qui vient d’effectuer une reconnaissance, signale à 1 kilomètre de là, sur la voie ferrée vers Montchanin, la queue d’un train bardé de matériel divers.

« Arrive vers midi un train allemand chargé de troupes, qui déraille sur une coupure effectuée par nos S.A.S. quelques instants auparavant.

« La situation devient sérieuse car les Allemands fort contrariés s’installent en position de combat et menacent la ville.

« La joie de la libération de ce fait est vite rentrée et de nouveau surgit l’inquiétude.

« Les effectifs en présence nous sont défavorables. D’un côté 300 Allemands, de l’autre 125 F.F.I. et nos S.A.S., soit 26 hommes.

« F.F.I. et Allemands échangent des coups de feu assez nourris tandis que les groupes parachutistes des capitaines Rouant et Porot cherchent à s’infiltrer d’un côté où pourraient éventuellement venir des renforts allemands.

« La marche d’approche de nos S.A.S. s’effectue tant bien que mal sous un feu nourri. Ils parviennent cependant à approcher de l’ennemi, camouflé par un remblai, près du train déraillé, à environ 200 mètres.

« Il semble difficile de tenter une progression plus osée car il ne reste plus entre eux et les Allemands le moindre abri possible. Déjà ils se camouflent derrière une haie dont la protection contre les balles est nulle. Les échanges se poursuivent quelques temps sans marquer de nouveaux progrès. L’angoisse, néanmoins, est du côté des S.A.S. qui sont cloués sur place. Le capitaine Porot réussira malgré tout à trouver un bon emplacement pour ses deux fusils-mitrailleurs, qui permettent par leur tir efficace de mettre en batterie un petit mortier de campagne.

« Le tir ennemi semble se calmer quelque peu, mais ce n’est que pour reprendre de plus belle un peu plus tard. Eux aussi ont mis un mortier en batterie et nous encadrent assez bien. La situation ne peut durer trop longtemps ainsi stationnaire, et bien que nous n’ayons aucune perte nous finirons par y passer tous.

« Au même instant le capitaine Porot reçoit le sergent Leca envoyé par le capitaine Rouan, le prévenant qu’un convoi auto allemand vient de stopper à 500 mètres derrière eux. Ils mettent pied à terre et dans dix minutes au plus tard tout espoir de retraite sera supprimé.

« En face de telles conditions, les parachutistes vont se regrouper et décrocher.

« Une certaine accalmie permet aux parachutistes de commencer la manœuvre et ils trouvent non loin de là une bonne protection derrière un groupe de maisons.

« C’est alors qu’un incident inouï se produisit, décidant du reste de l’action.

« Le sergent Le Carre, suivi d’un courageux F.F.I. armé d’un F.M., repart en avant, passe le remblai et atterrit au milieu d’un nombre impressionnant d’Allemands médusés.

« Bill, non moins médusé, est au milieu de la voie, F.M. sous le bras, prêt à les arroser de ses rafales, tandis que Le Carre, en short et chemisette, le béret rouge sur la nuque, avance froidement mitraillette au poing au milieu des Allemands. Sur un ton qui ne demande pas de réplique, il demande le commandant du convoi. Celui-ci arrive tandis que tous les autres formant la haie laissent passer le parachutiste.

« Le Carre lui dépeint un tableau fantastique de la situation. Ils sont en présence d’une division franco-britannique parachutiste et d’importants effectifs F.F.I. Il lui donne l’ordre, au nom de son commandant de faire cesser le feu immédiatement.

« L’Obercommandant hésite et veut discuter. Le Carre répète son ordre, lui assurant des garanties de reddition régulières.

« Finalement, l’Allemand donne l’ordre. Les tirs allemands cessent. D’un geste Le Carre montre au commandant qu’un de ses officiers n’obéit pas à ses ordres. En effet, un jeune lieutenant semble prêt à faire feu de sa mitraillette.

« Les Allemands commencent à se rassembler et à jeter pêle-mêle leurs armes.

« Sur ces entrefaites, le capitaine Porot arrive et donne de plus amples instructions au commandant allemand. Arrivent à leur tour, le capitaine Rouant et quelques F.F.I. qui s’installent en défensive tout autour du train.

« Le sergent Le Carre avec un drapeau de la Croix-Rouge par- vient tant bien que mal à faire cesser les tirs des F.F.I.

« Au moment où la plupart des Allemands sont désarmés, arrive un autre train. Les tirs reprennent de plus belle et un certain flottement commence à envahir les rangs allemands.

« Les parachutistes réagissent et se portent rapidement au-devant du nouveau train, suivis du fanion de la Croix-Rouge et de l’Obercommandant.

« Pendant que les pourparlers ont lieu avec le chef du nouveau train blindé, le sergent Le Carre prend les devants et organise déjà la reddition, commençant le désarmement. Suivi du parachutiste Mouton, Le Carre fait sortir des wagons tous les Allemands sidérés de la nouvelle, en majorité des éléments des jeunesses hitlériennes.

« Pendant ce temps, les Allemands du convoi auto arrivent et, pensant que la reddition est totale, suivent le mouvement en jetant leurs armes à leur tour.

« Peu à peu les F.F.I. ont encerclé tout le détachement et nous voici définitivement maîtres d’un butin impressionnant :

« Cinq cents prisonniers, 20 tués, 32 blessés, deux trains avec trois locomotives, deux tanks avec canons de 75 mm, deux canons de 40 mm sur plate-forme blindée, une multitude d’armes légères, mortiers, munitions et matériel divers.

« Du côté français, deux morts et quelques blessés.

« La devise des parachutistes S.A.S. vient de prouver sa valeur, par ce formidable coup de bluff : QUI OSE, GAGNE. »

Extrait de la Revue de la France Libre, n° 59, juin 1953.