Les aumôniers de la 1re DFL

Les aumôniers de la 1re DFL

Les aumôniers de la 1re DFL

Le révérend père Alby, qui fut inspecteur des aumôniers militaires de la France Libre après avoir appartenu à la 1re D.F.L., a bien voulu participer à notre revue en nous adressant les lignes ci-dessous ; qu’il en soit ici bien sincèrement remercié.

Cet article doit commencer par des excuses. Car il aurait dû être écrit par un autre. Mais le révérend père Hirleman, prié par le président de l’amicale de le rédiger, s’étant trouvé très fatigué par une mission dans l’Aurès, a dû y renoncer. J’ai accepté de le remplacer dans cette tâche délicate pour laquelle je demande l’indulgence des lecteurs et de ceux dont je vais parler.

Comment les aumôniers de la France Libre ont-ils compris leur rôle ? Aucune « théorie » ne leur a été faite là-dessus. Ce sont les circonstances ou un élan généreux qui les ont jetés dans la mêlée, au milieu de leurs camarades militaires. Ils ont donc d’abord essayé d’être de bons camarades, partageant la vie de leurs compagnons, respirant le même sable dans le désert, couchant sous des tentes aussi inconfortables, mangeant le même corned-beef et les mêmes rations K ; enfin recevant, suivant le programme du jour, les mêmes balles, les mêmes obus ou les mêmes bombes.
Dans ce contexte peu ecclésiastique ils se sont efforcés de rester prêtres, et de donner aux réactions patriotiques de leurs camarades ce « supplément d’âme » qui ne peut venir que du Christ.

Cela n’était pas toujours facile, malgré la bienveillance que les autorités de la France Libre ont toujours témoignée aux aumôniers, suivant cela l’exemple du grand chef, le général de Gaulle. Cela n’était pas facile, parce que, bien que cette guerre de libération fût une guerre juste (un représentant du Vatican nous l’a affirmé dès décembre 1940) la brutalité inévitable des combats s’accommode difficilement avec la douceur évangélique. Mais enfin ! Jeanne d’Arc a été canonisée, il n’y a donc pas antinomie irréductible.

La présence des aumôniers était appréciée par les chefs comme un élément de bon moral de la troupe. Elle montrait d’abord, ce qui n’était pas évident pour tout le monde, que la position politique des Français Libres n’était pas en contradiction avec la théologie. Il y avait là de quoi rassurer certaines consciences délicates.

De plus l’aumônier puise dans sa foi, dans sa vocation, une lumière spirituelle qui lui permet de voir les choses de plus haut que les autres. Sa vie de prêtre est normalement une vie de dévouement et de sacrifice. C’était surtout vrai des aumôniers de la 1re D.F.L.…, qui la plupart étaient des missionnaires. Ils se sont ainsi facilement trouvés au diapason des soldats de la France Libre, qui étaient tous des volontaires.

Ils aidaient les combattants à prolonger le sens de leur sacrifice, à voir Dieu au-delà de la patrie. De plus, le prêtre est par définition un consolateur et le jour de cafard – qui n’en a pas connu ? – l’aumônier savait aider le soldat – surtout les jeunes – à reprendre courage et espérance.

Peu de combattants ont été aussi brutalement séparés de tout, que ceux de la France Libre. Pour un coeur de 20 ans, c’était dur ! La présence de l’aumônier aidait à porter ce poids. Je dis la présence, car il me semble que l’aumônier agit non pas tellement par ce qu’il dit que, par le fait qu’il est là.

Enfin nos aumôniers étaient des réalistes. Ils savaient que le moral n’est pas seulement question de foi et d’âme, mais aussi une question de ravitaillement.

Le père Starcky me permettra-t-il de dire que, je n’ai pas oublié le jour où je l’ai aperçu, juché sur un camion qui revenait triomphalement vers le désert de Libye, après avoir dévalisé toutes les épiceries d’Alexandrie !

Je ne vais pas essayer de nommer tout le monde et je m’en excuse d’avance. Mais il me semble qu’il faut commencer par les morts. La mort héroïque de l’abbé F. Bigo, aumônier du 22e B.M.N.A., tué dans les Vosges, près de Ronchamp (septembre 1944) a déjà été racontée. Mais ce que tout le monde ne sait pas, c’est ceci : l’abbé Bigo était un blessé de Dunkerque. Il avait reçu un choc nerveux extrêmement violent. Malgré cela, il put s’occuper des Cadets à l’École de Malvern. Mais son dévouement excessif le fit retomber dans une grande dépression nerveuse qu’il traîna d’hôpital en hôpital pendant des semaines. Cela montre le sursaut d’énergie qu’il lui a fallu pour ce lancer dans l’action et partir au front où il a trouvé la fin glorieuse que l’on sait.

Pour procéder chronologiquement, tous les anciens connaissent celui qui fut, je crois, le premier aumônier F.F.L., en Moyen-Orient, le R.P. Finet, jésuite. Sa bravoure le fit tout de suite estimer par les plus « durs ». À Bir-Hakeim, le R.P. Hirleman, spiritain, était aumônier divisionnaire. Il s’occupait déjà spécialement de la Légion, et cette préférence pour ceux qui « marchent toujours » ne s’est point démentie (1). Il avait avec lui le R.P. Lacoin qui encourageait l’héroïsme des fusiliers marins (plus tard celui-ci quitta la D.F.L. pour devenir aumônier des vedettes rapides en Angleterre – actuellement il se sanctifie dans sa trappe de Bricquebec, quitte à s’en évader de temps en temps pour une cérémonie F.F.L.).

À Bir-Hakeim il y avait encore le R.P. Michel, spiritain, qui de la région de Bangui avait accompagné ses noirs, incorporés au B.M.2.

L’aumônier des artilleurs à cette époque était le père Dagorn, un timide, que les bourrades du commandant Champrosay faisaient rentrer dans sa coquille, mais qui remonta de 20 degrés dans l’estime de son chef de corps, le jour où il se révéla excellent moniteur de sports. Enfin il faut mentionner le M. Boillet, aumônier protestant de la division Spears, qui hébergeait également l’aumônier protestant de la division, le pasteur… venu des missions du Basoutoland.

Ils avaient la tâche délicate de manoeuvrer dans le milieu le plus composite – spirettes françaises et britanniques, infirmiers anglais, algériens, noirs. Le R.P. Lemarie, des missions africaines de Lyon, quitta en 1942 ses petits garçons du Caire, pour s’occuper du B.M.5 et ensuite du B.M.4. Le R.P. Podevigne, mariste, avait accompagné les Tahitiens et les Néo-Calédoniens du bataillon du Pacifique. Quand celui-ci fut fondu avec les restes du B.I.M., c’est le père Starcky qui devint aumônier du B.I.M.P. ; il l’accompagna jusqu’à l’Authion où il fut blessé. Il a retrouvé maintenant ses chers travaux d’archéologie.

Enfin le R.P. Duhautoy (Schufenecker) père blanc, après s’être dévoué aux blessés de l’ambulance chirurgicale légère, succéda au R.P. Lacoin et au R.P. Lauzon P.B. auprès des fusiliers marins qui le reconduisirent dans sa chère Alsace.

Autres pères blancs, le R.P. Guillaumat (B.M.11) blessé à Ponte Corvo, le R.P. Brenner (train) sans compter le R.P. Fouquet, passé à la 2e D.B.

Enfin le B.M.5 eut comme aumônier en France Dom Calmels, prémontré promu depuis à la dignité d’Abbé de Saint-Michel-de-Frigolet, près Tarascon.

Je ne puis que citer, faute de les avoir connus, l’abbé Hilaire (A.C.L.) et l’abbé Croquet (F.T.A.). Et j’en oublie certainement.

Cinq croix de la libération, six Légions d’honneur et une trentaine de citations récompensèrent le dévouement de ces aumôniers, mais leur meilleure récompense est l’affection reconnaissante et le souvenir fidèle de leurs camarades de guerre.

(1) N.D.L.R. – N’oublions pas le sympathique père Malec également de la Légion.

Extrait de la Revue de la France Libre, n° 79, 18 juin 1955, numéro spécial.