Sennecey-le-Grand

Sennecey-le-Grand

Sennecey-le-Grand

Une partie du 3e R.C.P. est larguée en France vers la mi-juillet 1944. Certains éléments sont utilisés sur les arrières de l’ennemi dans la Vienne, la Saône-et-Loire et la Franche-Comté.

Ils y sèment la panique et le désordre. Le combat de Sennecey-le-Grand, relaté ci-dessous est un exemple de ce que firent les parachutistes dans cette région.

Sennecey-le-Grand, nom d’un village de Bourgogne, garde aujourd’hui le souvenir d’un combat d’une audace folle où périrent beaucoup des nôtres.

Deux noms aussitôt surgissent liés à la gloire de Sennecey-le-Grand : le capitaine Boissonas et le capitaine de Roquebrune.

Le capitaine Boissonas est grand, maigre, d’une finesse étonnante. Sa voix légère, presque enfantine, montre une perpétuelle bonne humeur. Son regard franc et clair exprime la bonté. Son visage est couturé et boursouflé. Ses mains squelettiques et déformées font peine à voir. Deux ans plus tôt, partant en mission de B.C.R.A. son avion capota au bout de la piste de décollage et prit feu. Boissonas fut affreusement brûlé à la figure, aux mains et aux membres. Il ne se remettra jamais complètement de ses brûlures.

Faisant partie du 2e R.C.P., il risqua un saut d’entraînement deux mois avant le débarquement ; il se cassa la cuisse. À peine rétabli, il tournait en rond autour du camp secret de Fairford, faisant manœuvrer bras, jambes et mains. Le régi- ment partit en Bretagne et laissa Boissonas. Celui-ci ne se tint pas pour battu. Il se fit admettre par les Anglais et se glissa dans les rangs du 3e R.C.P.

C’est ainsi qu’il atterrit une nuit en Bourgogne.

Son ordonnance le trouva les larmes aux yeux, embrassant la terre. Le voyant, il plaisante : “Je vous recommande le triple parachute”.

Les Anglais lui avaient, en effet, donné un système de trois parachutes assemblés, permettant un atterrissage très adouci.

À peine est-il arrivé qu’il témoigne d’une ardeur extraordinaire. Cet homme frêle, amoindri déjà par ses brûlures, à peu près sans entraînement, fera l’admiration de tous. Avec quelques parachutistes il mène une compagnie F.F.I. et attaque sans relâche l’adversaire. Toujours debout il dirige le combat comme à l’exercice.

Quand il y a une reconnaissance hasardeuse à faire, il y va seul. Il rentre toujours sous le feu des rafales ennemies, les mains sanglantes, presque toujours à vif. Un jour, ayant donné l’ordre de repli, il s’aperçut que son ordonnance qui couvrait la retraite du groupe, ne pouvait plus bouger, étant cloué au sol par un F.M. ennemi. Le capitaine se dressa tout debout à découvert pour détourner le feu ennemi sur lui, juste le temps suffisant pour soulager son camarade.

Le capitaine de Roquebrune commande le squadron Jeep du 3e R.C.P. Son unité est démantelée dès son arrivée en France. Il se trouve en Saône-et-Loire avec son peloton de quatre voitures armées.

Il a un passé déjà bien fourni. Dirigeant clandestin, il est interné en 1942, retrouve la liberté et réussit à déjouer les Allemands qui le recherchent. Il part pour l’Espagne, laissant à sa femme la charge de leurs six enfants. Au passage des Pyrénées, il est blessé puis emprisonné pendant six mois. Évadé, il parvient à Gibraltar dissimulé dans le coffre de la voiture du secrétaire d’ambassade des États-Unis.

Arrivé en Angleterre, de Roquebrune s’engage au S.A.S. cachant le mieux possible ses 37 ans. Comme un jeune, il subit tout l’entraînement sans faiblir.

Grand, bel homme, son regard bleu pur et sa distinction naturelle donnent l’impression qu’il ne peut rien faire sans quelque grandeur.

En Bourgogne, il retrouve de nombreux camarades et combat avec eux, donnant aux groupes S.A.S. et F.F.I. l’appui de ses voitures.

À Sennecey-le-Grand, la situation depuis quelque temps devenait impossible. Deux Allemands en tournée de ravitaille- ment ayant été tués dans la région, les troupes d’occupation avaient exercé de nombreuses représailles, terrorisant les gens du pays. En outre, la présence des parachutistes était connue, et, de ce fait, la nervosité ennemie s’en ressentait. C’est ainsi qu’à Sennecey les trois quarts des habitants s’étaient enfuis, quelques-uns même eurent leur maison pillée ou brûlée.

De nombreux convois allemands remontaient vers l’Alsace, aussi une compagnie de protection s’était installée tout au long de la route qui traverse le village.

Le capitaine de Roquebrune apprenant cela, décide d’attaquer Sennecey. Le capitaine Boissonas, qui est dans le secteur, approuve la tentative. Les quatre Jeep ouvriront le combat en pénétrant dans le village, arrosant du feu de leurs 12 mitrailleuses les quelque 300 Allemands semés en postes défensifs le long de la route. Puis avec quelques parachutistes et sa compagnie F.F.I. se lancera à la suite des Jeep à l’attaque du village…

C’est la méthode qui est généralement adoptée et qui, jus- qu’à présent, a donné de bons résultats.

Le 4 septembre à 3 heures du matin, Boissonas réveille son ordonnance. “Viens, Jean, on va manger du boche”. Les F.F.I. se réveillent à leur tour et se préparent. Le groupe Jeep soigne ses mitrailleuses, en vérifie le fonctionnement, inspecte les chargeurs.

Il fait nuit encore mais déjà les premiers signes du jour sont perceptibles. La journée sera belle et les oiseaux ne tardent guère à manifester leur joie au soleil levant.

La campagne est silencieuse, calme et sereine. Une légère rosée tient en suspens une douce fraîcheur.

Le capitaine emmène ses hommes à bonne distance de Sennecey, bien à l’abri, pour ne pas éveiller le moindre soupçon.

À peine sont-ils installés à leur base de départ que nos quatre voitures filent sur la grande route nationale, vers Sennecey. En tête, le capitaine de Roquebrune, puis la voiture de l’aspirant Aubert-Stribi, celle de l’adjudant Ben Hamou et enfin celle du sergent-chef Tramoni.

Ils entrent dans Sennecey encore tout engourdie de sommeil, balayant les bas-côtés de la route du feu nourri de leurs Vicker. Les Allemands n’ont pas eu le temps de réagir. Parmi eux déjà la mort a fait son œuvre. Des cadavres et des blessés tombent sur les trottoirs. Les autres ont tout de même fini par se reprendre et tirent, mais trop tard, nos Jeep sont déjà à l’autre bout du village.

Pendant ce temps, le capitaine Boissonas se lance à l’assaut du pays. Les Allemands le reçoivent. En un clin d’œil leurs armes automatiques sont en batterie ainsi que leurs engins antichars. Des feux nourris jaillissent en tous sens. Boissonas debout, à découvert selon son habitude entraîne ses hommes vers Sennecey. Il est mortellement atteint et tombe dès le début.

De l’autre côté, de Roquebrune, sortant de Sennecey, échoue sur un convoi allemand qui vient de Laives, face à lui. Il tire, sème le feu et la mort dans les camions qui brûlent et obstruent la route impossible de déborder à droite ni à gauche. Il faut revenir par le village.

Faisant demi-tour sur place, les quatre voitures se lancent de nouveau dans Sennecey.

La situation est différente. Les boches, maintenant prêts, les reçoivent de toutes parts du feu de leurs armes automatiques. Les S.A.S. foncent droit devant eux, mitrailleuses aux poings, crachant tout ce qu’ils peuvent. Les premiers Allemands sont affolés, déroutés. Ils s’enfuient, abandonnant tout sur place. Les S.A.S. les poursuivent et les abattent sans ralentir.

Tramoni, en tête cette fois-ci, est blessé au bras et à l’épaule. Les parachutistes déchaînés crient, hurlent et tuent. Beaude et Bailleux sont aussi blessés, cependant que leur voiture criblée de balles expire sur la route.

La seconde reçoit un obus antichar en plein moteur. Seither et Lombardo sont tués sur le coup. Aubert-Stribi est projeté en l’air. Retombant sur ses pieds comme un acrobate, il poursuit le combat à pied, fonçant le poignard et le colt en main sur un groupe d’Allemands. Il tombe mortellement atteint au milieu d’eux.

Les deux autres voitures qui suivent, elles aussi, subissent le sort des premières. Transpercées de toutes parts de balles, tous les occupants blessés tirent toujours. Le capitaine de Roquebrune et le lieutenant F.F.I. Magdelaine sont tués. Pache et Barkatz, l’adjudant Ben Hamou et les deux frères Djian, démontés, leurs voitures en ruine, se battent en désespérés. Un à un ils tombent, touchés à mort.

La première voiture a reçu son coup de grâce. Elle brûle tout en haut du village, cependant que ses trois occupants, blessés, ont réussi par miracle à se faufiler entre les maisons et à échapper à cet enfer.

La compagnie F.F.I. privée de son chef dut décrocher devant la violence allemande. Dans le village, dix Français de plus ont arrosé le sol de leur sang. Une trentaine d’Allemands, eux aussi, ont payé le tribut de la guerre. Leurs camarades se sont enfuis, emmenant seulement leurs blessés.

Belle fin que celle de ce capitaine de Roquebrune venu mourir précisément dans le village de son enfance, comme s’il avait choisi le cadre même propice à sa mort. Il écrivait, la veille de son départ d’Angleterre :

“… J’ai parfois l’impression de ne plus appartenir à cette terre. Je sens, je crois, ce qu’éprouvait Jacques la dernière fois que je le vis, le sentiment d’un grand détachement, quelque chose de surnaturel. Est-ce l’amour de mon pays qui me guide ? Parfois je me le demande. Je crois souvent qu’il faut donner le maximum de moi-même, payer pour que d’autres reçoivent. Je le fais sans amertume car je suis convaincu que j’ai reçu plus ou que je dois davantage…”

Extrait de la Revue de la France Libre, n° 59, juin 1953.